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Les sarkozystes en pleine remobilisation : "Jean-Claude Trichet m'a tuer", l'argument dont l'ancien président devrait se saisir pour défendre son bilan
©Reuters

Facteur externe

En 2011, l’ex patron de la Banque centrale européenne avait décidé de relever les taux tuant dans l’oeuf le retour de la croissance après la crise.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 2 mai 2012, François Hollande et Nicolas Sarkozy débattaient en vue du second tour de l'élection Présidentielle. Tout au long de la campagne électorale, le bilan économique du Président en exercice avait été brocardé, et cette soirée-débat ne fit pas exception. François Hollande s'en donnait à cœur joie :

"D'abord, sur les chiffres, je comprends que ça ne vous fasse pas plaisir et, d'ailleurs, ceux à qui ça fait le moins plaisir sont les chômeurs eux-mêmes. Une bonne partie nous regardent et se disent que leur situation s'est dégradée depuis que vous êtes aux responsabilités du pays. Il y a bien 4 millions de personnes qui sont inscrites à Pôle emploi. C'est incontestable. Il y en avait 3 millions au moment où vous avez été élu. Vous avez vous-même dit qu'il y aurait 5 % de la population active qui serait au chômage à la fin du quinquennat. Nous sommes à 10%, le double."

Le constat est en effet accablant. L'économie française vient de traverser sa pire crise économique depuis les années 30. Les chiffres de la récession, du chômage, et de la dette battent tous les records. Nicolas Sarkozy est à la barre, il est le candidat logique pour endosser le costume du coupable. Pourtant, dans l'ombre de l'ensemble des dirigeants européens, un homme, plus que tout autre, porte cette lourde responsabilité ; Jean Claude Trichet. Car les erreurs commises par le Président de la Banque centrale européenne n'ont laissé aucune chance à l'économie européenne sur la période 2008-2012. Et il n'est pas très difficile de le démontrer en dressant un petit historique de ces années noires.

Alors que le monde avait découvert la toxicité des crédits subprimes au cours de l'année 2007, l'économie mondiale commence à vaciller dès le début de l'année 2008. Différents indices font état de l'imminence d'une récession en Europe. Ainsi, les très suivis indices des directeurs d'achat, les PMI, basculent en territoire négatif dès le mois de juin de cette année, soit à un niveau de 49.8 points pour la France et de 49.3 points pour la zone euro. (Le seuil de 50 points marquant une frontière entre expansion et récession économique). La récession n'est donc plus une hypothèse, elle est déjà présente. De façon concomitante, et sous la pression de la forte demande des pays émergents pour les matières premières, l'inflation atteint des sommets inédits sous la gouvernance de la BCE. Les signaux macroéconomiques peuvent alors être considérés comme étant contradictoires, entre une forte inflation, d'une part, et la faiblesse de l'économie, d'autre part. Et c'est là l'origine de la première erreur, monumentale, du directoire de la BCE sous la Présidence de Jean Claude Trichet.

En effet, le 3 juillet 2008, le conseil de la BCE va décider de relever ses taux directeurs de 4% à 4.25%, ceci afin de lutter contre cette soi-disant menace inflationniste. Pourtant, la hausse des prix constatée au sein de la zone euro trouve bien son origine dans la forte demande des pays émergents pour les matières premières (pétrole, céréales etc..) et non dans une quelconque surchauffe de l'économie européenne. Ce qui peut être vérifié très simplement en observant l'indice d'inflation "core", (chiffre de l'inflation vidé de ses composantes les plus volatiles, comme le pétrole, ceci afin d'éviter toute erreur de jugement sur les dynamiques macroéconomiques en présence) seul à même de délivrer une image fidèle de la relation entre offre et demande au sein de l'économie du continent. Ainsi, selon les chiffres publiés par Eurostat pour le mois de juin 2008, l'inflation "core" atteint un rythme de progression annuel de 1.8%. A l'inverse, le "bruit" induit par la progression des matières premières conduit le niveau d'inflation officiel (HICP) européen à 4.01%.

