Patrick Stefanini : "La pression migratoire sur les frontières européennes est lourde de menaces pour l'UE et pour la France en particulier"<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le dispositif européen, c’est à chaque État membre de contrôler ses frontières extérieures. Malheureusement tous les États européens ne font pas les mêmes efforts à cette fin.
Dans le dispositif européen, c’est à chaque État membre de contrôler ses frontières extérieures. Malheureusement tous les États européens ne font pas les mêmes efforts à cette fin.
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

Immigration

330 000 entrées irrégulières dans l'UE ont été enregistrées en 2022, atteignant ainsi un plus haut depuis 2016.

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Atlantico : Les entrées irrégulières dans l'UE en 2022 (330 000) sont au plus haut depuis 2016, selon Frontex. Que cela vous inspire cela ?

Patrick Stefanini : D’abord, ce n’est pas une surprise. Frontex avait déjà communiqué tout au long de l’année. Une publication en octobre montrait qu’on se dirigeait - si on laisse de côté les années 2015-2016 marquées par la crise des réfugiés venus de Syrie – vers un niveau très élevé d’entrées irrégulières. Cela est dû à plusieurs phénomènes et notamment à la crise du Covid qui a déstabilisé socio-économiquement un certain nombre de pays d’origines de l’immigration dans le Maghreb, au Proche Orient et dans une partie de l’Afrique. Il y a un effet de ciseau puisque le Covid a déstabilisé les systèmes économiques et sociaux de ces pays – il n’y a pas eu dans ces pays de « quoi qu’il en coûte » - tandis que les populations ne pouvaient pas réagir par la migration car les frontières étaient fermées. Les vaccins ont permis une réouverture et une certaine liberté de mouvement, mais désormais il faut vivre avec les conséquences de la crise.

Tout cela était donc prévisible et explicable, mais cela n’en représente pas moins un véritable défi pour l’Union européenne. Elle est confrontée, à nouveau, à la question majeure du contrôle de ses frontières extérieures et de sa capacité, ou pas, à empêcher ces entrées illégales. Avoir ces statistiques est déjà un signe de progrès, car par définition les entrées irrégulières si elles étaient totalement clandestines, nous n’en saurions rien. Là, ces données font suite à des arrestations. Il reste que la situation est très inquiétante. La pression migratoire sur les frontières européennes est de nouveau extrêmement forte. Cette poussée est lourde de menace pour l’UE mais en particulier pour la France et les pays d’Europe du Nord.

Quelles devraient être les réponses à ce constat ?

Dans le dispositif européen, c’est à chaque État membre de contrôler ses frontières extérieures. Malheureusement tous les États européens ne font pas les mêmes efforts à cette fin. L’Espagne et l’Italie ( avant l’arrivée au pouvoir de Georgia Meloni) se pensaient comme étant des États de transit et n’éprouvaient guère le besoin de contrôler sérieusement leurs frontières extérieures.

C’est en train d’évoluer en Italie, mais il faut expliquer aux Espagnols qu’ils doivent eux aussi réagir. La Grèce qui a longtemps été une passoire a fait considérablement évoluer sa politique, à la faveur de l’arrivée d’un gouvernement conservateur. Il faut donc que les États renforcent le contrôle de leurs frontières extérieures. Il faut aussi renforcer les moyens de Frontex. C’est un instrument à la disposition des Etats quand ils souhaitent renforcer leur action.

Y-a-t-il des mesures d’urgence à prendre ?

L’agression Gare du Nord a été commise par un individu, sans doute Libyen, frappé par par 2 OQTF en pratique inapplicables car on ne peut pas le renvoyer en Libye où sévit depuis plusieurs années une guerre civile et où l’Etat est très faible, voire inexistant. Outre la Libye, il y a d’autres pays vers lesquels on ne peut pas renvoyer leurs clandestins soit parce que l’Etat y est trop faible, soit au contraire parce qu’il s’agit de dictatures qui persécutent leurs ressortissants : l’Iran, la Syrie ou encore la Biélorussie.

Il faut donc être particulièrement rigoureux pour contrôler les personnes originaires de ces pays en amont, puisqu’on sait que si on les laisse entrer à tort, on ne pourra plus les reconduire. Il faudrait donc une coordination européenne sur cet enjeu.

Par ailleurs, il y a sur la table un pacte européen sur l’immigration et sur l’asile. La présidence française n’a pas permis de le faire aboutir. La présidence suédoise dit qu’il ne verra pas le jour avant 2024. Il faudrait pourtant accélérer. Le système de Dublin ne fonctionne plus correctement, plusieurs pays ne l'appliquent pas. Il faudrait soit rétablir le bon fonctionnement de Dublin, soit le remplacer par d’autres accords. Mais pour l'instant, on ne le fait pas.

Il faudrait aussi une coopération bien plus développée en matière de fichiers. Et notamment que les agents en charge de l’immigration aient accès aux fichiers de police, et inversement. Ça existe dans certains pays, dont le nôtre, mais il faut que les agents aient le réflexe et le temps de le faire. La lutte contre l’immigration clandestine se joue sur nos frontières extérieures. Il est très difficile d’agir une fois que les personnes sont sur notre territoire.

45% des entrées irrégulières se font via la route des Balkans. Comment expliquer cette situation ?

Il y a deux routes principales. La route de la Méditerranée centrale, par l’Italie, qui explique la pression particulière qu’elle subit. Cela doit nous pousser à avoir une coopération particulière avec ce pays. L’Italie vient de prendre un décret relatif aux associations qui viennent en aide aux migrants en mer. On sait que cette activité a besoin d’être contrôlée car les associations qui affrètent des bateaux le font parfois en étant peu soucieuses des règles maritimes.

Ensuite la route des Balkans. Elle est d’abord une route maritime, puis une route terrestre jalonnée par des pays comme le Monténégro, l’Albanie ou la Serbie. Comme ces pays n’appartiennent pas à l’Union européenne, ils ne contrôlent pas leurs frontières avec suffisamment de rigueur . Et une pression migratoire maximale s’exerce sur la Croatie ou la Hongrie qui appartiennent à l’Union européenne et qui sont en première ligne pour contrôler les migrants ayant transité par la route des Balkans. Il faudrait exiger des pays qui veulent adhérer à l’UE et notamment de la Serbie et de l’Albanie qu’ils coopèrent davantage avec Frontex pour freiner l’arrivée de migrants économiques clandestins dans l’Union européenne.

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