Les ravages de la financiarisation en France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La Défense, le quartier de la finance à Paris.
La Défense, le quartier de la finance à Paris.
©

Bonnes feuilles

La finance est devenue toute-puissante. Pas un jour sans connaître les mouvements du CAC ou du NASDAQ, pas une semaine sans analyse du change, pas un mois sans fermeture d'usine, pas un an sans inquiétude sur la dette publique, pas une décennie sans une crise financière. Un ouvrage qui décrypte trente ans de financiarisation de l'économie, propose un examen détaillé de l'articulation entreprise/ finance et avance des propositions - analysées et commentées par Michel Aglietta - pour mieux penser l'économie réelle. Extrait de "L'entreprise liquidée", de Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot, aux éditions Michalon 2/2

Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot

Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot

Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot sont tous trois maîtres de conférences et cherhceurs au CNRS.

Voir la bio »

En France, c’est en 1867 que les sociétés anonymes (SA) disposent du droit de se constituer sans autorisation gouvernementale préalable ; les SA se généralisent d’autant plus que la responsabilité limitée est associée à la disposition de 1867. La responsabilité limitée signifie que les actionnaires ne peuvent perdre que le capital apporté, mais ne sont pas responsables des dettes de la société sur leur patrimoine personnel. Auparavant, cette faveur n’était concédée qu’en raison du caractère extrê- mement risqué des travaux entrepris. Elle va maintenant s’accompagner d’une prise de pouvoir considérable. C’est en effet par l’article 27 de la loi du 24 juillet 1867 que le principe de proportionnalité « une action = une voix » devient la norme. En dépit de résistances, le Conseil d’État privilégia un principe de proportionnalité (Lefebvre-Taillard, 1985). La limitation des droits de vote par tête, caractéristique de la première moitié du xixe siècle (Morck, 2006), cède alors la place à la représentativité du capital.

L’élément clé dans ces évolutions réside dans le fait que, l’entreprise prenant la forme d’une société, les actionnaires ne sont plus directement propriétaires de ses avoirs et de son appareil productif. Ils sont seulement propriétaires de leurs actions, ce qui leur confère toutefois un ensemble de droits et de pouvoirs non négligeables dans la société juridiquement indépendante. Ces droits et pouvoirs s’articulent au travers du triptyque suivant : les actionnaires, les membres du conseil L’élément clé dans ces évolutions réside dans le fait que, l’entreprise prenant la forme d’une société, les actionnaires ne sont plus directement propriétaires de ses avoirs et de son appareil productif. Ils sont seulement propriétaires de leurs actions, ce qui leur confère toutefois un ensemble de droits et de pouvoirs non négligeables dans la société juridiquement indépendante. Ces droits et pouvoirs s’articulent au travers du triptyque suivant : les actionnaires, les membres du conseil l’interface entre l’assemblée générale des actionnaires et la société, support juridique de l’entreprise. Cette entreprise peut s’identifier à une simple société de capitaux, mais elle peut aussi correspondre à un groupe de sociétés formé d’une société mère ou société holding contrôlant un ensemble d’autres sociétés, nommées les filiales.

En dépit de cette répartition claire, les confusions sont fréquentes dans les médias sur qui détient l’entreprise. Clairement, en droit, les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise. Certes, ils possèdent des actions d’une société, mais ils ne possèdent pas l’entreprise (J.P. Robé, 1999). Bien évidemment, les actionnaires ont des droits liés à la détention de leurs actions : voter sur les décisions en assemblée générale, par exemple, l’octroi de dividendes ou la révocation des administrateurs… Mais, les actionnaires n’ont pas tous les droits : il n’y a rien d’automatique dans la décision de verser des dividendes (on peut même estimer que l’actionnaire se rémunère lorsqu’il revend son action, si le cours de cette action a monté) et il n’y a aucune obligation légale pour l’entreprise de maximiser les profits en laissant de côté des projets d’investissement moins rentables. Pourtant, Patrick Pouyanné, directeur général de Total, déclarait en septembre 2015 qu’il souhaitait diminuer les investissements pour préserver le dividende. Devant un public de financiers, il se vantait aussi d’être le premier pétrolier à avoir lancé un plan d’économies destiné à réduire les coûts. Pour faire face à la baisse des prix du pétrole qui limite les entrées de cash, la stratégie est de limiter les déboursements d’argent, que ce soit par une réduction des dépenses d’investissement ou des charges générales. Les versements de dividendes deviennent garantis, quel que soit le niveau effectif des profits, quitte même à s’endetter pour rendre du cash aux actionnaires. Ainsi, touchées par les prix bas du pétrole qui affectaient négativement leurs profits, les 5 grandes compagnies pétrolières (Exxon-Mobil, Chevron, BP, Shell et Total) ont cédé pour 30 milliards de dollars d’actifs et se sont endettées pour 20 milliards afin de distribuer au total plus de 70 milliards à leurs actionnaires en 2014 (Les Échos, 1er novembre 2015). Le totem de la valeur actionnariale, c’est de maximiser les sommes disponibles pour la distribution de dividendes.

Il n’y a rien d’automatique à ce que les entreprises recherchent la valeur actionnariale, et pourtant elles le font systématiquement car les administrateurs sont nommés par les actionnaires. Toute la logique de la gouvernance repose in fine sur eux : certes, ce sont les dirigeants de l’entreprise qui prennent les décisions, mais ces dirigeants sont contrôlés par le conseil d’administration, et ce conseil est lui-même contrôlé par l’assemblée générale des actionnaires. Le poids des différents actionnaires dans le capital de l’entreprise se reflétera dans des droits de vote en assemblée générale, donc dans des élections d’administrateurs représentant les plus gros actionnaires au sein du conseil d’administration, donc dans des politiques managériales qui agréent à ces administrateurs. Le premier objectif d’une direction d’entreprise sera de ne pas nuire aux intérêts des actionnaires et des administrateurs qui lui ont assuré cette position. Comment plaire à des actionnaires ? Garantissez-lui que le cours de Bourse grimpera. Pour cela, réduisez les projets d’investissement les moins rentables, et distribuez le cash économisé en dividendes. Vous pouvez aussi rétablir les marges de profit en serrant la politique sociale de l’entreprise, en pressant les fournisseurs et en vous concentrant sur les seuls métiers/marchés les plus rentables. C’est justement ce qu’a essayé de faire le groupe Carrefour suite à l’arrivée dans son capital en 2007 du fonds d’investissement Blue Capital. Outre une sévère politique de réduction d’effectifs, le groupe a cédé des actifs en se retirant de certains pays, ce qui lui a permis d’accumuler de quoi procéder à des versements de dividendes et des rachats d’actions alors même que l’activité du groupe reculait au plus fort de la crise. Même quand la performance économique n’est pas au rendez-vous, les actionnaires obtiennent des versements financiers.

Extrait de "L'entreprise liquidée", de Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot, publié aux éditions MichalonPour acheter ce livre, cliquez ici

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

La grande crise de 2008 trouve-t-elle une part de ses racines dans l'expansion économique massive initiée par le président Reagan ?2008, la crise que personne n'avait su gérer : comment l'austérité a mis l'Europe du sud à genoux en provoquant une migration historique de ses populations les plus qualifiées vers le Nord

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !