Lever le secret défense pour des affaires de droit commun, une dangereuse aberration<!-- --> | Atlantico.fr
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Les secrets d’Etat doivent être protégés, comme sur le nucléaire ou les questions stratégiques, pour la sécurité de notre pays.
Les secrets d’Etat doivent être protégés, comme sur le nucléaire ou les questions stratégiques, pour la sécurité de notre pays.
©Reuters

Affaire Karachi

Le volet financier du dossier de l'attentat de Karachi, instruit par le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, pourrait connaître prochainement des avancées. La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) vient en effet de donner le feu vert à la déclassification de 65 documents relatifs à cette affaire d'État.

Jacques  Nain

Jacques Nain

Jacques Nain est commandant de police honoraire. Il a été officier à la Direction centrale de la Police judiciaire avant de terminer sa carrière dans le renseignement. Il a notamment publié Secret Défense, la Protection de la raison d'Etat (L'esprit du Livre - 2009).

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Atlantico : La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) vient en de donner le feu vert à la déclassification de 65 documents relatifs à l'affaire Karachi. Cela vous surprend-il ?

Jacques Nain : Non, c’est le schéma classique dans le cas de la levée d’un « secret-défense », dès lors que le Premier ministre, comme il l’a annoncé, suit le fonctionnement régulier de l’affaire. C’est la tradition républicaine de la levée du « Secret-Défense ». Rien d’exceptionnel. C'est la règle depuis la création de la commission CCSDN (Commission consultative du secret de la défense nationale) en 1998 par Lionel Jospin pour lever l’interdiction faite aux magistrats d’enquêter sur certains domaines. Tous les Premiers ministres ont suivi son avis - même s’il n’est que consultatif.

Lionel Jospin a, malheureusement, tenu la promesse de créer cette commission car, hélas, le secret-défense devrait être mieux protégé. Il n’est pas normal qu’on le lève pour une affaire de droit commun, même s’il y a eu un attentat meurtrier. Les secrets d’Etat doivent être protégés, comme sur le nucléaire ou les questions stratégiques, pour la sécurité de notre pays. J’ai peur pour l’avenir.

Cette décision 48 heures avant une élection présidentielle est-elle une simple coïncidence ?

On essaye d’atteindre l’entourage du président, d’Edouard Balladur, etc.,  via certains intermédiaires. On est dans une démarche qui me rappelle l’affaire Merah où on attaque systématiquement le dispositif et où on se trompe d’adversaire. Le Secret Défense n’est pas là pour protéger les candidats ou les élus. Il existe pour protéger notre sécurité. Lever le secret-défense, c’est couper la branche sur laquelle on est assis.

Pour des problèmes d’ordre politique, on est en train de casser des outils de protection de notre pays. Lever le « secret défense » n’est pas anodin. Surtout 48 heures avant la présidentielle.

Ne soyons pas naïfs. Surtout quand on sait que les préfets ont reçu des notes de service pour les inciter  ne pas « faire de vagues » vis-à-vis des « gens du voyage », un mois avant le scrutin. Quand on voit que l’élection de Miss Black s’est déroulée sans qu’aucun préfet n’intervienne, afin d‘apaiser les esprits et éviter le moindre risque : on devine que le calendrier est très sensible. Il peut s’agir d’une manipulation de dernière minute pour profiter d’une opportunité. Si, par exemple, François Fillon n’avait pas suivi la décision de la commission, on peut imaginer le scandale. Il a donc été un peu poussé…

C’est d’autant plus grave que comme le secret de l’instruction est souvent mis à mal, faire entrer des magistrats dans le secret-défense peut paraître un peu risqué. Les journalistes bien informés en savent quelque chose.

Pourrait-on selon vous révéler des choix stratégiques à cause de cette levée du secret-défense ?

Je ne sais pas. Mais on pourrait imaginer qu’on découvre que cette vente d’armes au Pakistan ne servait pas que des intérêts économiques, mais aussi des intérêts stratégiques essentiels. Je pense, par exemple, qu’on pourrait imaginer que la  France avait intérêt à vendre au Pakistan et à s’en rapprocher afin d’en savoir plus sur ses capacités nucléaires… Il serait dommage qu’une dérive politique touche nos intérêts stratégiques. La France avait tout intérêt à surveiller ces pays émergents dotés de l’arme nucléaire. Les commissions et rétro-commissions éventuelles sont un aspect mineur de l’affaire puisqu’il semblerait que ces pratiques soient, malheureusement, un sport national.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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