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Les taux d’intérêt vont rester durablement très bas ... mais au profit de qui ?
©Reuters

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Mais à qui profite le crime des taux bas... qui sont désormais inscrits dans la durée ? Tous ceux qui pensaient que la baisse des taux d’intérêt était l‘outil privilège des banques centrales pour développer des politiques monétaires de soutien se sont trompés. Les taux bas sont principalement le résultat de la mondialisation.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’année 2020 a démarré avec la publication de deux informations qui auraient pu se télescoper et engendrer un débat dont la classe politique raffole, si les chroniqueurs n’avaient pas été occupés par les mouvements de grève contre la réforme des retraites. 

D‘un côté, on a appris le montant des dividendes distribués par les entreprises du CAC 40 avait atteint un record historique.

De l’autre coté, le taux d’intérêt versé sur Livret A de la Caisse d’épargne a atteint un plus bas à 0,5%.

Beaucoup auraient pu se contenter de souligner que l’épargne des riches n’avaient jamais rapporté autant d’argent et celle des plus pauvres aussi peu. Et de taper une fois de plus, comme l’ont fait cette semaine les intellectuels abonnés à la contestation du Macronisme, comme Michel Onfray ou Emmanuel Todd qui ont revisité chacun à leur manière les théories de la lutte des classes appliquée à la France d’aujourd‘hui. Ce qui permet à beaucoup d’opposants de fustiger « l’ultralibéralisme français ».

La réalité est heureusement plus nuancée et montre bien les contradictions de notre système très franco-français qui fonctionne aujourd’hui aux antipodes des concepts les plus élémentaires du libéralisme. 

Les entreprises du CAC 40 ont donc versé 49,2 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires en 2019, soit 15 % de plus qu'en 2018. C’est évidemment une bonne nouvelle qui prouve que les entreprises françaises ont retrouvé le chemin de la croissance et de la rentabilité. C’est une bonne nouvelle pour l’Etat qui perçoit l’impôt sur les sociétés. Et même si on reproche à ces grandes entreprises de faire de l’optimisation fiscale, elles finissent quand même par payer l’impôt. La question est de savoir à qui profite ces dividendes ? Et bien malheureusement, pas aux épargnants français. Ces dividendes sont versés pour 70% environ à des actionnaires étrangers. C’est-à-dire à des fonds de pension qui les reversent à leurs mandants, lesquels sont des caisses de retraites. En bref, les entreprises françaises travaillent dur et fort pour payer la retraite des veuves Ecossaises ou des enseignants de Californie. Et pour quelles raisons cet argent ne vient-il pas au secours des retraites françaises ? Tout simplement parce que le système français fonctionne selon le principe de la répartition et que l’épargne française n’a pas intérêt à aller dans l’entreprise. L’épargne française va ailleurs dans l’assurance-vie et dans le livret de caisse d’épargne, avec des flux qui servent prioritairement au financement des caisses de l’Etat. Dépenses publiques, dépenses sociales et aides au logement de toute sorte. 

Le livret A de la Caisse d’épargne sert désormais un taux d’intérêt historiquement bas, 0,5%. Ce taux d’intérêt est calé sur les taux d’intérêt fixes par les banques centrales et partir desquels on calcule tous les taux de rémunération des placements à revenus fixes et tous les taux de crédit. En dépit de ces rémunérations ridicules, la majorité des épargnants français s’engagent dans les coffres à l’effigie du petit écureuil rouge ou alors continuent de s’engouffrer dans les comptes d’assurance-vie. Pour quelles raisons ? Tout simplement parce que ces circuits d’épargne sont garantis par l’Etat ou les collectives locales. Ils bénéficient de régimes spéciaux en matière fiscale (ce qui, au passage ne sert à rien puisque ça profite à des épargnants qui ne sont pas imposables, comme plus de 50% des contribuables). 

Mais ces placements sont soi-disant garantis par l’Etat. Cet argent sert à son financement. Ajoutons à cela, une aversion au risque capitaliste entretenu par l’école et la majorité des intellectuels français qui considèrent déjà que le pays se meurt des excès du libéralisme. 

Ce double phénomène, hausse des rendements sur les placements à risque et baisse des taux d’intérêt sur l‘épargne, ne s’explique pas seulement par la politique monétaire des banques centrales qui, pour éviter des défauts de liquidités, ont développé des politiques accommodantes. Il s’explique aussi par des phénomènes structurels, comme le ralentissement de la croissance mondiale, l’allongement de la durée de vie et l’augmentation des inégalités puisque les plus âgés sont plus riches mais ayant moins de besoin, ils épargnent davantage. 