A cet instant, la BCE dispose donc de plusieurs informations : les PMI signalent une entrée en récession immédiate de l'économie européenne, l'inflation "core" indique une situation "normale", et l'inflation HICP indique une trop forte progression des prix lorsque les matières premières sont comptabilisées. Jean Claude Trichet va tout simplement ignorer la menace de récession et resserrer l'étau monétaire afin de contrer la hausse des prix. Le taux directeur de la BCE est rehaussé à 4.25%. L'erreur est fatale, et les PMI européens vont alors s'effondrer. La croissance suivra le même chemin tandis que le chômage va débuter son inexorable ascension.

Indice PMI. Zone euro. Année 2008. (La frontière entre récession et expansion est fixée à 50 points)

Pour une raison ou pour une autre, Jean Claude Trichet est totalement passé à côté du problème réel. L'économie mondiale était déjà en train de s'écraser et les chiffres de l'inflation ne faisaient que traduire, tardivement, la forte poussée de consommation chinoise pour les matières premières.  Aucune autre grande Banque centrale ne tombe dans le piège de ce faux signal, au contraire, celles-ci suivent plutôt un trajectoire inverse et tentent de sauver les meubles. Ainsi, entre les mois de septembre 2007 et d'avril 2008, la Réserve fédérale des Etats Unis baisse massivement ses taux, passant de 5.25% à 2.00%, ce qui restera insuffisant pour lutter contre la gravité de la situation, mais aura au moins le mérite de ne pas l'aggraver (Ainsi sur ces quelques mois, les Etats Unis baissent leurs taux pour un total de 3.25 points alors que l'Europe relève les siens de 0.25 point). Au même moment, en Europe, les marchés financiers comprennent alors que l'autorité monétaire est complètement à côté de ses pompes. Progressivement, la confiance disparaît face à une politique ne pouvant être frappée que du terme d'incompétence. Si la plupart des Banques centrales mondiales sont effectivement en retard par rapport au contexte, la BCE, elle, commet l'exploit d'être à l'envers.

Et cet état de fait avait été assez justement perçu par le Président français en exercice, à la veille de l'intervention de la BCE. En effet, Le 30 juin 2008, Nicolas Sarkozy est interviewé par France 3. Une partie de l'échange est alors consacré à la politique menée par Jean Claude Trichet.

"GERARD LECLERC - Alors parlons clair : est-ce que vous reprochez à la Banque centrale européenne, à monsieur TRICHET, de mener une politique de l'euro fort, de l'euro trop fort puisque tous les autres, vous venez de le dire...

LE PRESIDENT - En tant que Président de l'Union, je dois rassembler toute la famille, je ne dois pas commencer par faire des reproches. Mais enfin vous savez ce que j'ai dit depuis bien longtemps...

GERARD LECLERC - On annonce une hausse du taux demain encore... du taux de l'euro...

LE PRESIDENT - Oui... Ce que j'en pense ?

AUDREY PULVAR - C'est une mauvaise décision ?

LE PRESIDENT - Ecoutez je crois que la BCE - et son indépendance doit être préservée - devrait se poser la question de la croissance économique en Europe et pas simplement de l'inflation. Je m'explique là-dessus...

VERONIQUE AUGER - ... qui est un vrai problème, on est à 4% maintenant dans la zone euro.

LE PRESIDENT - Oui mais Madame, je vais m'expliquer... l'inflation d'il y a trente ans et l'inflation de maintenant n'ont rien à voir. L'inflation d'il y a trente ans était due au fait qu'il y avait du plein emploi donc qu'il y avait une pression sur les salaires et pas beaucoup de concurrence. L'inflation d'aujourd'hui, elle n'est pas une inflation structurelle parce qu'il y a beaucoup de concurrence. Elle est due à l'explosion des matières premières. Alors on ne va pas m'expliquer que pour lutter contre l'inflation, il faut monter les taux d'intérêt parce que si vous indexez les taux d'intérêt européens sur l'évolution du baril de pétrole, vous pouvez monter jusqu'au sommet les taux d'intérêt, vous ne ferez pas baisser pour autant le baril de pétrole."

