Les surdoués ne sont pas des génies et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Des enfants surdoués participent à une séance d'art plastique dans la colonie de vacances pour enfants précoces du village de Naucelle.
Des enfants surdoués participent à une séance d'art plastique dans la colonie de vacances pour enfants précoces du village de Naucelle.
©REMY GABALDA / AFP

Bonnes feuilles

Hélène Vecchiali publie « Un zèbre sur le divan : Comprendre le mal-être de certains surdoués, de l'enfance à l'âge adulte » aux éditions Albin Michel. Pourquoi certains surdoués sont-ils malheureux ? Hélène Vecchiali, psychanalyste, propose des réponses à cette question à travers le récit de la vie d'Henri et de sa compagne Sylvie, deux « zèbres » autrefois malheureux. Extrait 1/2.

Hélène Vecchiali

Hélène Vecchiali

Hélène Vecchiali est psychanalyste et coach, et autrice de nombreux ouvrages parmi lesquels Mettre les pervers échec et mat (Marabout, 2017) et chez Albin Michel Le Silence des femmes (2019). 

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Zèbres, surdoués, mais aussi hauts potentiels, surefficients, neuro-atypiques, précoces, hyperphréniques, polymathes, coloriés, philo-cognitifs, esprits Renaissance, explorateurs, guépards, sentinelles, BIP, émotifs talentueux, martiens… autant de substantifs qui, par leur multitude, signent combien il est compliqué de mettre ces « drôles de zèbres » dans une case (cage ?), de les définir. Tant ces personnes présentent la particularité de penser autrement, de ressentir autrement, de comprendre, imaginer, vivre autrement. Non pas des excentriques mais des excentrés.

On doit le terme « zèbre » à Jeanne Siaud-Facchin. Il est cité dans son ouvrage Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué pour désigner aussi bien un enfant qu'un adulte. À défaut d'un terme résolument adapté, nous emploierons le vocable « zèbre » pour donner plus de légèreté à notre sujet, celui des hauts potentiels malheureux. Quant au néologisme « surdoué », il a été utilisé en 1946 pour la première fois par le docteur Julian de Ajuriaguerra, neuropsychiatre français d'origine espagnole, pour décrire un enfant ayant des capacités supérieures à la moyenne. Joli mot au demeurant puisque, si seulement certains sont surdoués, cela suppose que tous les autres sont doués. Notons que les non-surdoués portent le vocable « neurotypiques », mot formé à partir de « neuro », faisant référence au système neuronal, et « typique », synonyme de « normal », adjectif à éviter afin de ne pas stigmatiser les zèbres qui seraient alors supposés « anormaux ».

Tous ces excentrés ne sont donc pas a-normaux mais ont en commun le « hors norme », tout en affichant certaines disparités : introvertis ou extravertis, adaptés ou inadaptés, complexes ou laminaires, etc. Ce qui les démarque également, c'est la façon dont chacun reçoit cette surefficience. Pour la majorité, c'est un cadeau, non un fardeau, et ils ne s'en plaignent pas. Ils ont un beau parcours scolaire, les enseignants en sont contents, les parents également et, à l'âge adulte, les entreprises sont enchantées de les recruter. Certes, ils s'ennuient de temps en temps, en classe, au travail ou à la maison. Cependant, leur intelligence leur permet de trouver des subterfuges pour éviter ce désœuvrement. Pourquoi alors est-ce une pure bénédiction pour certains et un cadeau empoisonné pour d'autres ? Pour répondre à cette question, deux hypothèses ressortent du parcours d'Henri, qui sera notre zèbre attitré, et des confidences qu'il nous livre par intermittence sur sa compagne Sylvie, tous deux ayant été des enfants surdoués malheureux.

Quelles sont ces hypothèses ? Tout d'abord qu'un traumatisme peut en cacher un autre. Cela rend confus le tri dans les souffrances et, par conséquent, brouille les pistes pour procurer des remèdes adaptés : surdouance et blessure psychique dans l'enfance peuvent être successivement l'arbre qui cache la forêt ou la forêt qui cache l'arbre. Pour Henri, c'est la forêt de son enfance problématique qui a caché l'arbre de sa haute potentialité : sa surdouance a été découverte tardivement et, jusqu'à cette révélation, il a rendu son enfance douloureuse responsable de ses soucis, omettant de la sorte des explications qui lui auraient été bien utiles pour comprendre certains de ses comportements. Pour Sylvie, l'arbre de sa surdouance a dissimulé la forêt de son enfance dommageable : sa surefficience a été constatée très tôt et Sylvie l'a rendue seule fautive de son mal-être récurrent ; jusqu'à son entrée en thérapie, elle était passée à côté d'un trauma psychique causé par des défaillances parentales.

