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Les guerres du XXIème siècle sont-elles gagnables ?
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C'était pas ma guerre ...

Irak, Afghanistan, Somalie ... les crises récentes montrent les difficultés des forces occidentales à terminer des guerres. Le rapport au temps, dans des contextes politiques complexes, se pose d'autant plus que la France tend à s'impliquer dans la durée au Mali.

Stéphane Chalmin

Stéphane Chalmin

Stéphane Chalmin est colonel dans l'armée de terre. Il a dirigé la rédaction de l'ouvrage collectif Gagner une guerre aujourd'hui ? (Economica / 2013).

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Atlantico : Gagner une guerre, au XXIème siècle... cela est-il encore possible ?

Stéphane Chalmin : Aujourd'hui, nous avons des armées très puissantes, capables de faire preuve d'une précision qui n'avait encore jamais été atteinte. Il y a une vraie supériorité des armées occidentales qui a entraînée une multiplication des conflits dits asymétriques, qui impliquent comme adversaire une force non conventionnelle, qui est en mesure de s'opposer à ces armées.

Le mode d'action de nos ennemis s'est adapté : pas d'armée au sens classique du terme, comme on l'a vu en ex-Yougoslavie ou en Irak, où le déséquilibre des forces était visible. C'est d'autant plus le cas face à l'armée américaine. On entre dans un nouveau type de conflits qui s'installe dans la durée. Et dès lors qu'il s'installe dans la durée, le monde occidental est fragilisé.

Dans nos pays, le poids de l'émotion, celui des médias, les difficultés à accepter les sacrifices, notamment humains, sont particulièrement difficiles à accepter. D'autant plus dans un contexte de crise budgétaire. Ce contexte nous rend peu aptes à nous engager dans des conflits longs.

Dans un tel contexte, la notion de victoire, dans la guerre, fait-elle sens ?

Sur le terrain, oui : nous gagnons. Le Mali en est une belle démonstration. Les armées françaises se sont engagées, hors cadre d'une coalition internationale, ce qui facilite la maîtrise des différents éléments et augmente la souplesse. Gagner la première étape, la neutralisation des ennemis, nous savons faire. La seconde phase, celle de la reconstruction, c'est beaucoup plus compliqué.

C'est justement dans cette seconde phase qu'il faut s'inscrire dans le temps long. Il faut être suffisamment surs de nos valeurs pour pouvoir guider le pays concerné et lui proposer des règles de bonnes gestion.

Nous avons un outil militaire de plus en plus performant. Mais les armées ne sont, justement, qu'un outil dans les mains du Politique avec un grand P. Or celui-ci est de plus en plus faible : la mondialisation a affaiblit les Etats. La légitimité de l'action militaire repose sur le soutien qu'accorde le peuple, la Nation. Là aussi, nous sommes de plus en plus battus en brèche.

C'est le fameux triangle de Carl von Clausewitz : l'armée, la Nation, l'Etat. Ces trois pilliers doivent se renforcer mutuellement. Actuellement, deux d'entre eux sont remis en question et s'affaiblissent : l'Etat et la Nation.

Performance militaire dans la première phase donc, mais seconde phase plus délicate, expliquez-vous. Savons-nous, aujourd'hui, aboutir dans cette seconde phase et les armées ont-elles un rôle à y jouer ?

On parle beaucoup d'approche globale. En Afghanistan, la stratégie des Américains a été beaucoup critiquée : il reste impossible de s'appuyer sur des autorités locales ou des pouvoirs politiques trop corrompus.

La place des armées, dans la phase de consolidation, varie. Par le passé, du temps de grands chefs militaires comme Lyautey ou Gallienni, ils avaient tous les pouvoirs. En tant que gouverneurs militaires, ils construisaient écoles, routes et marchés. Tous les éléments étaient dans la main du militaire qui avait un rôle sécuritaire, politique et diplomatique : il pouvait appréhender la globalité du développement d'une région.

Aujourd'hui, les militaires ont perdu beaucoup de leurs responsabilités dans la plupart des domaines, en dehors du sécuritaire. Ils peuvent donc difficilement aborder sereinement une logique d'approche globale. L'histoire et l'absence de conflit depuis de nombreuses années nous a amené à perdre ces prérogatives.

Dans ce domaine, il y a aujourd'hui une multiplicité des acteurs : des ONG, des Etats, des armées de différents pays... Nous devons déjà nous coordonner entre militaires sur le terrain, mais il faut aussi apprendre à travailler avec ces autres acteurs, pour prendre en compte leurs propres actions. C'est forcemment moins efficace que d'avoir un seul et unique gouverneur militaire.

Que fait-on pour corriger cet état de fait ?

L'Afghanistan a été l'occasion de prendre conscience de nombreuses réalités. L'armée française a été engagée à l'étranger tous les jours depuis 1962. Mais des opérations comme l'Afghanistan et la Côte d'Ivoire ont fait l'objet d'apprentissages et d'acquisition de savoir-faire nouveaux. Nous appliquons ces leçons au Mali.

L'Afghanistan ne montre-t-il pas notre incapacité à trouver une solution durable ? Le Mali ne tend-t-il pas à suivre la même direction ?

En Afghanistan, il a été difficile de trouver des autorités locales crédibles et reconnues. Sans elles, pas de transition possible.

Au Mali, c'est ce qui est en train de se créer en ce moment. Nous, les Français mais aussi tous les pays Occidentaux, allons devoir trouver comment bâtir le futur Mali. Quelles seront les structures du Mali ? Quelle organisation ? Quelle sera la représentation des touaregs ? Y aura-t-il des régions autonomes ? C'est de la politique étrangère mais c'est là, aussi, que se gagne une guerre.

Les militaires sont parvenus à appaiser le niveau de violence. Il faut maintenant amener les gens à la table des négociations et poser la question au peuple malien : comment veut-il se gouverner ?

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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