Les totems au feu de la crise<!-- --> | Atlantico.fr
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Un tank endommagé à Kharkiv
Un tank endommagé à Kharkiv
©SERGEY BOBOK / AFP

Défis pour l'avenir

Les anglo-saxons ont coutume de dire qu’il ne faut jamais rien perdre d’une bonne crise. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en la matière, nous aurions beaucoup à récupérer.

Michel Keyah

Michel Keyah

Michel Keyah est économiste.

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C’est évidemment le cas dans le domaine géopolitique, où la crise ukrainienne agit comme un puissant révélateur des erreurs et des contradictions dans lesquelles les occidentaux se sont enferrés au cours des vingt dernières années. Il ne suffisait pas que la Chine nous prouve que l’ouverture sans discernement au commerce ne créerait pas mécaniquement, contrairement au fol espoir des occidentaux, la démocratie dans l’Empire du milieu. L’attitude de la Russie, irriguée de ressentiment historique, est venue rappeler que décidemment l’Histoire, cela compte, et parfois au pire sens du terme.

L’économie n’est pas en reste. La crise qui se développe constitue un gigantesque choc en termes de matières premières, dont on n’a pas mesuré encore l’impact. Au-delà des difficultés posées par le pétrole, le lithium ou le blé, qu’il soit permis ici de s’arrêter sur un produit bien spécifique : l’huile de palme.

Jusqu’à présent, la « cause » était entendue par les bienpensants du climat et l’environnement : l’huile de palme avait sa place au Panthéon des « super vilains », responsables de tous les maux. Peu importe que les faits n’aient pas été toujours en rapport avec les cris d’orfraie, par exemple en terme déforestation, une analyse poussée minimisant fortement l’impact de la culture de palmes en la matière. 

La donne, en la matière, a changé. Et, tel le canari de la mine, ce sont les agents économiques, directement confrontés aux réalités, qui donnent le « la ». La chaine de distribution alimentaire britannique Iceland, en effet, vient d’annoncer qu’elle allait à nouveau utiliser de l’huile de palme à compter de juin. La raison ? Très raisonnable dirait-on : l’alternative, en l’occurrence l’huile de tournesol, a vu son prix presque multiplié par 10 en raison de la guerre en Ukraine. En effet, la région de la mer Noire représente à elle seule de l’ordre de 80% des exportations d’huile de tournesol.

Un tel défi concerne aussi la France. Les industriels français fabricants de pâtes, brioches et autres biscuits – auxquels nous n’avons pas semble-t-il décidé de renoncer - s’inquiètent également de la flambée du prix de l’huile de tournesol, qui tient une part essentielle dans les quelques 800 000 tonnes d’huiles végétales que consomment les ménages français chaque année, devant l’huile d’olive et l’huile de colza ; huile de tournesol importée dans une écrasante majorité d’Ukraine. 

Si l’on veut élargi le sujet à l’Europe, la question est là aussi particulièrement aigue. L’Union européenne, après avoir inconsidérément ignoré les avertissements que la Commission européenne avait pourtant lancés en 2000 en matière d’indépendance énergétique, s’est lancée à corps perdu avec le Green Deal dans la course au « plus vert que moi tu meurs ». C’est parfaitement louable. Mais alors que les coûts des carburants explosent avec la guerre, l’UE prétend en même temps bannir des huiles qui pourraient servir dans les moteurs thermiques. Des carburants de synthèse d’une part, tels que ceux que Porsche est en train d’inventer au Chili et que la Commission semble vouloir rayer d’un trait d’idéologie, à la grande – et légitime – contrariété des industriels allemands de l’automobile. Des biocarburants d’autre part, tels que l’huile de palme, qui n’est pas en pénurie et qui pourrait jouer un rôle, avec d’autres, dans la réussite à laquelle l’UE aspire en matière de verdissement.

La grande leçon de tout cela est simple : qu’il s’agisse d’« éthique de responsabilité » ou de « pragmatisme », tous deux font défaut. Face à des difficultés que nul ou peu ont imaginé, il est nécessaire, dans une série de domaines, de remettre en cause des certitudes qui confinent à l’idéologie. Non pour renoncer à des efforts et des objectifs louables. Mais pour se souvenir, ainsi que le disait le Général de Gaulle, qu’il n’est pas de politique en dehors du réel. 

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