Les langues régionales ou minoritaires face à la Constitution : détournement de procédure ou coup d’épée dans l’eau ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est débattue.
La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est débattue.
©Reuters

Pourquoi faire simple...

Les députés doivent se prononcer ce mardi sur une proposition de loi qui vise à lever les blocages constitutionnels empêchant la ratification de la Charte européenne des langues régionales.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Pour la première fois le Parlement, à commencer par l’Assemblée nationale, débat sérieusement de la possibilité de modifier la Constitution pour permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Comme à chaque fois que le débat linguistique et culturel est ouvert, on entend les partisans acharnés du jacobinisme républicain historique et les soutiens d’un pluralisme de tradition girondine (ou bretonne ou basque). Au-delà du débat de fond et d’opportunité politique, la procédure entamée le 22 janvier à l’aide du stimulant et instructif rapport du président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas mérite quelques rapides observations, tant elle est originale et singulière. Chacun sait depuis une décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 que la Charte, signée quelques jours auparavant par le gouvernement de Lionel Jospin, nécessite pour sa ratification, donc son entrée en vigueur sur le territoire de la République une révision de la Constitution.

Prendre comme point de départ une proposition de loi constitutionnelle impliquerait, si elle est adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, d’avoir recours, pour son adoption définitive à un référendum. L’article 89 de la Constitution n’offre pas d’autre solution. Nul, ni du côté du Parlement, ni du côté du gouvernement, n’envisage un tel débouché. Le sujet est conflictuel et la popularité du président Hollande trop faible pour prendre un tel risque. Le rapporteur de la proposition, comme la ministre de la culture, expliquent donc que ce débat a pour objet principal de tester l’existence ou l’absence d’une majorité des 3/5e des suffrages exprimés susceptible de voter, lors d’un Congrès du Parlement, un nouveau  texte, issu cette fois d’un projet de loi constitutionnelle présenté par le président de la République. Rien n’interdit d’avoir recours à une tel cheminement, mais il est étonnant que les parlementaires, qui d’habitude expliquent qu’ils n’ont pas assez de temps pour débattre sérieusement, acceptent de discuter pour voir et non pour décider. Si la proposition vient à être adoptée conforme par les deux assemblées, il pourra être soutenu qu’il est anormal, voire contraire à la Constitution, qu’un référendum de confirmation ne soit pas organisé dans un délai raisonnable.

Pour éviter des débats à répétition, le texte proposé par le rapporteur contient d’un seul coup la possibilité constitutionnelle de ratification et l’autorisation d’y procéder. D’ordinaire, comme en 1992 pour le traité de Maastricht, il y a d’abord modification de la Constitution, puis le vote d’une loi autorisant le gouvernement à ratifier le traité. Certains juristes, comme François Luchaire, avait dès 1992 proposé de réunir les deux étapes en une seule, mais le Président Mitterrand avait choisi la voie classique, de manière à organiser un référendum, celui 20 septembre, sur la ratification elle-même. Par la suite, toutes les révisions constitutionnelles liées à un accord international ont eu recours à la démarche en deux temps. En tout état de cause, autoriser la ratification, même par la voie constitutionnelle, n’entraîne aucune obligation pour le gouvernement d’y procéder. Il existe toujours une liberté politique de ratifier ou de ne pas ratifier.

Compte tenu du climat passionné entourant la question des langues régionales ou minoritaires, M. Urvoas suggère, de manière totalement inédite, que l’article constitutionnel autorisant la ratification contienne également des déclarations interprétatives, donc de valeur constitutionnelle en droit interne, allant jusqu’à préciser que la Charte doit être interprétée « dans un sens compatible avec la Constitution ». Il serait pour le moins paradoxal de faire figurer dans la Constitution, norme suprême de notre ordre juridique, une disposition de ce type. Certes il existe de nombreux débats en droit international sur l’éventuelle supériorité des traités sur la Constitution, mais autant de telles réserves (ou explications) ont leur place dans l’instrument de ratification, autant il paraît incongru de préciser dans la Constitution qu’elle doit être respectée.

Aucun des points évoqués ci-dessus ne soulève d’impossibilité constitutionnelle absolue. Leur accumulation montre simplement que le processus de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est plus compliqué en France que dans beaucoup d’autres pays. Le vieux dicton révolutionnaire selon lequel « il n’y a point de minorité sur le territoire de la République » n’est pas prêt de rendre l’âme. Est-il indispensable de mobiliser autant d’énergie politique et constitutionnelle pour, en fin de compte, développer, ce qui est légitime, les langues et cultures régionales ?

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