Les jeunes Français allergiques à la science : halte à l'irrationalité<!-- --> | Atlantico.fr
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Des jeunes lycéens découvrent leurs résultats au baccalauréat dans un établissement scolaire français.
Des jeunes lycéens découvrent leurs résultats au baccalauréat dans un établissement scolaire français.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Perceptions de la jeunesse

La proportion des jeunes, âgés de 18 à 24 ans, qui perçoivent positivement la science a chuté de 22 points depuis 1972, selon un sondage Ifop pour la Fondation Reboot et la Fondation Jean-Jaurès.

Gérard Mermet

Gérard Mermet

Gérard Mermet est sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Francoscopie 2030 (Nous, aujourd’hui et demain), Larousse, 2018.

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Une étude très inquiétante, mais révélatrice de l’état de notre société, a été publiée le 12 janvier sur le rapport des jeunes (18-24 ans) à la science et au paranormal[1]. Il en ressort notamment que :

. 16% d’entre eux sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « Il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école ».

. 19% souscrivent à l’idée que « Les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres ».

. 20% sont convaincus que « les Américains ne sont jamais allés sur la Lune » (contre 15% il y a 5 ans).

. 32% sont convaincus que « Les vaccins à ARNmcausent des dommages irréversibles dans les organes vitaux des enfants ».

. 31% considèrent que « Le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2020 a été faussé aux dépens de Donald Trump ». Dans le même esprit, 24% pensent que « L’assaut du Capitole en janvier 2021 a été mis en scène pour accuser les partisans de Donald Trump ».

. 26% sont d’accord avec l’idée selon laquelle « En Ukraine, le massacre de civils à Boutcha était une mise en scène des autorités ukrainiennes ».

. 27% estiment que « Les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution d'autres espèces (…) mais ont été créés par une force spirituelle (ex : Dieu) ».

Ces chiffres, bien que concernant (heureusement) une minorité de jeunes, sont effrayants. Au total, plus de deux sur trois croient au moins à l’une des douze contre-vérités très largement prouvées qui sont proposées dans l’enquête. Comment, devant une telle irrationalité, ne pas s’inquiéter pour le débat public, et les valeurs portées par ces jeunes « négationnistes » ou complotistes ? Et surtout pour l’avenir du pays, qu’ils vont bien devoir prendre en main. Mais aussi, plus largement, pour l’avenir du monde, car l’obscurantisme ne touche pas seulement la France. Comment ces jeunes vont-ils pouvoir relever les nombreux défis auxquels ils sont d’ores et déjà confrontés ?

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Cela paraît d’autant plus difficile que l’enquête montre par ailleurs que les 18-24 ans ne font pas confiance à la science : 33% seulement estiment qu’elle « apporte à l’homme plus de bien que de mal » (contre 55% en 1972). Pourtant, la science est par principe fondée sur la rationalité. Il lui arrive bien sûr de se tromper (c’est même sa façon d’avancer) et elle est souvent ambivalente, capable du meilleur comme du pire. Mais c’est à la société de choisir parmi ses avancées celles qui seront les plus utiles. Son dénigrement est donc problématique, car la science a indéniablement largement contribué aux progrès de l’humanité. Et celle-ci aura encore bien besoin d’elle, pour restaurer l’environnement (après avoir permis aux humains de le dégrader), l’éducation, la santé, le travail, la durée et le confort de vie. Il faut en tout cas se demander comment de tels dénis de réalité sont possibles, à une époque où l’information n’a jamais été aussi accessible et documentée, au moins sur les sujets évoqués ci-dessus.

Réseaux sociaux, religion, génération

L’étude apporte à cet égard quelques explications, en précisant le profil des jeunes les plus concernés par cette irrationalité. Ainsi, les 18-24 ans « platistes » (convaincus ou ouverts à l’idée que la Terre n’est pas ronde, mais plate !) sont surreprésentés parmi les jeunes les plus exposés aux thèses complotistes sur Internet : la proportion (qui est en moyenne de 16%) atteint 21% chez les gros utilisateurs de vidéos en ligne comme YouTube, 28% parmi ceux d’applications comme Telegram, 29% parmi ceux utilisant TikTok comme moteur de recherche. De même, la conviction que l‘assaut du Capitole n’a été qu’une mise en scène au détriment de Donald Trump est sensiblement plus répandue chez les utilisateurs pluriquotidiens de TikTok (29%) que chez les non-utilisateurs (19%).

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On mesure ainsi le poids croissant et nocif de certains réseaux sociaux dans les opinions et les attitudes des jeunes. Beaucoup s’informent principalement (ou uniquement) par ces canaux, qui sont souvent « noyautés » par des professionnels du « troll », dont l’omniprésence décourage les plus rationnels de s’exprimer. Les « vérités alternatives », autre nom pour le mensonge, ont donc pris le pouvoir, et leurs affirmations péremptoires finissent par convaincre certains esprits mal informés, ou réceptifs à la mise en cause de la réalité.

