Les leçons de la crise du Covid-19 : l’impérieuse nécessité d’arrêter de leurrer l’opinion publique en matière économique<!-- --> | Atlantico.fr
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Un globe terrestre et une dose de vaccin contre la Covid-19.
Un globe terrestre et une dose de vaccin contre la Covid-19.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Raphaël Rossello a publié « L'opportunité du Covid 19 » chez Mareuil éditions. Le chaos de la pandémie offre l'opportunité de remettre à plat la réalité de notre système économique et social. Ce procès-verbal, riche de références et d'anecdotes, veut lever les incertitudes du futur et pouvoir l'aborder avec un optimisme de combat. Extrait 2/2.

Raphaël Rossello

Raphaël Rossello

Raphaël Rossello est banquier d’affaires, spécialiste des PME. Il a publié « L'opportunité du Covid 19 », aux éditions Mareuil.

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Depuis des lustres, les pouvoirs publics occidentaux sont dans l’incapacité de régénérer la croissance économique. Le vrai libéral leur donne acte de cette impéritie, mais n’est pas pour autant hostile à l’intervention publique. Sous deux réserves. La première étant que son objectif est de soutenir l’activité, sans être obsédé par sa croissance. La seconde, qu’elle soit temporaire et ne devienne pas une perfusion permanente.

Que signifie ma première condition ?

La machinerie de nos vies matérielles s’est progressivement complexifiée depuis le milieu du XVIIIe siècle, notamment sous l’impulsion de l’imagination fertile de la sphère financière. Depuis un siècle, cette sophistication s’est calée sur le paramètre de la croissance sacralisée comme moteur de nos vies sociales. Pour diverses raisons celle-ci s’est éteinte, contrairement aux espoirs des pères fondateurs du libéralisme qui lui prédisaient un avenir éternel et infini. Le néolibéralisme qui lui succéda crut – sincèrement ou cyniquement – que ses préceptes permettraient de la ressusciter. Il n’en a rien été. Toutes les mesures prises se sont résumées à l’utilisation aberrante de la dette comme levier universel du retour de la croissance. Celle-ci n’étant plus envisageable de façon naturelle et autonome, le niveau d’activité économique doit être soutenu pour éviter le cauchemar d’un décrochage humain. Les pouvoirs publics, en harmonie avec les grands décideurs du secteur privé, se doivent de l’étayer.

La croissance économique et morte, vive l’activité économique !

La croissance a été une source d’espérance, d’accélération et de liberté. Étant désormais une source de stress, elle est devenue coercitive. Déconnectée du diktat de cet indicateur désuet, l’activité économique n’en demeure pas moins vitale, ayant l’avantage d’être synonyme de dynamisme et de vitesse. Veillons à ce que le niveau d’activité soit suffisant pour garantir les grands équilibres sociaux.

Ma seconde condition doit être regardée à l’aune de la nouvelle crise. Dans les toutes prochaines années, l’intervention massive des États va être impérieuse. Autant j’adhère à l’idée que cette intervention devra durer aussi longtemps que nécessaire, autant les critères d’appréciation de l’instant où cette politique devra être infléchie, pour ne pas dire arrêtée, sont d’une grande complexité – l’une des plus grandes à laquelle nous ayons été confrontés. Avoir des critères quantitatifs pour décider d’interrompre la poursuite de cet endettement inefficient est illusoire. Quant aux critères qualitatifs, ils seront sujets à débats et controverses. Pourtant, cet instant de raison sera incontournable pour abandonner le chemin d’une recherche inutile de croissance et prendre celui de l’obligation de soutien à l’activité socialement nécessaire. Tel est l’un des prérequis de la suite de notre aventure.

Sortir de l’absurdité financière

À partir de 2020, deux calendriers vont se succéder : la fin de la pandémie et la sortie de l’absurdité financière.

La crise connaîtra de nombreux rebondissements, impossibles à prévoir, mais qui devraient se concentrer en deux grandes étapes.

