Les insurrectionnels : que faire face à cette partie de la gauche qui n’est plus républicaine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le refus d'appeler au calme et les provocations des Insoumis n'ont pas laissé de doute sur la volonté d'une partie de la gauche d'encourager le chaos.
Le refus d'appeler au calme et les provocations des Insoumis n'ont pas laissé de doute sur la volonté d'une partie de la gauche d'encourager le chaos.
©Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Encourager la violence

Le refus d'appeler au calme et les provocations des Insoumis n'ont pas laissé de doute sur la volonté d'une partie de la gauche d'encourager le chaos.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans un thread, désormais en partie supprimée, la cheffe de file LFI aux sénatoriales, membre de l’Institut La Boétie écrit : « Rappel que la République a été fondée par des émeutiers détruisant des bâtiments publics. Dans 15 jours on fête l'incendie d'un bâtiment public ça va être trop le fun de voir Manu Macs au garde à vous pour célébrer la plus grande émeute de notre histoire. Ce sont les bourgeois qui appellent au calme (en fait à la soumission à l'oppression) qui ne sont pas assez intégrés à la culture française. La culture française, refondée en 1789, c'est d'abord et avant tout la lutte contre les tyrans qui piétinent les droits humains. Au-delà du tyran ponctuel qu'est Manu, il y a un régime autoritaire dégénéré qu'on nomme la 5e République, mais qui n'est plus une république car elle piétine les droits humains. » Dans quelle mesure faut-il voir dans ce texte et dans les prises de parole de divers insoumis un appel plus ou moins voilé à l’insurrection et une tentative de légitimation de l’article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793 ? 

Christophe Boutin : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Voilà l’article 35, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ajoutée à la Constitution montagnarde, la Constitution de 1793, et il y aurait beaucoup à dire sur le sujet, et d’abord à replacer les choses dans leur contexte historique. Premier élément, cette Déclaration de 1793, qui remplaçait celle de 1789, réputée trop bourgeoise, n’a jamais eu à s’appliquer. En effet, jugeant que les menaces extérieures et intérieures étaient trop fortes pour mettre en application le texte qui venait d’être validé par le peuple, la Convention décida de « suspendre » la nouvelle Constitution et de repousser son application à des temps meilleurs. Or la suite, on la connaît : le « gouvernement par comités », la place du Comité de Salut public, le rôle joué par Robespierre et la dérive totalitaire de la Révolution, entre régime des suspects et exécutions de masse – par noyades à Nantes, en tirant au canon sur les prisonniers à Lyon, par tous les moyens en Vendée. Le gouvernement a alors bel et bien violé les droits du peuple – à la justice, à la sécurité, à l’expression de ses idées, à ses libertés d’aller et venir ou religieuses – et il a fallu le coup d’État de Thermidor pour mettre fin à cette trahison par la gauche la plus radicale de l’idéal proclamé dans la déclaration. 

Pour autant, comme disait notre bon Clémenceau, la Révolution est un bloc, et Isabelle d’Artagnan, historienne médiéviste, mais qui ne rechigne pas à s’aventurer loin des piloris de sa thèse – une de ses dernières notes concerne « La fluidité de genre de l’Antiquité à nos jours. Des faits trans à toutes les époques » - n’a pas tort quand elle rappelle certains faits de 1789. L’un des éléments fondateurs de la Révolution française est bien une attaque dirigée contre un bâtiment public, la Bastille, prison aussi mythique que mythifiée. Émeute ? On se souvient du dialogue entre Louis XVI et le duc de La Rochefoucauld : « Mais c’est une révolte ! Non, Sire, c’est une révolution ». Il reste cependant que le 14 juillet n’est pas seulement un moment de commémoration de la prise de la Bastille (1789) mais aussi, et plus encore, de la fête de la fédération (1790), célébrant sur le Champ-de-Mars la Nation fédérée et réunie – bien autre chose donc que l’attaque d’un bâtiment public. 

On passera ensuite, autant par manque de place que par simple charité, sur les inepties concernant une Cinquième république qui « piétinerait les droits humains » et ne serait qu’un « régime autoritaire dégénéré » - comme si un régime institutionnel qui a connu des formes aussi diverses que, pour prendre ce seul exemple, le fait majoritaire et la cohabitation, et qui organise assez régulièrement des élections démocratiques, pouvait s’apparenter aux structures de ces régimes totalitaires pour lesquels l’extrême-gauche aura toujours les yeux de Chimène. On relèvera par contre, sans être vraiment surpris, que notre historienne refuse tout débat avec des « bourgeois » qui « ne sont pas assez intégrés à la culture française »… puisqu’ils appellent au calme. Cette exclusion du corps social de ceux qui ont le malheur de ne pas penser comme la gauche radicale est la marque de fabrique de tous les totalitarismes, et a conduit dans l’histoire, dès que cette gauche est au pouvoir, à un nombre assez respectable de millions de morts (nobles et religieux en France, koulaks eu Union soviétique, vipères lubriques intellectuelles en Chine ou au Cambodge).

