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L’humanitaire serait-il en train de perdre son âme en devenant une sorte de marché dont les ONG se disputent les parts à coups de campagnes marketing ?
L’humanitaire serait-il en train de perdre son âme en devenant une sorte de marché dont les ONG se disputent les parts à coups de campagnes marketing ?
©Reuters

A vot' bon coeur

A Haïti, l'Observatoire des politiques publiques et de la coopération internationale dénonce la responsabilité des ONG dans l'aggravation de la crise du logement. Faudrait-il remettre en cause leur travail ?

Rony Brauman

Rony Brauman

Médecin de formation, ancien président de Médecins sans Frontières.

Auteur de plusieurs ouvrages sur la médecine, l'humanitaire et les grands conflits.

 

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Atlantico : A Haïti, l'Observatoire des politiques publiques et de la coopération internationale dénonce la responsabilité des ONG dans l'aggravation de la crise du logement. L’humanitaire serait-il en train de perdre son âme en devenant une sorte de marché dont elles se disputent les parts à coups de campagnes marketing ?

Rony Brauman : L’humanitaire est un marché au sens le plus factuel du terme : il y a des donateurs, qu’ils soient institutionnels ou privés, des actions à mener et des vitrines publiques à conquérir et entretenir. Cela donne au domaine de l’aide internationale privée une allure de marché concurrentiel où on se bouscule pour avoir accès aux donateurs et aux médias. Personne ne peut le contester.

Dans ce contexte, l’important, et ce n’est pas garanti d’avance, c’est que l’action ne soit pas déterminée par les critères du marché, mais par les besoins de la population. Cela demande un examen fin, au cas par cas.

Parfois, c’est l’emballement collectif qui détermine la priorité des besoins. Le dernier grand épisode de ce type a été le tsunami en Asie du sud-est, en décembre 2004 : le Sri-Lanka et l’Indonésie étaient devenus les endroits où il fallait se montrer, peu importait ce qu’on y faisait. C’en était complètement caricatural, et les quelques personnes qui essayaient d’apporter un peu de calme et de raison et qui tentaient de rappeler qu’ils y avait des situations autrement plus sérieuses au Niger ou au Darfour étaient considérées comme des malotrus. Ce sont des moments où l’humanitaire ne perd pas son âme : il perd la tête.

Mais dans l’ordinaire de l’action, les choses sont plus prosaïques, il n’y a pas cette hystérie. Au Sud Soudan, au Kenya, en Tanzanie, etc., il n’y a pas de compétition pour s’adjuger des parts de marché. Les gens qui vont sur le terrain ne sont pas des brutes qui veulent planter leur drapeau pour qu’il soit plus visible que les autres.

Aujourd’hui, les fonds à vocation humanitaire totaliseraient près de 600 milliards de dollars. La fondation Gates pèse à elle seule 70 milliards de dollars. Ne risque-t-on pas de voir des fondations privées contrôler totalement l’aide au développement ?

Les fonds privés ont depuis longtemps joué un rôle important dans le domaine caritatif. Pensez à la fondation Ford ou à la fondation Rockefeller, qui ont joué dans le domaine de la santé publique internationale un rôle vraiment très important. Gates ne fait que prendre la suite d’une tradition bien établie, à l’histoire longue et pas honteuse : un certain nombre de vaccins et de luttes victorieuses contre des épidémies sont dues à des fondations de ce type, qui ont financé à la fois recherche et interventions pratiques.

Je ne suis pas un inconditionnel de la fondation Gates, car je vois bien que derrière, il y a des enjeux idéologiques et commerciaux assez forts. Par exemple, la protection des brevets, le fait de financer les médicaments de marques plutôt que de fournir des génériques, etc. Mais ce sont des problèmes liés à notre époque, pas exclusifs à l’action de Gates dans le caritatif. Le brevetage du vivant, mais aussi la marchandisation généralisée se retrouvent également dans l’aide internationale, car elle est bien évidemment traversée par les grands courants de notre temps.

Quant à l’aide au développement, elle n’est pas privée du tout. Ce sont exclusivement les États, les ONG et les organismes internationaux qui en assurent le roulement quotidien. Sauf si on considère, c’est une autre acceptation du terme d’aide au développement, que les entreprises sont facteur de développement. Mais on sort là du cadre humanitaire. On est alors dans l’idée que c’est le commerce, la production qui assurent le développement.

Un article de Slate revient sur le cas de Nairobi, où de nombreuses ONG et organisations internationales se sont établies. Une manne dont les associations locales estiment ne pas suffisamment profiter. S’installer à Nairobi, est-ce seulement une vitrine pour ces organisations ?

Cela me semble être un mauvais procès. Nairobi est une capitale régionale, et il n’y a rien de surprenant qu’on y trouve des ONG qui travaillent en Afrique. En plus, et c’est sans doute la première des raisons, Nairobi est le lieu d’où on part pour le sud Soudan et la Somalie, des endroits où se déroulent de nombreuses actions pour le développement et enquêtes sur les Droits de l’homme. Tous les différents registres de l’aide internationale apportée par les ONG se retrouvent à Nairobi, et on comprend que des bureaux étoffés s’y soient installés.

Les locaux se plaignent de l’impact de la présence d’expatriés sur les loyers ou les prix des denrées. Est-ce un argument que vous comprenez ?

Nairobi est une métropole énorme, ce n’est pas une bourgade plus ou moins assoupie qui serait investie par quelques groupes d’expatriés qui pourraient distordre l’économie. Elle compte plusieurs millions d’habitants et est le siège de nombreuses agences de presse et d’agences de l’Onu. Je doute que l’influence des expatriés soit si forte que ça, compte tenu de la taille de la ville. Cet impact sur les loyers ou les prix des produits se voit en effet dans certains afflux d’ONG sur des villes ou bourgades de taille moyenne, mais à l’échelon de Nairobi, je suis sceptique.

Par ailleurs, on dit souvent que Nairobi est le lieu où se trouvent les plus grands bidonvilles d’Afrique, et je peux témoigner que ce sont des endroits très durs à vivre. Nairobi a aussi des décharges sauvages dans certains quartiers de la ville… Il me semble que ce sont des problèmes, avec la pollution et l’insécurité, beaucoup plus sérieux que le problème des loyers que l’afflux d’ONG peut entrainer.

La France, qui prend la tête des Nations unies pour un mois, veut en profiter pour "accentuer l'aide humanitaire aux Syriens". Quel rôle peuvent avoir les ONG dans la crise syrienne, alors que l’Onu est pour l’instant impuissante ?

Leur rôle est pour le moins congru. De fait, des ONG, en très petit nombre, interviennent en Syrie. MSF a une mission là-bas, le CICR aussi. Amnesty a joué un rôle en alertant l’opinion sur les exactions commises. Cela étant, c’est une guerre à huis clos dont les échos nous parviennent pour l’essentiel par l’opposition syrienne, et on se sent impuissants face à un tel désastre.

L’action menée par MSF, par exemple, consiste à donner des médicaments, à soigner des blessés à l’intérieur et à l’extérieur du pays. On a soigné des centaines de personnes, ce n’est pas rien, mais par rapport à l’échelle de ce qui s’y passe, on voudrait faire beaucoup plus. On ne le peut pas, et je ne crois pas que la présidence de la France du conseil de sécurité changera quelque chose à cela.

 Propos recueillis par Morgan Bourven

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