Les Français estiment qu'il leur manque 600€ par mois pour vivre sereinement : la faute à qui exactement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français ont besoin de 588 euros de plus par mois pour vivre confortablement, selon une étude
Les Français ont besoin de 588 euros de plus par mois pour vivre confortablement, selon une étude
©INA FASSBENDER / AFP

Coût de la vie

Le baromètre CSA Research pour Cofidis indique que les Français ont besoin de 588 euros de plus par mois pour vivre confortablement. Un chiffre en augmentation par rapport à 2022 (510 euros) et 2021 (467 euros).

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Pascale Hebel

Pascale Hebel

Pascale Hebel est Directrice associée chez C-ways.

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Atlantico : En France, il devient de plus en plus difficile de vivre convenablement, d'après le dernier baromètre Cofidis. Les Français disent qu'il leur manque 600 euros en moyenne, soit 80 euros de plus manquant que l'année précédente. Comment expliquer une telle dégradation du pouvoir d'achat des Français ?

Pascale Hébel : On observe, en effet, une importante dégradation du pouvoir d’achat en France, comparativement à l’année passée. En moyenne, il a chuté de 0,1% ou 0,2%, alors qu’il était en hausse en 2022. Cela s’explique notamment par une hausse de l’inflation en 2023, qui devrait grimper jusqu’à 4,5% annuel en moyenne. Dans le même temps, la hausse des salaires ne suit pas assez vite, ce qui entraîne mécaniquement une baisse du pouvoir d’achat. La proportion d’individus qui tombent dans le rouge à la fin du mois continue de croître, de même que certains facteurs d’inégalités. Je pense notamment à ce que l’on appelle le pouvoir d’achat effectif, c’est-à-dire après retrait des dépenses dites contraintes comme cela peut-être le cas du logement. On constate aujourd’hui que les inégalités grimpent quand on le retire de l’équation, parce que l’inflation touche des catégories de population très ciblées. L’Insee a ainsi observé un écart d’inflation entre les diverses populations de 4,5%.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet écart n’est pas lié aux déciles de revenus. Il est bien davantage lié à l’âge (les moins de 30 ans font face à une inflation 3,5% plus forte que le reste de la population, en moyenne, tandis que pour les plus de 70 ans elle monte à +7%) ainsi qu’à l’installation géographique de la population observée. En zone parisienne, l’inflation est plus faible et le pouvoir d’achat augmente. En zone rurale, c’est l’inverse : plusieurs dépenses (logement, énergie, déplacement) viennent ronger beaucoup plus le pouvoir d’achat. Le poids de l’alimentation y est aussi plus fort puisqu’il est mécaniquement plus lourd quand on appartient à une catégorie sociale moins aisée et que c’est régulièrement le cas en zone rurale comparativement à la région parisienne.

Don Diego de la Vega : Attention, tout d’abord à ne pas mélanger le déclaratif avec le véritable. Bien souvent, quand il pose des questions à autrui, on fait face au risque que la réponse de cet autrui (surtout quand il s’agit d’une masse, comme c’est le cas ici) soit erronée. C’est un point méthodologique important, qui reste valable dans de nombreux pays, sur de nombreuses questions et à de nombreuses occasions. Cela ne signifie pas, néanmoins, que le pouvoir d’achat se porte bien en France. A moyen terme, le pouvoir d’achat est supposé suivre les gains de productivité. Or, ceux-ci sont nuls depuis des années dans l’Hexagone. A très court termes, certains éléments peuvent varier le pouvoir d’achat à la hausse ou à la baisse. Ces fluctuations de court terme peuvent être liées à la fiscalité, au prix du baril, pour ne citer que quelques-unes des causes potentielles. En l'occurrence, la dynamique n’est pas très engageante.

Parce que le profil de croissance demeure assez plat, il en va de même pour le pouvoir d’achat des Français. Il ne convient pas, à mon sens, de désespérer… mais il ne faut pas non plus voir la vie en rose. Notre pays reste marqué par une dépense publique importante, en grande partie désindustrialisé, ce qui signifie que nous n’assistons pas à des variations de pouvoir d’achat aussi importantes qu’elles ne peuvent l’être chez nos voisins. 

