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Pour ce qui est de l’école, on s’arrange pour qu’elle ne transmette plus ni les mots pour le dire, ni les mots pour penser.
Pour ce qui est de l’école, on s’arrange pour qu’elle ne transmette plus ni les mots pour le dire, ni les mots pour penser.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Penseurs d’hier, politiques d’aujourd’hui : la chronique d’Isabelle Larmat

Relisons Jean-Paul Sartre et Philippe Muray.

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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Je suis rustique et fier, et j’ai l’âme grossière :

Je ne puis rien nommer, si ce n’est par son nom,

J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon

En 1666, déjà, dans sa première Satire, Boileau s’insurgeait contre l’euphémisation voire l’escamotage du réel par des vocables édulcorés. Ainsi revendiquait-il le droit de désigner justement un procureur véreux. Si cette propension à planquer le monde tel qu’il est sous les mots n’est pas née d’hier, force est de constater qu’elle s’accroît dangereusement et peut-être pourrait-on se demander à qui profite le crime. 

Je vous fais grâce ici de la très belle phrase de Camus, malheureusement éculée à force d’être trop souvent citée. C’est pourquoi je convoquerai Sartre, qui, quel que soit son rapport au réel, souvent biaisé, avait néanmoins le sens de la formule. Dans « Qu’est-ce que la littérature ? », 1948, le philosophe qui cite opportunément Boileau sert mon propos à venir : « La fonction d’un écrivain est d’appeler un chat unchat. Si les mots sont malades, c’est à nous de les guérir. Au lieu de cela, beaucoup, vivent de cette maladie. » 

Les mots sont malades ou plutôt on les a rendus malades. On les arase, on les émousse, dans le but de mimer une tendresse frelatée qui finit par confiner à la bêtise à force d’édulcoration : « le papa » et « la maman », en lieu et place des « père » et « mère ». On les féminise injustement au nom de l’égalité homme -femme : « la ministre », « l’auteure », « la professeure ». On les fabrique laidement, là ou d’autres existaient déjà, croyant éclairer plus justement. Qu’on se le dise un « féminicide » n’en reste moins un homicide. On ne réduit plus les minorités au silence, on les « silencie ». 

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On note de jour en jour le surgissement de vocables désincarnés et laids, auxquels, à moins d’être initié (Ce qu’on s’empresse de faire pour ne pas être désigné à la vindicte générale.) on ne comprend rien : « racialisation », « néoféminisme » ou autre « intersectionnalité ». Ces termes ne semblent exister que dans le but de focaliser l’attention sur des sujets, choisis avec soin, qui ne constituent pas forcément une priorité absolue, comme pour faire oublier les vraies questions que pose notre époque. Pour évoquer les problèmes urgents auxquels est confrontée notre société, c’est l’euphémisation qui prévaut, comme pour mieux faire passer la pilule. 

Alors qu’un élève vient de tenter d’égorger son professeur de français au lycée Malherbe de Caen, le proviseur de l’établissement, via Pronote, s’adresse aux parents et aux élèves en intitulant son message : « incident grave » cet oxymore en dit long sur la volonté de gommer le réel. Dans le message lui-même, il est question « d’acte absolument inqualifiable. ». Nous, on propose bêtement «  tentative d’égorgement » pour qualifier « l’acte » en question. Mais on attend quand même Pap Ndiaye pour bien nommer les choses, il a promis de passer au lycée Malherbe, quand il aurait un peu de temps, entre deux dissertations sur le sexe des anges. Quoi qu’il en soit, il a vite adopté la rhétorique gouvernementale et « condamne avec fermeté cet acte ». Après tout, ça n’est pas comme s’il y avait eu mort d’homme. 

On vient également de parler de « rapatriement » à propos des femmes et des enfants de djihadistes. Comment galvauder davantage un mot ? Qui dit « rapatriement » laisse entendre que patrie et patriote il y a… Sérieusement, sur ce coup- là, je m’interroge.Et tout est à l’avenant. 

Et c’est aux politiques que le crime profite. Bien sûr, à ceux d’extrême gauche, écolos, LFI ou autres ralliés de la Nupes. Sectateurs du Bien, ils oeuvrent pour l’avènement d’un monde nouveau qu’on n’envisage pas sans terreur. Y règneraient l’égalitarisme, le nivellement par le bas et autres joyeusetés qu’on a peine à nommer :un monde « par-delà l’androcène » pour reprendre le titre du petit manifeste écoféministe commis récemment par Sandrine Rousseau, Adélaïde Bon et Sandrine Roudaut. 

Ce sont également les progressistes qui survivent en rendant nos mots malades. Grâce à eux, ils font diversion afin qu’on oublie leurs échecs et leurs cafouillages. (Les discours fumeux de notre Éloquent de la République ne me démentiront pas.) Les mots malmenés servent le gouvernement dans son art de sursoir et de ne rien entreprendre. Ainsi se maintient-il, la tête hors de l’eau, entre deux chèques énergie distribués, la mise en place de quelques cellules de crise, force numéros verts et la création de comités Théodule pour réfléchir à la marche du monde et surtout ne rien faire. 

Pour ce qui est de l’école, de toute évidence, on s’arrange pour qu’elle ne transmette plus ni les mots pour le dire, ni les mots pour penser. L’esprit critique et l’ironie se meurent, dans l’absence de toute dignité. Le psittacisme règne. Les jeunes générations, décérébrées à dessein répètent à l’envi et à l’infini néologismes et euphémismes vides de sens. Il s’agit d’être confortablement et sans douleur de son époque et de se nicher dans la ouate de la tiède pensée commune. L’homme en bermuda a triomphé : claquettes et chaussettes pour tous.

« Mais cette école du Oui, avec ses cours accélérés d’amen universel, n’est que le versant plus ou moins souriant (il faut le dire vite) d’un ample programme de persécution de tout ce qui n’adhérerait pas dans les meilleurs délais à ce Oui et à cet amen. Par temps hyper-festif, et quand le mutant posthistorique prend ses aises, il convient de ne plus le déranger avec ce qui ressemble à du désaccord, de la divergence d’opinion, de la discorde, de l’opposition ou du dissentiment, c’est-à-dire, en somme, avec de l’humanité trop humaine. » 

Philippe Muray, « Après l’Histoire », Novembre 1999 

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes.

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