Les intéressantes leçons de la sociologie des frondeurs PS<!-- --> | Atlantico.fr
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Laurent Baumel, l'un des frondeurs PS
Laurent Baumel, l'un des frondeurs PS
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La loi Macron a dû passer en force, via le dispositif 49-3, pour éviter toute mauvaise surprise et faire cesser le tumulte législatif provoqué par les "frondeurs". Ces députés PS qui refusent l'alignement sur l'exécutif ont fait parler d'eux. Ils incarnent une ligne qui se veut différente d'un parti dont ils jugent qu'il a oublié ses convictions de gauche. Une raison de leur soumission ? Sans doute quelque chose à chercher dans leurs origines.

Hervé  Joly

Hervé Joly

Hervé Joly historien et sociologue, est directeur de recherche au CNRS, laboratoire Triangle, université de Lyon. En 2013, il a publié Diriger une grande entreprise au XXe siècle : l'élite industrielle française (Tours, Presses universitaires François-Rabelais). Son dernier ouvrage : Les Gillet de Lyon. Fortunes d’une grande dynastie industrielle. 1838-2015 (Genève, Droz, 2015)

 
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Atlantico s’est penché sur le profil des 39 députés estampillés "frondeurs" qui ont contribué à mettre en danger le vote de la loi Macron, au point de pousser le gouvernement à passer en force. Leur rejet du projet de loi repose notamment sur son caractère trop "libéral". Le travail du dimanche a représenté l’un des principaux points de blocage. Encore « dociles » lors du vote du Pacte de responsabilité, ils n’ont cette fois-ci pas hésité à affirmer leur opposition à un ensemble de mesures dont le but affiché était d’assouplir les contraintes qui pèsent sur les entreprises. Parmi ces députés, cinq seulement ont connu le milieu de l’entreprise. La plupart sont issus de la fonction publique. 14 d’entre eux sont députés depuis plus de 8 ans, ce qui laisse une large place à la jeune garde : ils sont 8 à ne pas encore avoir atteint les 40 ans.

Atlantico : Quels enseignements peut-on retirer de cette typologie des députés frondeurs ? Sont-ils en prise avec les réalités des entreprises et des salariés, ou au contraire en sont-ils éloignés ?

Hervé Joly : Je ne crois que ce soit une marque distinctive des frondeurs. Cinq sur trente-neuf ayant connu le monde de l’entreprise, ce n’est pas si faible ; la proportion n’est probablement guère plus élevée parmi les autres députés socialistes, voire parmi l’ensemble des parlementaires ! Depuis quelques législatures, à côté des traditionnelles filières de la fonction publique (plutôt à gauche) et des professions libérales (plutôt à droite), on assiste à l’émergence dans les deux camps d’une nouvelle filière dominante, celle des professionnels de la politique qui ont fait toute leur carrière comme collaborateurs salariés d’élus. Ces anciens assistants parlementaires ou directeurs de cabinet dans des collectivités locales tendent à devenir les dauphins de leurs patrons, d’autant plus facilement que ceux-ci sont limités dans leur cumul de mandats. Et l’expérience de l’entreprise affichée par quelques uns est souvent brève voire fictive, dans la mesure où il peut s’agir de sociétés d’économie mixte liées à des collectivités locales, de cabinets de conseil en communication ou autres officines travaillant pour des partis politiques, etc.

Avec 8 députés de moins de 40 ans, et 17 dont l’élection remonte à moins de 8 ans, cette jeunesse est-elle explicative de leur virulence à l’égard du gouvernement ?

Huit frondeurs sur les dix-neuf trentenaires seulement que compte le groupe socialiste, c’est effectivement beaucoup. Les frondeurs semblent plutôt être des élus de fraîche date, qui n’ont pas non plus exercé d’autres mandats importants, comme celui de maires d’une grande ville, ou de fonctions ministérielles antérieures, sauf les récents évincés des gouvernements Hollande (Batho, Hamon, Filippetti) bien sûr. Ils ont moins l’expérience des contraintes de la gestion d’une organisation. Leur seul mandat de député relève plutôt d’un ministère de la parole. Leur formation politique s’est beaucoup faite pendant les dix années d’opposition qui ont précédé la victoire de François Hollande. On peut leur prêter une (fausse ?) naïveté qui leur fait croire que les discours tenus et les propositions faites à l’époque gardent une certaine valeur une fois confrontés à l’exercice du pouvoir. Ils refusent de prendre en compte ce que d’autres considèrent comme les contraintes du réel. Le plus étonnant est finalement qu’ils ne soient que 39 sur près de trois cents, alors que l’orientation actuelle du gouvernement n’était portée que par un candidat très marginal dans les primaires, avec seulement 5 % des voix. Les parlementaires voire les ministres qui ont du mal à accepter la politique menée sont probablement plus nombreux, mais l’esprit de discipline l’emporte chez la plupart. Les frondeurs sont un peu l’expression de la mauvaise conscience non assumée des autres, ce qui explique les relations tendues au sein du groupe.

Au regard de l’histoire, peut-on supposer qu’ils "s’assagiront" par la suite vis-à-vis de leur direction ?

Un examen plus attentif des trajectoires professionnelles des 39 députés frondeurs abstentionnistes lors du vote de la loi de finances 2015 montre que, en fait, seule une petite minorité d’entre eux auraient beaucoup à perdre en cas de défaite électorale, ce qui pourrait expliquer leur moindre discipline partisane. Ils sont proportionnellement moins nombreux que les autres députés socialistes à n’être que des professionnels de la politique. Certains ont même des parcours antérieurs originaux, dans le domaine artistique par exemple (Yves Féron, Michel Pouzol), qui peuvent expliquer leur esprit frondeur. Et parmi ceux qui ont commencé leur carrière comme collaborateurs d’élus ou dans des organisations proches du parti, plusieurs ont ensuite conquis leur autonomie en intégrant la fonction publique territoriale. En tout, ils sont au moins 21 à être fonctionnaires ou cadres statutaires du secteur public. La plupart des autres issus du secteur privé ou de professions libérales – qu’ils auraient du mal à reprendre après une longue interruption – auront atteint l’âge de la retraite à la fin de leur mandat. Les rares à ne pas avoir de parachute assuré ont, à l’image de Delphine Batho ou Benoit Hamon, une notoriété personnelle qui devrait leur permettre de rebondir.

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