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Les Français se sentent vieux à 68 ans dans la vie... mais à 45 ans au travail
©D.R.

Date de péremption

A quel âge sommes-nous vieux ? 68 ans répondent les Français. Enfin sauf au travail où, là, c'est 45 ans. Un gouffre s'est creusé entre les perceptions de l'âge... laissant de jeunes vieux dépourvus d'avenir professionnel.

Anne-Marie Guillemard

Anne-Marie Guillemard

Anne-Marie Guillemard est professeur des universités à Paris Descartes.

Sociologue ayant notamment travaillé sur l'âge et la vieillesse, elle est l'auteure de Les défis du vieillissement (Armand Colin / 2010).

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Atlantico : 68 ans. C'est l'âge moyen annoncé par les Français lorsqu'on leur demande "A quel âge est-on vieux ?", selon une enquête du CSA. Mais 68 ans, n'est-ce pas déjà très vieux pour se sentir vieux ?

Anne-Marie Guillemard : L'espérance de vie s'accroît : elle frôle aujourd'hui les 80 ans, pour les deux sexes - ce qui est notamment nouveau pour les hommes ! C'est considérable. Le ressenti des personnes n'a rien d'abstrait : il est directement lié aux egos d'âges des individus et de leurs milieux. Les gens vivent plus longtemps et voient les autres vivre plus longtemps. Cela amène tout naturellement vers un premier seuil de perception de la vieillesse aux alentours des 70 ans. Un seuil qui est d'ailleurs largement décalé de l'âge de la retraite.

Une fois atteint cet âge, on peut effectivement parler de vieillesse. Les handicaps, plus ou moins sérieux, commencent à apparaître. Mais quelqu'un qui est dans la soixantaine reste généralement en très bonne santé. La perception de la vieillesse accompagne généralement ce handicap, une maladie ou l'entrée en maison de retraite. Autant de réalités qui se vivent de plus en plus tard.

A l'inverse, les sondés évoquent l'âge de 45 ans, lorsqu'on leur demande l'âge de la vieillesse en entreprise. Comment expliquer un tel décalage ?

La vieillesse professionnelle s'est largement accélérée. C'est une situation présente tout particulièrement en France. Une majorité des directions des ressources humaines estiment que dès 45 ans, il y a un seuil de franchit. Passé celui-ci, elles hésitent à former et à faire évoluer leurs collaborateurs. Pourquoi un tel décalage ? Parce que nos politiques ont encouragé la pré-retraite pendant près de 30 ans, dès 55 ans, enclenchant très directement un véritable compte-à-rebours dès la cinquantaine.

C'est d'autant plus paradoxal que l'insertion professionnelle des jeunes, elle-même, est extrêmement tardive en France. Vous n'êtes pleinement opérationnel au travail qu'entre 30 et 45 ans. Avant, vous manquez d'expérience. Après, vous êtes un demi-vieux. L'âge est devenu facteur de discrimination à l'emploi et s'applique à toutes les catégories. C'est notamment le cas des fameux "seniors" qui, s'ils se retrouvent au chômage, peinent tout particulièrement à trouver un nouvel emploi. Seuls pistes de sortie : la retraite anticipée ou les minimas sociaux.

Quelles sont les conséquences d'un tel décalage dans la perception de l'âge de la vieillesse, entre le monde de l'entreprise et celui de l'entourage ?

C'est terrible pour le pays et c'est terrible pour les gens. L'important chômage des seniors, qui ne fait que gonfler, impose de n'avoir qu'une seule génération au travail. Sur la catégorie des 30-55 ans, qui représente 40% de la population, on trouve plus de 80% des emplois. Ce sont eux qui font vivre le pays et assume sa productivité. Cette population assure seule les transferts sociaux ... alors qu'elle vieillit elle-même : les bab-boomers vont bientôt atteindre l'âge de la retraite !

Le jugement sur l'âge au sein de l'entreprise coûte beaucoup aux seniors. Il a un effet de miroir. Les propos des managers se retrouvent chez les salariés. Certains en viennent à intégrer, à intérioriser des jugements négatifs, estimant qu'ils étaient "trop vieux pour être formés". Une logique qui les pousse naturellement vers la sortie et qui complique d'autant plus leur insertion.

L'âge médian de sortie du travail est de 59 ans. Autant de gens qui risquent de ne pas retrouver d'emploi lorsqu'ils perdent le leur. Il y a presque trois ans de différence entre cette réalité et l'âge "normal" de la retraite. Une logique que l'on trouve beaucoup moins dans certains pays, notamment scandinaves.

L'inverse est-il vrai ? Le fait de vivre plus longtemps amène-t-il un sentiment de jeunesse lorsque l'on avance dans sa vie, y compris au travail ?

Bien sûr. Les gens se sentent jeunes malgré cette logique adoptée dans le monde professionnel. D'où un fort sentiment d'incompréhension et d'égarement.

Il faut apprendre aux entreprises à raisonner autrement et à former intelligemment leurs quadragénaires, justement pour ne pas se retrouver avec un personnel en forme, soucieux de progresser... mais dépourvu des avantages pour justifier son maintien à un poste. Il faut mettre en oeuvre une gestion prévisionnelle, préventive, des carrières.

L'approche sociétale, politique et entrepreneuriale de cette question est cruciale : mieux vaut être, à âge égal, un jeune retraité fringuant et plein de projets qu'un vieux travailleur sans avenir !

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