Ce qui est indéniable, c’est qu’il y a une véritable crise du pouvoir d’achat, au moins pour certaines catégories de la population française. Ce sont d’ailleurs ces populations qui sont le plus affectées par les hausses hyperboliques des taux d’intérêts décidées par la Banque Centrale Européenne. La BCE les attaque par plusieurs bouts, en déprimant les perspectives globales et minimisant leur capacité à recourir à l’emprunt. Cela provoque une asymétrie entre des populations pour qui tout va bien (ou presque) et d’autres qui ont, c’est vrai, des raisons de peindre le tableau en noir. La hausse des taux d’intérêts, rappelons-le, favorise les créditeurs et non les débiteurs. Or, la plupart des ménages français qui ont du mal à finir leur mois ne sont pas créditeurs mais débiteurs nets. Nous redistribuons donc de la richesse, mais pas nécessairement vers celles et ceux qui en ont besoin. La hausse des prix du baril de pétrole n’est pas très ressenti par les parisiens, mais elle a un impact conséquent sur les populations rurales, par exemple.

Dans un système différent, qui ne serait pas capitaliste, faut-il penser qu’il ne manquerait “que” 600 euros aux ménages ?

Don Diego de la Vega : C’est une question intéressante, qui relève de l’analyse contrefactuelle. Si nous vivions aujourd’hui en dictature communiste ou fasciste, aurions-nous une meilleure perspective de pouvoir d’achat ? Non, probablement pas. Il y a assez peu d’économistes, me semble-t-il, qui oseraient défendre le contraire. Pour ma part, j’estime qu’il est important de ferrailler contre les théories protectionnistes, qui constituent l’un des points communs principaux entre le communisme et le fascisme, et je pense que les gains en pouvoir d’achat des ménages français depuis trente ans sont liés à la mondialisation.

Et pour cause ! Cela fait trois décennies, désormais, que nous faisons travailler ce qui pourrait presque être décrit comme des esclaves modernes venus de Chine ! Si on retirait leur travail de l’équation, le principal perdant serait le consommateur européen. Il faudrait remplacer les travailleurs Chinois ou accepter des hausses de coûts gigantesques et hors-échelle. Les lunettes que vous portez (peut-être) sur les yeux, achetées 80 euros chez Afflelou, sont arrivées assemblées et packagées à 1 euro au port du Havre, pour ne prendre qu’un exemple imagé. Cela montre à quel point ce ne sont pas les entreprises qui ont assuré les gains de pouvoir d’achat en France… mais bien les travailleurs Chinois que nous exploitons depuis des années.

Qui porte, aujourd'hui la responsabilité, de l'inflation aujourd'hui ? Faut-il blâmer l'Etat qui n'a pas su apporter les bonnes réponses politiques à certains facteurs exogènes comme la guerre en Ukraine ou la crise sanitaire ?

Pascale Hébel : En matière d’inflation dans le secteur alimentaire, il est important de remarquer que le phénomène est, pour moitié, imputable à la hausse des prix des matières premières. L’autre moitié est liée à la hausse des marges des acteurs économiques. On peut donc parler, au niveau mondial, de mauvaise répartition des coûts. Les grandes multinationales profitent de la crise pour faire des marges énormes. C’est eux qu’il faut blâmer.

Ceci étant dit, on peut aussi interroger les politiques publiques en France. Nous avons fait le choix de favoriser l’offre et de maintenir les salaires bas. Nous n’avons pas augmenté les salaires, pour continuer à profiter d’un avantage compétitif à l’international, et aujourd’hui force est de constater que le salaire moyen des Français est plutôt dans la moyenne basse par rapport au reste de l’Union européenne. Cela nous permet de rester compétitif et de favoriser l’export de nos marchandises. Sur ce volet là, nous sommes gagnants, ce qui n’est pas sans profiter aux citoyens puisque cela permet un taux de chômage assez bas. En revanche, cela implique aussi d’appauvrir les ménages français. Ce n’est pas une fatalité, mais bien un choix politique : nous avons décidé de rémunérer le patrimoine plutôt que le travail. Sur le moyen terme, cela engendre forcément une baisse de la consommation et peut, potentiellement, avoir des effets sur l’offre par effet de ricochet. 