Deuxième hypothèse, on remarque, de façon étonnante, que les conséquences d'une enfance toxique (même si elles sont bien moins paroxystiques chez les neurotypiques) et les résultantes d'une surdouance sont parfois quasi identiques. Pour nos deux personnages qui cumulent cette enfance nocive et cette surdouance, les répercussions s'additionnent alors et s'amplifient de façon exponentielle. On note par exemple les deux mêmes solutions globales de réserve : narcissisme primaire et surinvestissement intellectuel. D'autres analogies plus à la marge sont étrangement à l'œuvre : hypersensibilité, hypersensorialité, hyperémotivité, anticipation, angoisse de mort, etc. Cette surdouance, qui à la naissance d'Henri et de Sylvie était pour eux un présent, s'est ainsi trouvée entachée par leur enfance difficile. Ce qui aurait dû être une force s'est mué en un système de défense redoutable mais auquel ils doivent leur survie psychique ! Nos deux surdoués sont donc encombrés par deux peines qui ne se confondent pas mais se potentialisent : chagrin et isolement, en raison du trauma de leur enfance, mais aussi chagrin et isolement, en raison de leur profil atypique. En effet, cette haute potentialité, positive en temps normal, les fragilise plus que d'autres dans un contexte familial déficitaire, en raison – par exemple – de leur hyperclairvoyance et de leur hypersensibilité. Cependant, c'est ce même profil atypique qui leur offre leur « résilience », cette force, plus intense que pour d'autres, qui leur permet de rebondir.

Des précisions s'imposent avant de poursuivre. En premier lieu, constatons qu'il y a un flou sur la définition d'un haut potentiel. Pour certains, un QI (quotient intellectuel) supérieur à 130 est le meilleur critère retenu. Or un QI n'est ni une fatalité ni un destin. Cette évaluation, seule, aux marges trop étroites, réduisant l'intelligence à un chiffre, est devenue obsolète. Heureusement, pour d'autres, de plus en plus nombreux, il y aurait une combinaison entre grandes capacités intellectuelles ET hyperaffectivité, avec la passation éventuelle d'un QI pour les enfants mais pas forcément pour les adultes. Remarquons que lors de la passation de ces tests, on entend peu parler de « repérage » mais plutôt de « diagnostic », comme s'il s'agissait d'une maladie ! De grâce, utilisons les bons termes : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », disait Camus avec justesse.

Pour autant, les indices certainement les plus révélateurs de cette surdouance sont peut-être la capacité à penser par soi-même, la créativité et la gestion de l'angoisse. Penser par soi-même consiste à tout remettre en question spontanément, à ne rien prendre pour argent comptant, à ne jamais adhérer aveuglément aux discours ambiants. Par ailleurs, créer, de façon constante, c'est imaginer, inventer, souvent de manière disruptive. Enfin, l'angoisse de mort et les questions existentielles sont affrontées sans détour, non sans douleur, avec toutes les affres qui en découlent. Ces affres que « les humains en général » étouffent sous des certitudes partagées mais qui demeurent, pour les zèbres, des questions singulières et incessantes. On mesure dès lors que, pour « les humains en général », ces étranges zèbres sont vraiment dérangeants et qu'il est peut-être rassurant de les parquer dans une savane, loin d'eux, à une distance qui paraît bien infranchissable !

Dénonçons ensuite une fausse idée reçue, un grossier fantasme : être surdoué ne signifie pas être un génie quantitativement plus intelligent que les autres, mais être un humain avec une qualité d'intelligence originale, des capacités spécifiques de réflexion, de mémorisation, d'analyse, d'imagination, etc., donc qualitativement autres. Il ne s'agit pas de planer sur des hauteurs mais de s'étaler en largeur, il ne s'agit pas d'une supériorité mais d'une différence. Observons que la signification d'intelligentsia est « action de discerner, de comprendre ». Il n'est donc pas question de compétition entre les uns et les autres pour ce qui est de percevoir et de saisir le sens, d'autant que, s'il existe chez les zèbres une meilleure compréhension, elle n'est ni constante ni partagée par tous et partout. D'autre part, ne confondons pas intelligence et performance, compétence et réussite, potentialité et certitude. Rappelons aussi que l'étymologie de « doué » est dotare, « doter » : cela renvoie de la sorte à une aptitude innée, ce qui déresponsabilise les porteurs de ce sur-don. Enfin, dans « haut potentiel », il y a « potentiel » exprimant une possibilité qui demande à être exploitée, donc un effort à accomplir pour faire fructifier ce don.

Extrait du livre d’Hélène Vecchiali,  « Un zèbre sur le divan : Comprendre le mal-être de certains surdoués, de l'enfance à l'âge adulte », publié aux éditions Albin Michel

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