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Le président de l'association UFML (Union française pour une médecine libre) Jérôme Marty lors d'une manifestation à Toulouse, le 5 octobre 2015.
Le président de l'association UFML (Union française pour une médecine libre) Jérôme Marty lors d'une manifestation à Toulouse, le 5 octobre 2015.
©PASCAL PAVANI / AFP

Médecine

"Cette lettre n’a pas vocation à vous donner des solutions. Elle a pour but de vous ouvrir les yeux et de vous mettre, dès avant votre prise de fonction, devant vos responsabilités".

Jérôme Marty

Jérôme Marty

Président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, est médecin généraliste et gériatre à Fronton, près de Toulouse.

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Demain vous serez ministre de la Santé...

Comme vos prédécesseurs, il est probable que vous ne mesurerez pas l'état de notre système de santé. Permettez au médecin généraliste libéral en exercice, conventionné en secteur 1, directeur d'un établissement de soins de suite privé et président du deuxième syndicat poly catégoriel de médecin, de vous écrire.

Nous n'avons pas besoin de nous connaitre, la crise est là, historique, sans précédent, terrible. Depuis des années, nous alertons sur la dégradation des soins et sur les difficultés que nous rencontrons pour garantir à chaque femme et homme de ce pays la qualité et l'égalité devant le soin. Qui que vous soyez, vous avez forcément un passé politique. Vous portez donc une part de responsabilité face à l'inaudibilité de ces appels et dans la mise en œuvre de réformes, souvent inadaptées, parfois destructrices et au finalement inutiles.Depuis des années notre système de santé s'effondre. Trop de centralisation, de destruction de la proximité, de restructurations, de regroupements, d'hôpitaux-usines. Trop d'idéologie, de mépris, d'ignorance. Trop d'économie, d'encadrement, d'efficience. La casse organisée et méthodique de la médecine libérale et hospitalière. Des médecins faits responsables, des conséquences transformées en causes, et un désert qui s'étend...

Et pourtant nous tenons, à l'hôpital, ou en ville. Notre engagement éthique et déontologique auprès de nos patients, notre résilience, notre capacité d'adaptation, notre professionnalisme, masque la réalité. Le système tient et celles et ceux qui s'en occupent sont de moins en moins nombreux face à une demande de soin qui ne cesse d'augmenter. Ils s'épuisent... Nous tenons et c'est notre plus grande erreur, parce que, ce faisant, nous masquons la crise et nous vous permettons de regarder ailleurs.

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Et pourtant, savez-vous que faute de soignants, dans le secteur hospitalier public, comme dans le secteur hospitalier privé, l’offre de soin se restreint à force de fermetures de lits en lien avec la fuite des personnels soignants ?Savez-vous que l’on retrouve ces départs et donc ces manques de mains qui soignent au sein des services d’urgences, et que, une après l’autre, ces lumières dans la nuit s’éteignent ?Savez-vous qu’en Haute- Garonne, 28% des lits de chirurgie et 22% des lits de médecine sont actuellement fermés ? Que la demande de soin elle ne baisse pas et que sa réponse connait chaque jour de nouvelles difficultés.

Savez-vous qu’en ville, les médecins n’arrivent plus à faire face aux besoins, à force de départs non remplacés, et donc à force d’épuisement, et donc, à force de nouveaux départs ?

Savez-vous qu’ils ne trouvent plus de remplaçants, que les heures s’ajoutent aux heures, et qu’ils devront à terme s’arrêter quelques jours, pour se protéger ?

On voit combien les difficultés des uns rejaillissent sur les autres. Il suffit que les médecins de villes soient moins nombreux sur un territoire, pour que les patients ne puissent trouver de suivi de qualité. Et pas de qualité sans suivi régulier. Les besoins augmentent et avec eux les hospitalisations … via les urgences… Mais les urgences manquent de mains, et du fait des fermetures de lits d’aval ne peuvent faire sortir les patients. Les patients sur des brancards s’ajoutent aux patients sur des brancards, des heures, et des heures, et des heures… En ville les rendez-vous auprès des spécialistes ne trouvent de solutions avant des mois, parfois des années ! Et lorsque le médecin généraliste veut hospitaliser un patient, il se heurte à l’impossibilité de réponse à sa demande en lien avec cette même pénurie de lits et de blouses.