Mais rien n'y fait. Le Président de la BCE rétorque directement à Nicolas Sarkozy que la lutte contre l'inflation est "vitale" à la croissance et l'emploi. La gravité de la situation échappe totalement à l'oracle Jean Claude Trichet qui intervient à contrecourant le 3 juillet. L'économie européenne s'effondre logiquement. Comble de l'humiliation pour son Président, la BCE va se trouver obligée de corriger son erreur moins de 4 mois après cette décision initiale, soit le 8 octobre 2008, et ce, dans une forme coordonnée puisque la FED interviendra le même jour. La BCE baisse enfin ses taux directeurs. Trop tard. Le mal est fait. La confiance des acteurs économiques dans la compétence de l'autorité monétaire européenne a été oblitérée.

3 années passent. La baisse des taux amorcée à la fin 2008 se poursuivra jusqu'au mois de mai 2009 et permet à l'économie de la zone euro de retrouver quelques couleurs, la croissance repart et le chômage baisse à nouveau.

Mais cela est sans compter le retour de l'interventionnisme de Jean Claude Trichet, qui va, une nouvelle fois, commettre l'irréparable. En effet, alors que l'économie européenne n'en est qu'au stade de la convalescence en cette année 2011, la BCE va relever ses taux directeurs. Cette fois ci à deux reprises. Une première fois en avril, ce qui va produire un retournement immédiat de la courbe du chômage à la hausse, puis au mois de juillet, ce qui va conduire le continent à un nouvel épisode de crise. Celle de la dette. A la différence de 2008, l'Europe est cette fois-ci seule dans ce cas. Signe que le problème est endogène. Car au même moment, les Etats Unis sont déjà lancés depuis plusieurs années dans une vaste opération de relance monétaire menée par la Réserve fédérale. Et ce, en totale opposition idéologique avec la vision défendue par les faucons de Francfort. L'obscurantisme monétaire européen sidère la planète entière. Lors de la publication de son livre « Mémoires de crise » en 2015, Ben Bernanke évoque le cas de Jean Claude Trichet (P545 édition Seuil) :

« Je ne partageais pas sa volonté de soutenir l’austérité et le resserrement monétaire en Europe. N’étant pas économiste de formation, il me semblait trop enclin à adhérer à la conception moraliste de la politique macroéconomique, que défendent beaucoup d’Européens du nord du continent, et trop prompt à dédaigner les mesures politiques visant à renforcer la demande globale dans les périodes de ralentissement économique. » Cette conception moraliste, qui aura saccagé l’idée même de progrès économique au sein de la zone euro, est à l'origine du plus flagrant naufrage monétaire depuis les années 30. Et ce, pour les mêmes raisons.

Le départ de Jean Claude Trichet à la tête de la BCE a lieu le 1er novembre 2011. Mario Draghi hérite d'une situation catastrophique et signe définitivement la fin de l'ère Trichet en neutralisant immédiatement la double erreur commise par son prédécesseur en cette année 2011. Les taux sont abaissés par deux fois, en novembre et en décembre, marquant ainsi un désaveu immédiat des décisions antérieures.

Afin de se rendre compte des dégâts commis par l'ensemble de l'œuvre Trichet, il suffit de constater l'effondrement de la demande, ici en France, entre la mi-2007 et la mi-2012, et d'identifier les moments de hausse de taux. Il convient ici de retenir que le niveau de la "demande" est sous contrôle total d'une Banque centrale, ce qui implique une responsabilité totale de l'autorité monétaire européenne dans ce plongeon.

Baisse de la demande (PIB nominal) par rapport à sa tendance pré-crise. France. Source INSEE

Si Nicolas Sarkozy veut faire un inventaire de son quinquennat, il sera utile de constater les erreurs commises par la BCE pour que celles-ci ne soient pas reproductibles dans le futur. Parce qu'avec Jean Claude Trichet à la tête de la BCE, le défi économique à relever en pleine période de crise, c’est-à-dire entre les années 2007 et 2012, consistait à essayer de nager en pleine mer avec un tractopelle accroché aux pieds. 

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