Les véritables raisons qui nous poussent à partir en guerre : ce que le record suédois de 200 ans de paix ininterrompue nous apprend<!-- --> | Atlantico.fr
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La Suède a célébré mi-août 200 ans de paix.
La Suède a célébré mi-août 200 ans de paix.
©Reuters

Soft power

Le 14 août 1814, la convention de Moss était signée, mettant fin au conflit entre la Suède et la Norvège. Aujourd'hui, plusieurs leçons peuvent être tirées du modèle forgé par les héritiers des guerriers Vikings.

Cyril Coulet

Cyril Coulet

Cyril Coulet est chercheur, spécialiste des pays scandinaves, et auteur de l'ouvrage "Les pays nordiques face à la crise" publié en 2010.

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Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Atlantico : La Suède a célébré le 15 août dernier 200 ans de paix. Le pays a mené une guerre pour la dernière fois avec la Norvège, un conflit résolu par la convention de Moss, signée le 14 août 1814. Mais la réputation pacifiste des Suédois est-elle vraiment justifiée ?

Alexandre Melnik : Patrie des Prix Nobel depuis 1901, la Suède s’en tient traditionnellement à une politique de non-alignement en temps de paix et de neutralité en temps de guerre, à l’exception de son soutien apporté à la Finlande lors de la tentative d’invasion soviétique en 1939 – 1940. Pendant les deux guerres mondiales du XXe siècle, la Suède a également refusé de prendre parti, malgré les importantes dépenses d’armement qu’elle a engagées pour se protéger des attaques éventuelles contre son territoire. Sans oublier, cependant, le rôle ambigu que ce pays a joué dans le déroulement de la Seconde Guerre mondiale : tout en continuant à approvisionner l’Allemagne nazie en minerai de fer, il a mis en place une politique active d’accueil de juifs et de réfugiés politiques. Ayant adhéré à l’Union européenne en 1995, la Suède n’est pourtant membre d’aucune alliance militaire, en affichant ainsi sa différence avec la Norvège voisine, qui fait partie de l’OTAN.

Cyril Coulet : La Suède a créé un récit autour de sa neutralité, comme garante de la paix à travers son histoire. Pourtant, il y a de nombreuses séquences différentes au cours desquelles la neutralité a été débattue et même parfois contestée. La Suède a ainsi su s’accommoder de situations qui n’étaient pas conformes au droit pour préserver la paix. En effet, lors de la Seconde Guerre mondiale, le pays a accepté que des troupes allemandes belligérantes traversent son territoire, ce qui était pourtant interdit par la Convention de la Haye, qui régit la neutralité dans le droit international public. Cette attitude reflète bien le pragmatisme politique suédois lorsqu’il s’agit de préserver leur pays d’une entrée en guerre. Entre les années 1930 et 1980, la nation a aussi initié une politique très active d’indépendance en terme d’armements pour garantir sa sécurité par ses propres moyens. Au sortir de la guerre, la Suède avait ainsi la 4e flotte aérienne mondiale et détenait un programme avancé en matière d’armement nucléaire. Le pays a même été alors sur le point d’acquérir l’arme atomique. 

Quelles sont les origines de la neutralité suédoise ? 

Cyril Coulet : Les Suédois ont su faire preuve à la fois d’idéalisme et d’un grand pragmatisme pour préserver la pacification de leurs frontières. Mais si la neutralité de la Suède a été le produit de son environnement international, elle le doit aussi beaucoup aux rapports de force à l’intérieur des groupes sociaux. Pendant très longtemps, l’économie s’est faite à coups de guerres, de conquêtes et de pillages, desquels l’aristocratie dominante tirait une partie de ses subsides. Lors de la Première Guerre mondiale, l’aristocratie suédoise était pro-allemande et militait pour une entrée en guerre contre les Alliés. Puis la pacification progressive du pays va entraîner sa marginalisation au sein de la société. Au niveau politique, les sociaux-démocrates ont ainsi été longtemps internationalistes, donc plutôt pacifistes. Avec la Guerre Froide, les Suédois vont alors considérer que leur pays devrait s’en tenir à la neutralité pour préserver l’équilibre nordique, entre la Norvège et le Danemark, membres de l’OTAN, et la Finlande liée à l’URSS. C’est donc grâce au compromis autour de la non belligérance, que les différents groupes sociaux ont pu s’entendre pour assurer leur cohésion et préserver la paix

A l’opposé, quelles sont les grandes causes historiques des guerres contemporaines ?

Alexandre Melnik : Quand on observe l’Histoire globale de l’Humanité, on constate que si les guerres puisent une partie de leurs racines dans les labyrinthes du passé et peuvent provenir de calculs rationnels et intelligibles (conquête de nouveaux espaces géographiques vitaux, appropriation de nouvelles ressources naturelles, recherche d’un nouveau souffle économique, etc.), les mêmes clashs armés trouvent leurs ressorts les plus profonds dans les errements et les aveuglements qui façonnent les tréfonds de la psychologie humaine.

