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Si la neurobiologie réfute le libre arbitre, c'est la justice qui disparaît
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Minority Report

La semaine passée, nous faisions état du débat mis en exergue dans son dernier livre par Michael Gazzaniga, la star des neurobiologistes américains, sur l'existence ou non du libre arbitre au regard de la science contemporaine. Une perpective inquiétante pour le principe même du jugement des actes délictueux...

Eric Morain

Eric Morain

Eric Morain est avocat au barreau de Paris.

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Le récent article paru sur Atlantico concernant le nouveau livre de la star des neurobiologistes américains, Michael Gazzaniga, a remis en exergue le débat sur l’existence du libre-arbitre, débat aussi vieux que le monde. Quelles conséquences pour la justice au regard de l’actualité des fait divers judiciaires ?

Quand il n’y a plus de place entre le nous et le rien c’est qu’on a oublié le je. Alors que pendant des siècles l’individu était l’alpha et l’omega de la responsabilité, on est passé dans l’ère moderne du moi, certes haïssable (Pascal) mais existant, à un concept invariant et nu (Levi-Strauss), à une machine désirante (Deleuze) ou une simple habitude grammaticale (Nietsche). Ces constatations périlleuses du siècle passé étaient soutenues, encouragées et parfois précédées par les considérations sur l’espèce (Darwin), sur la sociologie (Marx) ou encore sur la psychologie (Freud). La conclusion définitive de cette véritable croisade contre l’homme responsable était donnée par Claude Levi-Strauss dans L’homme nu : "l’effacement du sujet représente une nécessité d’ordre, pourrait-on dire, méthodologique".

Forcément le droit et la justice en ont subi les conséquences et l’influence. Lorsqu'est nié le pouvoir-vouloir de l’individu qui fait de la responsabilité le vrai propre de l’homme – responsabilité qui précède l’acte même –, le droit pénal s’organise alors insidieusement sur la notion exclusivement sociale ou psychiatrique de la dangerosité. Quand ce qui importe plus aux juges est d’abord de savoir qui est l’accusé et non plus ce qu’il a fait, on en vient, inconsciemment ou pas d’ailleurs, à déresponsabiliser l’homme qui doit être jugé et à nier le libre-arbitre - mot honni et honteux semble t-il aujourd’hui - qui fonde pourtant l’impérieuse obligation de juger son semblable dans une société civilisée.

Ainsi, si le passage à l’acte devient un phénomène exclusivement déductible de facteurs divers pouvant être isolé comme une molécule par la science et explicable comme un produit social, il devient par conséquent prévisible et déductible... CQFD ! L’homme n’est alors plus le responsable de ses actes et le libre-arbitre n’est plus qu’un archaïsme, une fable ou un mirage; la prévention et le traitement deviennent alors la grille de lecture unique - comme on dit de la pensée - de la politique criminelle. L’accusé n’a plus à être déclaré coupable mais uniquement curable ou pas. L’homme jugé est réduit à une sorte de lieu flou dans lequel il se passerait à l’intérieur et mystérieusement des « choses » biologiques, sociales ou psychologique. La justice n’a plus alors à être juste puisqu’elle est devenue savante. Et Foucault alors de se réjouir que la sanction n’aura plus pour premier but de punir un sujet responsable qui aura volontairement enfreint la loi mais aura pour premier rôle de diminuer le risque de criminalité présent dans l’individu en question (Foucault, Déviance et Société). Comme le soutient, sans rire, le Professeur Grazzaniga : « A la question "Qui est à la barre ?", je réponds : "Chacun de nous". »

Or, toutes les semaines l’actualité nous rappelle combien cette position qui fait des sciences sociales le primat du judiciaire est illusoire, autant que l’alchimie pour fabriquer de l’or.

Entre ce piège majeur que représente l’effacement du sujet que l’on se doit pourtant de juger et de punir et cet autre piège destructeur qui serait de répondre à la violence par la violence, au crime par des bourreaux et au laxisme par des bûchers, la vraie réponse, la voie étroite mais seule viable, est dans la ferme résolution d’appliquer les lois par ceux qui n’en sont plus les bouches selon le mot de Montesquieu et Dieu merci, mais les gardiens. Avec fermeté, car une société en état de défense a des devoirs de courage. Mais aussi avec distinction. Et surtout dans cet ordre. Faisons définitivement confiance en nos juges pour juger des responsabilités humaines. Malgré les erreurs, malgré les dysfonctionnements, malgré les jugements imparfaits leur tâche est aussi noble que rude. Malgré leur liberté et leur indépendance surtout. Tout autre choix mènerait au chaos.

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