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Les mauvais chiffres de l’industrie réveillent les craintes sur la croissance allemande
©Reuters

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La production industrielle allemande aurait chuté de 1,7% sur le mois d'octobre, alors qu'on attendait une croissance de l'indice de 0,1%. Les incertitudes planent sur la capacité de l'Allemagne d'éviter une récession qui aurait des répercussions importantes en Europe.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Rémi Bourgeot : La production industrielle allemande a chuté de 1,7 % sur le mois d’octobre mais est, au final, plus basse de 5,3 % par rapport à octobre 2018. Et les carnets de commande continuent à chuter sur le même mois, excluant toute reprise significative à court terme, malgré la stabilisation de certains indicateurs avancés. L’Allemagne se trouve ainsi au cœur d’une récession industrielle, qui ne s’est certes pas encore traduite par une récession générale grâce à une modeste stabilisation en septembre, mais qui indique un essoufflement marqué de son modèle de croissance dans tous les cas. La chute du mois d’octobre se concentre sur les biens d’équipement (véhicules, outils, machines, etc.), à hauteur de 4,4 %.

La production de véhicules a chuté de 5,6 % de septembre à octobre et de 14,4 % sur un an. Le cœur de l’industrie allemande est touché à la fois par la crise commerciale mondiale et ses limites intrinsèques, en ayant progressivement épuisé ses moteurs de croissance par les exportations. Le secteur automobile est central de ce point de vue, aussi bien du fait de la chute des exportations et des pertes de débouchés mondiaux que des craintes de relégation technologique avec l’essor de l’électrique.

Qu'est-ce qui est l'ordre du structurel dans cette petite crise de l'industrie allemande ?

Il s’agit d’une crise profonde. La dépendance aux exportations pour porter la croissance allemande est en elle-même structurelle. De nombreux économistes ont expliqué depuis la crise de l’euro que la consommation intérieure allemande prenait petit à petit le relai des exportations, mais, au-delà du message politique, les signes statistiques allant dans ce sens restaient très limités. Le modèle repose non seulement sur les exportations mais en réalité, de façon à la fois plus massive et plus inquiétante, sur un considérable système d’import-export régissant des chaînes de production devenues tentaculaires, sur fond de marketing poussé, et pénalisant de plus en plus les gains de productivité et l’adaptation technologique aux divers défis, notamment environnementaux. Si l’on critique à juste titre le niveau de l’excédent commercial allemand, en réalité son niveau d’importation est tout aussi inquiétant que son niveau d’exportation, certes encore plus massif.

L’Allemagne est d’ores et déjà en récession industrielle. On a vu quelques signes de stabilisation à un peu plus long terme au cours des derniers mois, qui ont contredit la tendance à la récession générale de l’économie, et quelque peu limité l’impact sur l’emploi. Dans tous les cas, il s’agit d’une remise en cause profonde du modèle de croissance allemand, qui en retour pèse sur l’ensemble de la conjoncture européenne, avec en première ligne les pays les plus intégrés aux chaînes de production allemandes.

L’Allemagne conserve des capacités productives et ingénieuriales appréciables, en comparaison de la situation d’un certain nombre de ces voisins qui ont en partie sacrifié leurs capacités industrielles pour un ensemble de raisons autant économiques que politiques et sociologiques. Cependant pour l’Allemagne la sortie de ce modèle très dépendant de la conjoncture commerciale mondiale et d’une relative rigidité technologique relève d’un défi considérable. Dans l’automobile par exemple, l’idée politique consistant à orchestrer soudainement une transition vers l’électrique montre diverses limites, ne serait-ce que sur le plan du marché domestique, où le surplus de consommation électrique est en bonne partie assurée par le recours au charbon.

La grande coalition CDU/CSU-SPD est aujourd'hui sous tension. Peut-elle répondre aux enjeux économiques actuels ? Comment ?

En termes relatifs, l’industrie allemande a moins souffert de l’implication des milieux politiques qu’un pays comme la France. Ce qui, dans un contexte de déclin assez général des connaissances technologiques et industrielles dans ces milieux, a permis d’éviter un certain nombre de dommages industriels. Pour autant, la classe politique allemande s’est profondément impliquée dans l’orientation plus générale, macroéconomique, qui a consisté à creuser un nouveau type de dépendance aux exportations au moyen de la compression salariale, orchestrée par les autorités depuis Gerhard Schröder, qui disposait des relais nécessaires dans les grandes centrales syndicales, logique qu’Angela Merkel n’a eu qu’à perpétuer.

L’élection de la nouvelle direction du SPD signale la mort politique effective de la grande coalition et de la logique économique sous-jacente. Rien n’indique à ce stade que ces nouveaux responsables aient développé une stratégie de réorientation économique qualitative, mais ils ont sifflé la fin du compromis CDU-SPD sur la compression de la demande (privée et publique), qui est essentiel au modèle focalisé sur les excédents commerciaux. La focalisation sur l’excédent budgétaire au moyen d’une politique de baisse des investissements publics, notamment d’infrastructure, a été au cœur de l’envolée de l’excédent commercial allemand depuis la crise de l’euro. Cette dynamique insoutenable est arrivée à son terme, avec l’arrêt de la croissance économique et l’accélération de la décomposition politique du pays, comme en atteste la crise politique en cours depuis l’élection fédérale de 2017.

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