Il est enfin intéressant de s’interroger sur la représentation du peuple dans cette approche qui, on l’aura compris, vise à mettre sur le même pied les révolutionnaires de 1789 et les émeutiers de 2023. Hélas, la réalité est têtue. Ce n’est pas tant ici la question des pillages qui doit être prise en compte : loin de l’image d’Épinal colportée par les hussards noirs de la République, les émeutes révolutionnaires n’ont pas uniquement été une révolte politico-sociale mais se sont bel et bien accompagnées de meurtres et de pillages. La vraie différence est qu’en 1789, même s’il y a sur-représentation des parisiens, et pour cause, il s’agit en termes sociologiques de représentants de la majorité de la population française, quand les émeutes actuelles de 2023, elles, sont menées par une minorité très largement issue de communauté non autochtones venues sur notre territoire depuis quarante ans pour y bénéficier de conditions de vie nettement supérieures à celles que leur offraient leurs pays d’origine. Les « damnés de la terre » de 1789 étaient ainsi, au moins dans la mythologie révolutionnaire, cette grosse majorité de la population ne faisant pas partie des ordres privilégiés ; ils sont en 2023 les représentants de certaines – pas toutes – « minorités visibles de la République ». Une erreur de perspective majeure, mais que ne voit plus cette gauche radicale qui entend bien faire de ces dernières la seule image de « l’opprimé » et le seul objet de ses soins, ce qu’ont parfaitement compris d’autres représentants de mêmes catégories sociales laissées en déshérence, et qui, rompant avec cette gauche qui, non seulement ne les défend plus, mais permet la destruction de leur quotidien, ont, pour certains, été présents au sein des Gilets jaunes, et, pour les autres, votent maintenant en masse pour le Rassemblement national.

Déjà en 2018, les députés insoumis avaient cherché à introduire ce texte dans le préambule de la Constitution. Quelle est l’ambition, à LFI ? De justifier et légitimer une insurrection ? 

L’amendement proposé le 5 juillet 2018 n’a pas été véritablement explicité, ou très peu, mais, en lien avec l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, il est permis de noter une constante de la gauche radicale française depuis des années. Confrontée à l’échec élections après élections, elle accepte de moins en moins les règles du jeu démocratique - développer un programme entre deux élections pour tenter d’attirer un maximum d’électeurs aux suivantes et ainsi prendre le pouvoir. De manière systématique maintenant, après ses échecs électoraux, la gauche radicale - ou parfois d’ailleurs moins radicale - propose « un troisième tour social », ce qui veut dire concrètement un maximum de grèves pour bloquer le pays et empêcher la nouvelle majorité d’appliquer son programme. La méthode a été efficace au fil des décennies contre une droite toujours révérencieuse devant les diktats d’une gauche présupposée morale, mais fonctionne beaucoup moins devant un Emmanuel Macron tout occupé à mettre en œuvre la feuille de route qu’il a à appliquer. Lorsque ces grèves ne suffisent pas, la possibilité "manifestations plus violentes" est la seconde solution, mais toujours avec cette idée, présente par exemple tout au long du débat sur la réforme, des retraites, que la légitimité de la rue vaut mieux que celle des urnes, et que l’État doit faire machine arrière.

Mais où est ce gouvernement qui « viole les droits du peuple » ? Emmanuel Macron viole-t-il les textes constitutionnels ? Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Les textes législatifs ? Le Conseil d’État répond de la même manière. Certes, il n’y a pas de véritable élan populaire derrière Emmanuel Macron, c’est le moins que l’on puisse dire, mais les règles du jeu démocratique lui confèrent, quoi qu’on en ait, une légitimité supérieure à celle de la rue, qui ne rassemble jamais jusqu’à maintenant que des minorités éparses. Tout autre serait le cas où nous aurions non pas des émeutes et des pillages, mais bel et bien une révolution, c’est-à-dire l’instauration par la force, ou à la suite de l’effondrement du pouvoir existant, d’un nouveau gouvernement disposant de l’appui de la majorité du peuple. On n’empêchera pas Jean-Luc Mélenchon, sénateur blanchi sous le harnais, d’y rêver pour finir en beauté comme ses modèles sud-américains, mais il faut savoir revenir sur terre : rien n’y mène, article 35 ou pas.