C’est un mécanisme, d’une effroyable complexité, qui imbrique la raison et la déraison. Qui en appelle à l’ignorance, au détriment de l’éducation.  A cet imbroglio, le terreau historique des guerres, notre époque, celle de la globalisation, ajoute une  quête de nouveaux équilibres géostratégiques dans un monde, où l’Occident perd le monopole de son "hard power" (domination militaire) et  de son "soft power" (attractivité de l’exemple pacifique), et où l’instantanéité de la circulation des informations et des données aplatit notre planète et rapproche, en temps direct, ses habitants,  indépendamment de leur géolocalisation. 

Les causes culturelles et économiques sont-elles toujours aussi déterminantes ?

Alexandre Melnik : Les guerres du XXe siècle se déroulaient sur fond d’antagonismes idéologiques. C’est la violente confrontation des « ismes » (fascisme, communisme, capitalisme). Certes, les guerres de Corée, du Vietnam, les interventions militaires de l’URSS à Budapest en 1956, à Prague en 1968 et en Afghanistan en 1979 en étaient des exemples les plus flagrants, mais même les conflits au Moyen-Orient (notamment israélo-palestinien), en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud relevaient aussi de l’ADN idéologique du siècle précédent. Les causes culturelles constituent donc bien la grille de lecture déterminante, pour décrypter l’origine des guerres du XXIe siècle. Quant aux facteurs économiques, qui servaient, par le passé, de détonateurs des guerres autour de la mainmise sur les matières premières (pétrole, gaz, métaux, etc.), ils vont probablement diminuer dans l’avenir, et ce, contrairement aux théories du complot, encore en vogue.  Ainsi, les soi - disantes "guerres du gaz" entre la Russie et l’Ukraine n’étaient qu’un prélude, un affrontement aux allures de combat civilisationnel, bien au–delà des aspects économiques ou ethniques. Aujourd’hui et demain, la seule matière première qui, au lieu de s‘épuiser, va s’enrichir à l’usage, c’est la matière grise.

Quelles influences ont la taille, le poids et la position stratégiques d’une nation dans les conflits ?

Alexandre Melnik : Au vu des réalités de l’univers global et interconnecté en permanence, la taille du pays ne joue plus aucun rôle ni dans le déclenchement des potentiels conflits, ni, d’une façon plus conceptuelle, dans le réel impact que tous les pays, indépendamment de leur superficie et leur position géographique, peuvent avoir sur l’échiquier géostratégique. Dans les décennies à venir, "small" (comme "big") peut être à la fois "beautiful" et désastreux. Cela dépendra de la posture que choisira chaque pays, ayant aujourd’hui le choix entre une ouverture sur le monde (capacité de construction, race to the top, win-win interactions avec les autres) et un repli sur soi (synonyme de déni de réalité, de rejet des autres et de l’accent mis sur la capacité de nuisance). Autant la première option ouvre un nouvel horizon positif, autant la seconde se révèle contreproductive, voire dangereuse.  

Cyril Coulet : Le fait que la Suède ne soit plus une grande puissance explique aussi qu’elle se tienne à l’écart des conflits. Car il ne faut pas oublier qu’elle fut autrefois une grande puissance en Europe, notamment à la fin de la guerre de 30 ans, en 1648. Mais graduellement, le pays a perdu du terrain face à la Russie au cours du 18e siècle puis son statut pour être marginalisée aux frontières de l’Europe. C’est à la fin des guerres napoléoniennes, que s’ouvre la période de paix de 200 ans en Suède, qui accepte de ne plus être un acteur majeur du continent. C’est donc bien l’importance stratégique et non la position géographique qui détermine ou non une zone de conflit. Au début de la Seconde Guerre mondiale, un des premiers théâtres d’opération fut ainsi la Norvège, où les alliés lancèrent un corps expéditionnaire pour contrôler les routes d’acheminent du fer suédois vers l’Allemagne, une décision qui aboutira à  l’invasion allemande du Danemark et de la Norvège. 

Quels enseignements historiques les pays étrangers peuvent-ils tirer de l’exemple suédois ?

Alexandre Melnik : La neutralité est un choix consensuel en matière de diplomatie, assumé et partagé par l’ensemble des acteurs de la politique suédoise. Un choix qui s’est révélé bénéfique pour l’économie. Le contexte international a largement contribué au niveau de vie élevé de la population, la prospérité reposant sur deux piliers : celui  des hautes technologies et de l’innovation et celui d’un Etat-providence d’inspiration sociale-démocrate, adepte de la "flexisécurité". De façon générale, depuis 200 ans, la Suède a toujours privilégié le bien-être de sa population, au détriment des aventures étrangères. D’après une enquête de l’ONU, la Suède trône même en haut du palmarès des pays dans le monde (5e place), où vivent les gens les plus heureux. Le climat social apaisé, le cap sur l’innovation et la créativité, la culture du bon sens, du dialogue, du consensus et la réelle solidarité, en dehors de tous les préjugés idéologiques, le renouvellement constant des élites politiques, la démocratie moderne et décomplexée, dotée de corps intermédiaires efficaces, la liberté entrepreneuriale, la flexibilité du marché du travail, l’adaptation au monde global du XXIe siècle, autant de signes de l’excellence suédoise qui devraient inspirer les autres, dont la France. 

Et n'oubliez pas le A-Book d'Alexandre Melnik : Reconnecter la France au monde, Globalisation mode d'emploi, toujours disponible à la vente aux éditions Atlantico

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