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Cela fait 25 ans que j’exerce et je l’affirme, jamais nous n’avons connu cela, jamais.

Qui que vous soyez, vous devez prendre conscience de l’urgence. Celles et ceux qui vous diront que les réformes en cours vont résoudre la crise vous tromperont. Ni le Ségur de l’Hôpital, ni les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ni le service d'accès aux soins (SAS), ni les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), ni l’ouverture des actes médicaux à d’autres professions, ni les infirmières référentes ou les pharmaciens référents ne résoudront la crise, n’empêcheront les drames. Ces solutions sont déjà en place ou se développent. Force est de constater qu’elles n’empêchent pas les arrêts définitifs d’activité pas plus qu’elles ne favorisent les installations. Elles visent à masquer, pour quelque temps encore, l’effondrement. Et elles comptent encore et toujours sur l’engagement des professionnels de santé, l’un remplaçant l’autre, l’autre remplaçant l’un, sans résoudre la terrible équation : plus de patients pour un même nombre de soignants, et donc plus de demandes de soin, plus d’épuisement, et finalement moins de soignants.

La transformation du numérus clausus en numerus apertus, ne résoudra rien avant 20 ans. La médecine est un compagnonnage et le nombre de médecins en formation ne peut dépasser les possibilités universitaires et hospitalières. Et les études sont longues, parmi, sinon les plus longues. La création d’une quatrième année validante pour la médecine générale ne vise pas non plus à résoudre la problématique, mais à répondre à la demande immédiate des élus qui font face à la peur de leurs administrés. Un traitement symptomatique d’une pathologie aiguë, là où il faudrait un traitement de fond à une pathologie chronique.

L’ouverture du champ de la médecine de ville aux groupes de cliniques et donc aux financiers ne résoudra rien non plus. Pour une réponse partielle, immédiate et trompe-l’œil sur certains territoires, une médecine de marché sera installée avec son lot de sélection de patients, soumis à des protocoles de soins calculés sur des bases couts/rendements et à des parcours imposés à chaque étape du soin, au sein des différentes structures propriétés du même groupe, seul gagnant de l’opération.

Vient le temps des grands desseins, vous ne pourrez l’éviter, nécessité vous y oblige, nous ne tiendrons plus très longtemps et si rien n’apparait, nous pourrions préférer nous aussi la réponse symptomatique et créer une crise aiguë pour mettre un terme à cette maladie chronique qui tue notre système de santé.

Cette lettre n’a pas vocation à vous donner des solutions. Elles existent, mais il faudrait plus que quelques centaines de signes, pour vous les donner. Elle a pour but de vous ouvrir les yeux et de vous mettre, dès avant votre prise de fonction, devant vos responsabilités.

Qui que vous soyez, vous devrez demain, réunir les représentants des professionnels de santé autour d’une même table, en une conférence de santé permanente, au-delà des secteurs, au-delà des exercices. Vous devrez accepter de leur donner la parole, accepter de faire de votre administration une administration à leur service, facilitatrice et à l’écoute, accepter de leur donner les moyens de faire et faire avec eux. Vous allez devoir considérer les soignants, ces mains qui soignent, non plus comme des rouages d’un système, mais comme des partenaires, respectés et porteurs de savoirs et d’expériences irremplaçables.

Qui que vous soyez, votre mission sera lourde. Il vous faut prendre le temps de l’écoute et de la co-construction. Il faut vous débarrasser des idéologies et des dogmes, et accepter de réformer à front renversé, le soin devant l’économie, l’économie au service du soin et pour cela privilégier la science contre tous les faux prophètes, contre tous les profiteurs de crises.

Vous n’avez, qui que vous soyez, d’autres solutions, l’effondrement est là, vous ne pouvez l’ignorer. Qui que vous soyez, nous vous attendons, d’une façon ou d’une autre, prêts à agir.

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