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Une paysanne en Chine.
Une paysanne en Chine.
©AFP

Agriculture

A leurs niveaux actuels, les prix des produits agricoles privent la majorité des paysans de la planète de revenus décents, et même du minimum vital nécessaire pour ne plus faire partie des populations les plus démunies, selon l’organisation non gouvernementale Oxfam, dans son rapport intitulé "Derrière le code-barre, des inégalités en chaines". En cause, les chaines internationales de la grande distribution mais aussi les multinationales oligopolistiques de l’agrofourniture.

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Elles ne cessent d’accroître leurs marges pour mieux rémunérer leurs dirigeants et leurs actionnaires. Pourtant, quelques mesures économiques et sociales suffiraient pour répartir plus équitablement, en faveur des paysans, les marges pratiquées tout au long de la chaine alimentaire.

13,9 % (ou un septième) seulement du prix des produits alimentaires reviennent aux paysans

Le rééquilibrage des relations commerciales entre les paysans et la grande distribution est un défi à relever à l’échelle de la planète pour trouver un remède à la pauvreté. Celle-ci affecte des centaines de millions d’agriculteurs et d’éleveurs. « Et la part du prix final d’un panier de produits alimentaires, qui leur revient, n’est que de 13,9 % en moyenne », affirment Robin Willoughby et Tim Gore, les auteurs d’une étude de  l’Ong Oxfam. Elle est intitulée « Derrière le code barre, des inégalités en chaines ».

Autrement dit, les produits agricoles ayant servi à la composition d'un panier standard de produits alimentaires d’une valeur de 100 dollars (100 $), ont été payés 13,9 $ aux paysans.

Et si ce même panier de 100 dollars est uniquement composé de douze produits issus de matières premières agricoles et de la pêche importés de pays émergents — avocats (Pérou), bananes (Équateur), thon en conserve (Thaïlande), cacao (Côte-d’Ivoire), café (Colombie), raisin (Afrique du Sud), haricots verts (Kenya), jus d’orange (Brésil), riz (Thaïlande), crevettes (Vietnam), thé (Inde), tomates (Maroc) — les paysans ne perçoivent que 6,7 % de la valeur des produits alimentaires (6,7 $ pour 100 $ dépensés par le consommateur).

« Par ailleurs, les analyses réalisées sur ces douze produits font apparaître un recul massif des prix à l’exportation pour certains produits. Par exemple, des baisses de 74 % entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2010 dans le cas des haricots verts du Kenya et de 70 % dans le cas du jus d’orange brésilien, écrivent Robin Willoughby et Tim Gore. Cette tendance a contribué au recul des prix payés aux paysans et aux producteurs, qui désormais recouvrent à peine le coût de production. »

La concentration des chaines de la grande distribution et l’organisation oligopolistique des industries de l’agrofourniture explique ce déséquilibre croissant. Les paysans et les salariés agricoles ne sont pas organisés pour négocier des prix rémunérateurs en créant un rapport de force qui leur soit favorable. En conséquence, les chaines de la grande distribution maintiennent ainsi des millions de paysans et de salariés dans la pauvreté, avec des revenus et des salaires qui ne leur permettent même pas de se nourrir décemment.

Depuis les années 1990, la libéralisation de l’économie mondiale et des échanges commerciaux accentue les écarts de répartition de valeur ajoutée. Il y a 20 ans, la part du prix final des prix alimentaires qui revenait aux paysans était de 16 $ pour 100 $ dépensés et de 8,8 $ pour le panier de 12 produits agricoles et de la pêche en provenance des pays émergents.

Dans le même temps, la grande distribution capte, en moyenne, 30 % des produits alimentaires achetés par les consommateurs et même 43 % du prix final du panier de 12 produits. Les industriels de la transformation voient aussi leurs marges se réduire depuis vingt ans tandis que les multinationales de l’agrofourniture (engrais, semences) ont doublé leur emprise, passant de 3,9 % à 6,7 % de la valeur des paniers de produits alimentaires. Et tous les gains réalisés ont été employés pour accroître les dividendes des actionnaires et les revenus des dirigeants de la grande distribution, déplorent Robin Willoughby et Tim Gore.

