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Le Conseil constitutionnel va se prononcer sur la réforme des retraites ce vendredi 14 avril.
Le Conseil constitutionnel va se prononcer sur la réforme des retraites ce vendredi 14 avril.
©Hans Lucas via AFP

Décision des Sages

Si les procès en illégitimité fait au Conseil constitutionnel sur le thème du gouvernement des juges à l’occasion de l’examen du texte sur la réforme des retraites n’ont pas de fondements, un autre procès pourrait lui être fait. Mais ce n’est pas celui dont on nous parle.

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet est professeur émérite de droit public.

 

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Atlantico : Certains des requérants mais aussi les syndicats critiquent le manque d'impartialité au sein du Conseil dont l'ex-ministre d'Emmanuel Macron, Jacqueline Gourault. Quelle est la légitimité de ces critiques ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Le Conseil constitutionnel a toujours été composé d’anciens parlementaires, d’anciens ministres, etc. Ce n’est pas nouveau et il est très bien qu’il en soit ainsi. Il est absurde de demander à ce qu’il n’y ait dans cette institution que des professeurs de droit ou des juristes professionnels, comme si cela les protégeait de tout militantisme. On essaie de nous faire croire que les anciens élus seraient politiques là où les juristes ne le seraient jamais.

C’est évidemment faux. Il y a des idéologues parmi les juristes. Les membres du Conseil sont des personnalités qui ont l’habitude de faire la loi, ils ont participé à des révisions constitutionnelles, etc. Et bien entendu, ils sont sous contrainte et mesurent les conséquences de leurs actes et leurs limites. Certains reprochent au Conseil constitutionnel de ne pas jouer suffisamment le rôle de contre-pouvoir. Mais il n’a pas été créé pour cela !Le Conseil constitutionnel est là pour appliquer la Constitution, telle qu’elle a été voulue et écrite. Celui qui fait la loi, c’est le législateur. Pour la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel va devoir vérifier sa conformité, notamment procédurale, à la Constitution.

De ce côté, tout ce qu’a fait le gouvernement relève des armes constitutionnelles du parlementarisme rationnalisé. La question qui va notamment se poser est celle de la loi organique relative aux lois de financements de la sécurité sociale. Cette dernière a fait l’objet d’un contrôle obligatoire et automatique de conformité à la constitution. Or elle a été modifiée notamment en mars dernier afin de contenir un peu plus de choses qu’elle ne le permettait auparavant. Le Conseil d’Etat a été saisi pour avis sur le projet deloi.S' il avait constaté une violation ou un détournement de procédure, il n’aurait pas manqué de le signaler. Bien sûr, c’est un avis donné avant les débats. Mais le gouvernement n’a rien fait d’inconstitutionnel pendant ces débats. Il faut rappeler que notre Constitution a été faite par Charles de Gaulle et Michel Debré pour éviter le retourd’un régime d’assemblés comme la IVe République, c’est-à-dire l’inefficacité et l’instabilité gouvernementale chroniques.La Constitution a été pensée au service de l’efficacité de l’Etat. Et le Conseil constitutionnel est le rouage essentiel de tout celapour encadrer les Assemblées. Il a été conçu commele « chien de garde de l’exécutif », selon l’expression de Michel Debré. En revanche, lorsque le Conseil constitutionnel a décidé en 1971 de se prononcer sur le fond des lois par rapport au Préambule de la Constitution, ce fût un véritable coup de force car ce n’était pas du tout la volonté des constituants. Le rôle du Conseil constitutionnel n’est sûrement pas de rendre inefficaces les institutions de la Ve République, bien au contraire.

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Robert Badinter et le Doyen Vedel parlaient du « devoir d’ingratitude » des sages. Est-ce une garantie supplémentaire ?

Bien sûr, il ne faut pas qu'une personne nommée par une autorité se sente ensuite obligée de lécher les bottes de cette dernière. On peut toujours interroger la notion d’indépendance. Bien sûr que les Sages ne reçoivent pas d’ordre de ceux qui les ont nommés et n’ont pas à chercher à leur plaire. En revanche, ils ont à prendre en compte les raisons pour lesquelles leur institution existe et la nature des pouvoirs qui leur sont attribués et les normes de références qu’ils ont à manipuler. La constitution a été créée pour que les assemblées ne sortent pas des rails que laConstitution leur a imposés. Et le Conseil constitutionnel y veille globalement.

Le 49-3, c’est une question de confiance sur un texte : « Vous vous soumettez ou vous me démettez ». C’est ce que De Gaulle faisait avec ses référendums. Il disait que si un texte essentiel à ses yeux était refusé par une majorité de Français, il quittait le pouvoirle lendemain à 12H. C’est ce qu’il a très démocratiquement fait en 1969. Qu’on le regrette ou non, la censure n’a pas été votée contre la réforme des retraites, donc la loi est adoptée.

Cela veut-il dire qu’il n’y a aucun reproche à faire au Conseil constitutionnel ?

S’il y a des reproches à faire, c’est lorsqu’il examine le fond des lois en interprétant discrétionnairement des dispositions vagues et floues qu’il « invente » même parfois.Si le Conseil constitutionnel décidait d’annuler une disposition de la loi sur les retraites au motif qu’elle porte atteinte au droit des vieux travailleurs aux loisirs et au repos, prévu dans le préambule de 1946, on pourrait sans doute lui reprocher de « gouverner » en substituant son appréciation àcelle du parlement.Ce serait aussi abusif que d’avoir donné valeur constitutionnelle à la « fraternité » de la devise pour censurer une loi réprimant l’aide aux migrants illégaux. Quand le Conseil gouverne ou se substitue au législateur en jugeant en opportunité, il sort de ses attributions. Le Conseil constitutionnel, même s’il est plus prudent que d’autres juridictions, prend parfois certaines décisions contestables. Mais il est globalement plus discret et pratique plus le self restraint.  Concernant le mariage gay, par exemple, il y avait un argument imparable dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais en 2013, puisqu’il ne voulait pas annuler la loi, il a trafiqué son raisonnement. On pourrait dire que c’est politique, mais en fait non, puisqu’il considère que, sur les sujets sociétaux, il ne doit pas intervenir car ce n’est pas au juge de décider.

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Et quand le Conseil constitutionnel s’inspire de ce que fait, par exemple, la CEDH ?

Le Conseil constitutionnel n’est pas le juge de la conformité des lois audroit européen. En revanche, il est clair qu’il « s’inspire » parfois des décisions européennes. Il n’a pas à appliquer le droit européen et le répète souvent. Mais c’est parfois délicat, car ce sont les politiques qui ont mis la référence aux traités dans la Constitution. Le titre XV de la Constitution dit que la République participe à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne. La faute, ici, en revient à nos gouvernants. Ce sont le Conseil d’Etat et la Cour de cassation qui écartent la loi française lorsqu’ils la jugent contraire au droit européen, ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui est moins dangereux. Le juriste Jean Riveroavait résumé sa jurisprudence par le proverbe : «  Filtrer le moustique et laisser passer le chameau ». C’est d’ailleurs probablement ce qu’il va encore faire demain et il ne faut pas s’en plaindre. Les juges n’ont pas à gouverner.

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