Les croyances religieuses ne sont pas étrangères à certains dénis. Ainsi, le refus de l’évolutionnisme au profit du créationnisme concerne 71% des jeunes musulmans, contre 27% des catholiques et 7% des athées. Les attitudes varient aussi selon l’appartenance politique : la proportion atteint 27% chez les sympathisants du Rassemblement National et 27% chez ceux de La France Insoumise, contre 16% chez ceux de Renaissance. L’antiaméricanisme nourrit aussi sans doute les réponses niant la conquête de la Lune, l’assaut du Capitole ou l’élection faussée de Joe Biden.

L’étude fait également apparaître un véritable fossé générationnel entre les croyances. Les 18-24 ans sont ainsi presque quatre fois plus nombreux que les 65 ans et plus[2] à croire que les pyramides d’Égypte ont été bâties par des extraterrestres : 19% contre 5%. Par ailleurs, 44% des jeunes croient au « mauvais œil » (contre 10% de seniors), 23% aux « fantômes » (contre 4%), 19% aux « démons » (contre 8%), 13% aux « marabouts » (contre 4%). Précisons que le plus grand réalisme des « boomers » ne les exonère pas de leur responsabilité dans l’état du monde qu’ils laissent à leurs descendants. Mais ceci est un autre débat.

Donner la priorité à la raison, mais sans oublier l’émotion

La fracture entre « rationnels » et « irrationnels » ne concerne pas seulement les domaines évoqués dans l’enquête citée. Elle n’est pas non plus limitée aux jeunes, même s’ils sont plus nombreux, en proportion, à croire dans des balivernes. L’irrationalité a toujours existé, car elle est l’un des constituants de la nature humaine. Le paradoxe est qu’elle ne se réduit pas avec la « modernité ». On a pu l’observer pendant des décennies, avec par exemple la plainte récurrente d’une majorité de Français qui se disaient persuadés que leur pouvoir d’achat diminuait, alors qu’il augmentait sensiblement, de façon mesurable (ils ont fini, hélas, par avoir raison aujourd’hui, avec la hausse de l’inflation…). Elle était présente lors des débats sur la responsabilité humaine dans les problèmes environnementaux, et reste encore niée aujourd‘hui par une minorité.

La crise du Covid a fait aussi émerger de nombreux fantasmes et « fake news », à propos notamment des vaccins, dont il est aujourd’hui démontré qu’ils ont sauvé des millions de vies. L’irrationalité est encore à l’œuvre aujourd’hui dans les débats sur la réforme de la retraite, où certains nient (de bonne foi ou non) les effets de l’allongement de la durée de vie et de la diminution du rapport entre actifs et inactifs sur l’équilibre des régimes. Même constat à propos du déni (des citoyens comme des gouvernants) qui entoure l’accroissement sans fin de la dette nationale et de ses lourdes conséquences économiques et sociales à venir pour les générations qui devront la rembourser. Circulez, il n’y a rien à voir, ni à faire.

Irrationalité et irresponsabilité

Autant que d’irrationalité, c’est donc aussi d’irresponsabilité que l’on devrait parler à propos de tous les « objecteurs de réalité ». Il est pourtant nécessaire d’approcher cette réalité (de la façon la plus objective possible), de la décrire (de façon la plus accessible possible). Tout en condamnant l’action de ceux qui inventent et diffusent les contre-vérités et encouragent le complotisme et le « négationnisme », dans le but de nuire. Mais il faut veiller à ne pas stigmatiser et mépriser ceux qui les écoutent, afin de ne pas aggraver les fractures existantes. Ce sont là les conditions pour obtenir un consensus large sur des constats, puis sur des solutions, et pour que chacun accepte et participe à leur mise en place.

Mais il est établi que l’être humain n’est pas seulement doté (en principe) de raison ; l’émotion occupe une place importante, parfois centrale, dans ses attitudes, ses opinions, ses comportements. C’est pourquoi le « réel » diffère souvent de son « ressenti » personnel. Il est important de les rapprocher, sous peine que le ressenti soit de plus en plus difficile à supporter, et n’exacerbe les tensions sociales, jusqu’à leur explosion.

En résumé, il s’agit d’abord de comprendre et d’analyser le « réel » à partir des faits, pour le rendre accessible à la raison du plus grand nombre. Mais il serait vain, et nuisible, de ne pas prendre en compte les émotions, qui constituent une partie de notre identité et nous différencient des robots, même pourvus d’une intelligence artificielle en guise de raison.

Gérard Mermet

Sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Le Contrat Vital (pour un monde moral et durable), éditions Empreinte



[1] Étude Ifop pour la fondation Reboot et la fondation Jean Jaurès réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 28 octobre au 7 novembre 2022 auprès d’un échantillon national représentatif de 2 003 jeunes, représentatif de la population française âgée de 11 à 24 ans.

[2] Les données sur les seniors (65 ans et plus) sont issues d’une étude Ifop pour La Fondation Reboot réalisée en ligne du 4 au 8 mars 2022 auprès d'un échantillon de 2 007 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, et d’une étude Ifop pour La Fondation Reboot réalisée en ligne du 8 au 9 novembre 2022 auprès d'un échantillon de 1012 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

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