Compte tenu de la situation mondiale (absence d’inflation, concurrence internationale), les experts des différentes banques centrales considèrent qu‘il n’y a pas de vraies raisons pour voir les taux d’intérêts remonter. Ils sont durablement scotchés au niveau zéro. Certains vont même tomber en dessous. 

Une telle situation fait évidemment des gagnants et des perdants. Parfois ce sont les mêmes qui gagnent d’un côté ce qu’ils peuvent perdre de l’autre. 

1. Les épargnants sont les grands perdants et pourtant ils ne se découragent pas d’épargner. Les dépôts en France sur les comptes courants dépassent aujourd’hui les 500 milliards d’euros. Les comptes courants non rémunérés constituent le premier emploi de l’épargne. Chaque Français a entre 1 et 3 mois de revenus en réserve sur son compte en banque. C’est une moyenne certes, parce que beaucoup sont à découvert avec une fin de mois compliquée, mais la moyenne a rarement été aussi élevée.  

L’épargne placée sur les livrets va rapporter du 0,5% après avoir apporté 0,75%.  Il existe plus de 50 millions de livrets A pour un total d’encours de 300 milliards d’euros. Les taux de rémunération n’ont jamais été aussi bas, mais les encours d’épargne n’ont jamais été aussi élevés. 

A coté de ces placements à revenus fixes les plus simples, il faut regarder ce qui se passe du coté des assurances-vie : 40 millions de bénéficiaires qui disposent d’un encours total proche des 1800 milliards d‘euros. C’est le placement préféré des Françai . Avec des rémunérations qui baissent en permanence. 

Pourquoi un tel afflux ? Parce que ce sont des placements sécurisés par l’Etat qui utilise indirectement le produit de cette épargne pour financer ses dépenses. Et nous serions dans « un pays ultralibéral ». Quelle erreur. Ces quelques chiffres montrent à l’évidence que le moteur français fonctionne à l’Etatisme. 

2. Les banques et les sociétés d’assurance sont évidemment à la peine. Leur métier est d’acheter de l’argent aux épargnants et de le revendre aux emprunteurs. Avec des taux aussi bas, les banques et les assureurs ont perdu leur marge. Elles doivent se rattraper en augmentant le prix de leur service à un moment où elles sont face à la concurrence du digital qui peut lui aussi faire de la banque à des couts moindres. 

3. Les grands gagnants pour l’instant, ce sont les Etats qui peuvent emprunter à taux zéro. Et si les Etats peuvent améliorer leur situation budgétaire, ça n’est pas en faisant des économies, c’est en empruntant de l’argent. L’Etat peut même se payer le luxe d’alléger le contribuable puisqu’il sait qu‘il pourra toujours puiser dans l’épargne.

4. Le contribuable est donc gagnant puisqu‘il devrait savoir qu’au niveau de dépenses publiques actuelles, et si on ne pouvait pas emprunter de l’argent à taux zéro, il devrait payer plus d’impôts ou alors accepter politiquement une baisse de ses dépenses publiques et sociales. 

5. L’investisseur est gagnant... s’il investit dans l’immobilier, il peut emprunter puisqu’il a un actif à donner en garantie. Il rembourse sur les loyers ou sur la plus value. Dans certains cas,  ça rappelle les subprimes. Mais pratiqués à grande échelle, les subprimes peuvent mal se terminer. 

L’investisseur est gagnant s’il investit dans des placements à risque qui, par définition, délivrent des rendements confortables. Le montant de dividendes distribué cette année le prouve.

Investir à risque, c’est investir dans l’entreprise. En passant ou pas par la bourse.  

Cela dit, le Français qui se plaint d’être dans un pays trop libéral n’aime pas le risque. Pourquoi ? Parce que c’est trop risqué ! Mieux vaut protéger son avenir en se mettant à l’abri dans les bras de l’Etat. 

L‘idéal français serait d’être fonctionnaire avec une retraite par répartition mais un régime spécial. A l’abri de cette retraite et de son assurance-vie, on pourrait sans risque conspuer l’Etat libéral. 

La France est le seul pays au monde à avoir osé inscrire dans sa Constitution le principe de précaution. Quelle trouvaille diabolique. Mais sait-on que, si Christophe Colomb avait dû respecter le principe de précaution, il n’aurait jamais découvert l’Amérique.

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