10 % de dividendes en moins pour les actionnaires, et des centaines de milliers de producteurs de producteurs retrouveraient un niveau de vie acceptable

En conséquence, les producteurs des douze produits ne dégagent pas un revenu suffisant « pour leur procurer un niveau de vie décent, et respectueux des droits humains » dans leur pays, démontrent les auteurs de l’étude d’Oxfam.

Par exemple, les producteurs kenyans de haricots vivent avec un revenu inférieur de moitié au revenu vital nécessaire dans leur pays.

Plus démunies parmi les plus démunis, les paysannes et les salariées agricoles évidemment. Celles qui travaillent dans les exploitations où sont cultivés les  douze produits pris en références, leur salaire ou leur revenu représentent en moyenne du 55 % du minimum vital requis dans leur pays pour commencer à vivre décemment. Tandis que celui des hommes est de 71 %.

Robin Willoughby et Tim Gore rapportent que « le directeur général de supermarché le mieux payé au Royaume-Uni gagne en l’espace de cinq jours autant que ce qu’une femme mettrait toute sa vie à gagner à ramasser le raisin dans une exploitation typique d’Afrique du Sud ».

Autrement dit, « les résultats de notre enquête montrent que les géants de la grande distribution empochent une proportion croissante de l’argent dépensé par leurs clients, tandis que la part modique réservée aux producteurs de leurs denrées alimentaires se réduit comme peau de chagrin ».

Les solutions suggérées par Oxfam, pour rééquilibrer quelle que peu la répartition des richesses tout au long de la chaine alimentaire, ciblent d’abord les actionnaires, autrement dit les apporteurs de capitaux. Et dans une moindre mesure les consommateurs et les contribuables de la planète.  

« Seulement 10 % des dividendes versés aux actionnaires des trois premières chaines de grandes surfaces américaines (Walmart, Costco et Kroger) en 2016 suffiraient pour hisser au minimum vital le salaire de plus de 600 000 ouvriers du secteur thaïlandais de la crevette ».

Ou encore, « 10 % des dividendes versés en moyenne aux actionnaires des supermarchés britanniques permettraient aux cueilleurs sud-africains de raisins de percevoir l’équivalent d’un revenu vital », ajoute l’Ong.

En fait, les dividendes des actionnaires des entreprises de la grande distribution ne suffiraient pas pour rééquilibrer la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaine alimentaire en faveur des paysans des pays émergents en particulier. Et sur ce point, l’Ong entretient la confusion et le doute.

Sans la prodiguer explicitement, Oxfam évalue à quelques pourcents la hausse nécessaire des prix de vente à la consommation pour sortir les paysans et les salariés des pays émergents de la pauvreté en leur assurant un minimum vital.

Pour les 12 produits pris en référence, une augmentation des prix à la consommation de 1 % pour les bananes d’Equateur ou encore de 2 % pour les haricots kenyans garantirait des revenus au moins équivalent au minimum vital des populations agricoles.

L’expérience a montré que la fixation de prix minimum contribue à une meilleure répartition de la valeur ajoutée en faveur des producteurs. Lorsque les produits agricoles bénéficient d’un prix garanti, la part du prix final revenant  aux producteurs est alors deux fois plus importante (6 % du prix final contre 2,8 % sans prix garanti). Pour les salariés, avoir l’assurance de bénéficier d’un salaire minimum (un smic local) leur procurerait un niveau de vie décent.

« Avec un salaire minimum supérieur à 50 % du PIB mensuel par habitant, les ouvriers marocains font partie des 77 % de salariés bénéficiant d’un revenu équivalent à 77 % du revenu vital », écrivent Robin Willoughby et Tim Gore. Dans les pays où le salaire minimum n’a pas été instauré, le salaire moyen est inférieur à 50 % du PIB mensuel par habitant.

Là où la grande distribution est très concentrée, il revient aussi aux pouvoirs publics de démanteler le secteur pour redynamiser la concurrence et faire augmenter les prix à la production.

Cet article de Frédéric Hénin est également paru sur WikiAgri.

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