La première sera la crise sanitaire stricto sensu. Elle va dépendre du temps de la mise au point puis de la diffusion des traitements, tant curatifs que préventifs. Ayant conseillé des sociétés d’études cliniques, je suis en mesure d’offrir quelques ordres de grandeur incontournables : entre l’instant où une molécule est identifiée comme pouvant avoir un effet thérapeutique et le jour de sa mise à disposition, il faut compter entre douze et dix-huit mois. Il est nécessaire de franchir toutes les étapes des essais précliniques, cliniques, de toxicité, de tolérance et d’efficacité avant sa mise en production de masse. J’observe avec bonheur l’importance des moyens mis en œuvre mondialement pour réduire ce délai. Néanmoins, lorsque j’avais demandé à un biologiste pourquoi ces délais  n’étaient pas compressibles, il m’avait répondu que « neuf femmes ne feront jamais un enfant en un mois ! » Nous devrions avoir des traitements ou des vaccins dès la fin de l’année, au pire à la fin de 2021. En comptant une année supplémentaire pour leur diffusion, nous pouvons espérer être sortis de la phase sanitaire en 2022, sachant que les vaccins ont des durées d’efficacité très variables, allant de douze mois à vingt ans. Pendant toute cette première période, nous allons enchaîner les embûches. Les sociétés les plus fragiles feront faillite, entraînant un chômage massif, notamment dans la population la plus précarisée vivant des petits jobs. La conjugaison des confinements et des défaillances d’entreprises va accroître le sentiment d’incertitude et donc du taux d’épargne. Tout ceci va réduire la demande globale. Les entrepreneurs, perdant de la visibilité, vont différer les plans d’investissement. La montée des violences est à prévoir, ajoutant à l’anxiété. La spirale perverse va s’autoalimenter. Les déficits des particuliers, des entreprises et des États seront financés par des facilités financières qui vont augmenter l’endettement, quel que soit le nom technique qu’on lui attribuera.

Aux environs de 2022, on observera le retour à une certaine normalité, mais sera-t-elle au niveau de 2018 ou 2019 ? Je recommande l’hypothèse d’une décote macroéconomique de l’ordre de 5 % par rapport aux années de référence. Trois raisons de justifier cette dégradation. D’abord, le déclin d’activité amorcé bien avant la pandémie dans des secteurs comme l’automobile, dont le poids reste important dans nos PIB ; ensuite, la dégradation du vaste secteur de la restauration, de l’hôtellerie et du tourisme – qui subira les effets d’inertie de cette pandémie, notamment pour l’aéronautique ; enfin, l’augmentation de l’épargne, réduisant la propension à consommer. Selon les versions et les hypothèses, il faudra entre quatre et cinq ans de plus pour stabiliser l’écosystème. À part celle de 1929, toutes les dernières crises, d’une ampleur probablement moindre, ont été résorbées en cinq ou six ans. Ce qui confirme ainsi mon pronostic.

C’est à ce moment-là que nous découvrirons la position des leaders mondiaux, obligés de se concerter préalablement. S’agira-t-il d’une reprise stupide et toxique, celle de la fuite en avant, à l’instar de ces dernières décennies ? Ou sera-ce au contraire une reprise courageuse, motivée par la décision de mettre fin à cette dynamique ? Si nos gouvernants n’ont pas cette force, le piège monétaire se refermera sur nous. Et ce, malgré leur talent à nous faire miroiter une nouvelle ère d’endettement perpétuel.

Les plus insensés envisagent une monétisation générale de la dette qui finirait par se dissoudre à bas bruit, comme par enchantement. Nominalement, la loi d’airain est simple : plus la masse monétaire grandit, plus elle doit correspondre à la production de richesses. Cette corrélation n’étant plus avérée, une grande partie de la monnaie ainsi créée n’aura pas de contre-valeur. Dollars américains et canadiens, livre sterling, euro et franc suisse continueront d’être des monnaies refuges, pour des raisons très différentes. Le franc suisse est la monnaie d’un pays dont la santé financière est parmi les plus robustes au monde, l’euro tire sa force de la rigueur budgétaire de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche, des pays baltes et de la Finlande. On retrouve la vieille scission entre ces pays et l’Europe du Sud, avec une situation ambivalente pour la France. Quant à la livre sterling, elle reste liée à son prestige passé et à la suprématie de la place financière de la City. Enfin, les États-Unis usent et abusent de leur suprématie financière, monétaire et militaire pour émettre inconsidérément de la dette sous toutes ces formes, persuadés d’être protégés par leurs créanciers contraints d’être eux-mêmes leurs complices.