Il y a certes des problèmes réels : le gouvernement a violé, selon certains auteurs, un certain nombre de droits et de liberté essentiels des Français en prenant prétexte de la crise santaire ; il viole aujourd’hui le droit à la sécurité des Français en étant incapable de la garantir sur l’ensemble du territoire. Ce sont là autant de coups portés au contrat social qui lie État et citoyens – et qui peuvent conduire à des révoltes contre le paiement de l’impôt ou à des tentatives d’auto-organisation des citoyens. Mais s’il y a eu un phénomène qui pouvait s’apparenter à cette insurrection de l’article 35 ces dernières années, c’est bien évidemment au soulèvement des Gilets jaunes qu’il faut penser - dans la première partie du mouvement, avant, justement qu’une certaine gauche ne le récupère - et cela ne concerne nullement les phénomènes de ces derniers jours. Il ne s’agit pas ici en effet de s’organiser pour pallier les déficiences de l’État, mais d’utiliser ces dernières pour mettre la société au pillage. L’État ne s’y trompe d’ailleurs pas : la vraie menace pour lui, c’est l’auto-organisation, ce sont les Gilets jaunes – que l’on se souvienne du nombre de victimes dans leurs rangs ; les pillages, au contraire, par la peur qu’ils suscitent, ramènent les électeurs vers le pouvoir régalien, même quand celui-ci est dans les faits incapable de contrôler certains territoires ou de sanctionner efficacement les émeutiers. Au contraire, prenant prétexte de telles émeutes, l’État développe un système coercitif de surveillance généralisée et, une fois de plus, les représentants de cette gauche radicale qui, en les soutenant sinon en les provoquant, permettent ces mouvements de violence, ne sont jamais que les idiots utiles du Système contre lequel ils prétendent lutter.

Que faire quand une partie de la gauche sort ainsi du champ républicain et appelle de manière aussi peu voilée à l’insurrection ? Que peut le droit face à cela (et notamment le code pénal qui vise à l’article 412-4, 4° la provocation à des rassemblements d’insurgés) ?

Si on se place dans la perspective historique que je viens d’évoquer, la gauche ne sort pas du champ républicain en appelant à l’insurrection, qui fait partie des éléments de la mythologie républicaine en France. Nous avons évoqué aussi le rapport des « deux légitimités démocratiques », celle d’un pouvoir élu de manière légale, et dont le statut peut être remis en cause à l’élection suivante, ou celle « de la rue ». Émeutes, révoltes, révolution ? Le pillage des magasins montre une jeunesse déboussolée, acculturée, totalement soumise à la dictature de la consommation moderne, et qui pour avoir « tout tout de suite » s’attaque aujourd’hui aux biens en attendant de s’attaquer demain un peu plus encore aux personnes. Quid alors de leurs soutiens ?

Vous évoquez la possibilité d’user à leur encontre des dispositions de l’article 421-4 du Code pénal. Je ne suis pas pénaliste, mais il me semble que les évènements actuels, quoi qu’en pensent les élus LFI, ne correspondent pas à la définition légale de l’insurrection, qui est, selon l’article 421-3 du même code « toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l'intégrité du territoire national » - sauf à intégrer les magasins Nike dans les institutions de la République. Je pencherai plus pour l’utilisation de l’article 222-14-1 du Code pénal sur les violences, qui sanctionne, « commises en bande organisée ou avec guet-apens, les violences commises avec usage ou menace d'une arme sur un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, ou sur un sapeur-pompier civil ou militaire ou un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs dans l'exercice, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions ou de sa mission », ou le suivant, l’article 222-14-2, qui sanctionne lui « le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». 

Il s’agit ici de ceux qui agissent ou préparent ces actes, mais quid de ceux qui poussent au crime ? L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse semble clair : « Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. »

Encore une fois, je ne suis pas pénaliste, mais il me semble qu’un gouvernement qui le voudrait trouverait dans les textes existant de quoi agir de manière efficace à l’encontre de ceux qui jettent de l’huile sur le feu - même s’il faut aussi savoir respecter une nécessaire liberté d’expression. Il appartiendrait en tout état de cause au juge de trancher. 

La dissolution de l’Assemblée Nationale, pour laisser trancher les Français sur la responsabilité de ceux qui ont justifié les émeutes pourrait-elle, sinon, être une réponse politique à cet enjeu démocratique ?

Après la solution juridique, la solution politique… Effectivement, face à de tels troubles, la dissolution de l’Assemblée nationale pourrait montrer de manière assez claire qui les Français considèrent non pas comme responsables directs des pillages des magasins, mais comme responsables indirects de ces exactions, par leurs attitudes ou leurs provocations, et ce depuis maintenant des années. 

Cette sanction politique existe à mon avis déjà : elle explique par exemple le fait qu’une grande partie des classes populaires aient délaissé le vote pour les gauches radicales, dont elles constatent qu’elles ne s’intéressent qu’aux intérêts de certaines minorités et non pas à l’ensemble des catégories sociales qu’elles prétendent défendre, pour se porter, soit, sur des mouvements spontanés, soit sur le Rassemblement national. 

Mais en l’état actuel Emmanuel Macron aurait peut-être intérêt à dissoudre l’Assemblée nationale. Il y aurait certes un vote important pour le Rassemblement national, les Républicains, au mieux, se stabiliseraient, mais Emmanuel Macron - contrairement à ce qui se serait passé s’il avait dissout sans ces émeutes - bénéficierait du vote réflexe de tout ceux qui, face à un danger, se réfugient instinctivement derrière le titulaire du pouvoir – même quand ce dernier s’est montré bien peu capable de l’exercer. Ainsi, la dissolution sanctionnerait sans doute les provocateurs du moment, mais ne permettrais pas faire de même pour celui qui, par la politique menée - mais, il faut bien dire, en s’inscrivant dans les pas de ses prédécesseurs -, a laissé l’État démuni face à ces violences. 

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