Si la monétisation de la dette se regénéralise, ce sont, comme d’habitude, les citoyens qui subiront une dépréciation de leur monnaie consécutive à l’inflation monétaire. Les décideurs de cette stratégie se rassurent en pariant que personne ne sera suffisamment suicidaire pour dénoncer ce mouvement, dont nous subirions tous l’effet domino.

Par contre, si les dirigeants ont la force et l’audace de s’attaquer à cette imposture, notre sortie de ce système absurde sera nécessairement longue et parsemée d’obstacles. Il faudra tout d’abord prendre en compte deux mystères et une inconnue.

Le premier mystère est celui de la baisse de la productivité à l’origine de la disparition de la croissance. Je crains que les techno-optimistes, refusant de reconnaître à l’être humain sa primauté, ne s’enferment dans la décision dogmatique d’accroître la robotique et la digitalisation, les considérant comme le remède à notre état. Alors que j’écris ces lignes, j’entends avec effroi que cinquante millions d’emplois pourraient être robotisés aux ÉtatsUnis dans les prochaines années, et ce pour s’affranchir du facteur humain en cas de récidive pandémique.

Le second mystère est l’effondrement de l’efficacité de l’endettement. Il importe peu d’en chercher les causes précises, car, quelles qu’elles soient, elles sont concordantes sur le fait que le terreau économique étant devenu stérile, on aura beau l’inonder de liquidités, on ne pourra pas en extraire davantage.

Enfin, nous ne connaissons pas la date à laquelle nous commencerons à aborder ces énigmes. Il existe à New York, Londres, Paris ou Berlin des journalistes, des chroniqueurs, des enseignants et des intellectuels qui sont encore totalement convaincus d’être dans le vrai en défendant le fait que l’humanité sortira de ses angoisses en retrouvant le chemin de l’expansion. Mais le jour où l’un d’eux écrira en première page de The Economist, du Wall Street Journal, du Spiegel ou de la Tribune de Genève qu’on devrait se pencher sérieusement sur le mystère de notre fausse croissance et l’ineptie de nos endettements, alors tout pourra commencer. Ce jour sera celui du top départ d’un chantier titanesque visant à nous faire atterrir en douceur de la folie que nous avons perpétuée. J’ai cette espérance, en partant du principe que ces érudits, leaders d’opinion, comprendront qu’il est dans leur propre intérêt, et celui de leurs enfants, de dénoncer le malentendu sur lequel repose leur futur.

D’ici là, ces médias continueront d’encenser un concept disparu qui resterait le seul à nous redonner l’espoir. Hormis le retour du Messie, c’est bien le retour de la croissance qui nous est promis, pierre angulaire de notre aventure terrestre, alors qu’elle n’est plus que le mirage d’une gloire passée.

Je regrette que les seuls esprits qui partagent mon opinion aient une vision du futur contraire à celle que je prône. En effet, ce sont surtout les contestataires du capitalisme et du libéralisme qui soutiennent, en partie, mon point de vue. Or, je persiste dans l’idée que seule une société démocratique, libérale et capitaliste pourra assurer un monde globalement apaisé.

Ce moment décisif ouvrira une nouvelle ère de notre vie commune, à moins que les conservateurs et les opposants à la remise en cause de leur statut fassent tout pour s’opposer à la reconstruction.

A lire aussi : Les leçons de la crise du Covid-19 : sortir de l’absurdité financière 

Extrait du livre de Raphaël Rossello, « L'opportunité du Covid 19 », publié chez Mareuil éditions

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