Ce choix résulte d’une volonté d’éviter la boucle inflationniste qu’aurait pu engendrer une hausse des salaires.

Bien sûr, on peut aussi évoquer la politique du “quoi qu’il en coûte”, mise en place pour répondre à la crise sanitaire. C’est une politique qui a surtout profité aux entreprises et que l’on paie aujourd’hui parce qu’elle a repoussé les défaillances des entreprises, mais ne les a pas empêchés. La dette publique a, évidemment, beaucoup progressé et il devient donc essentiel de réduire les dépenses. C’est pourquoi nous sommes bloqués alors même qu’il faudrait soutenir la consommation, puisque c’est elle qui tire l’économie française en temps normal. Il aurait fallu cibler davantage les aides, ce que nous n’avons pas fait. Les boucliers tarifaires généraux pour lesquels nous avons opté favorisaient l’offre plutôt que la consommation.

Don Diego de la Vega : Dès lors que l’on raisonne proprement, c’est-à-dire quand on conçoit l’inflation comme ce qu’elle est, un phénomène monétaire, alors le responsable de l’inflation ne peut être que le banquier central. Nous l’avons rendu puissant et indépendant.

Ce que nous observons depuis deux ans désormais ne constitue pas, à proprement parler, de l’inflation en cela qu’il ne s’agit pas d’un phénomène monétaire. C’est une dérive des coûts, liée effectivement à des facteurs essentiellement exogènes. C’est un mélange de pas de chance, de fatalité bien sûr, mais aussi de mauvaises réponses institutionnelles ou gouvernementales face aux chocs rencontrés. En la matière, cela fait donc deux ans que le banquier central est déculpabilisé.

Il y a tout de même un problème : le banquier central, pour être sûr de ne pas être considéré coupable, a décidé d’augmenter les taux d’intérêts. Pour ne pas être le coupable de l’inflation de 2022-2023, il a donc préféré être le coupable de la récession à venir. Nous sommes donc pris entre deux feux : le feu, toujours persistant quoique conjoncturel, de l’inflation et celui qui nous frappera l’année prochaine, profondément récessionniste. En 2021-2022, certains ménages ont perdu en pouvoir d’achat. En 2024-2025, une partie conséquente d’entre eux va perdre leur emploi.

Dans le cadre du premier choc, les responsabilités sont multiples mais pas monétaire. Le second, en revanche, nous nous le sommes manuellement infligé. Nous avons décidé de nous tirer une balle dans le pied, merci Francfort.

Bien sûr, on pourrait également imputer les difficultés actuelles à l’incapacité de l’Etat à gérer sa dépense publique… mais en l'occurrence, la situation n’est pas particulièrement neuve. Point important, cependant : nos gouvernements actuels sont particulièrement faibles, ce qui signifie qu’ils sont encore plus sujet qu’avant à des crises “hystériques”, qui ressemblent à des caprices et durant lesquels l’Etat va mettre le paquet sur un problème immédiat avant de l’oublier ensuite, après quelques mois.

Dans quelle mesure peut-on blâmer la BCE, notamment pour l'absence de croissance en Europe cette dernière décennie ?

Don Diego de la Vega : L’affaire commence avant même la dernière décennie : elle remonte à 2003. C’est le début de l’euro très cher. A la différence d’un euro fort, qui assure la stabilité des prix, un euro très cher est un euro dont on a artificiellement gonflé la valeur. Cette situation commence avec Jean-Claude Trichet, s’accentue entre 2008 et 2011, avant de s’accentuer à nouveau sur la période récente. Cela fait 18 mois désormais que la BCE a opté pour une politique que l’on pourrait qualifier de “politique de sacrifice aztèque”, laquelle consiste à scalper ce qui reste de forces productives en zone euro.

Indéniablement, la BCE est très responsable de la japonisation de notre continent et de l'amincissement des perspectives nominales en zone euro sur les 20 dernières années. Le seul moment où elle a été vaguement neutre, c’est quand elle a été obligée de désarmer monétairement, au risque sinon de voir le système s’effondrer. Pas par goût pour la croissance, mais bien pour défendre sa propre existence. Cela correspond à une partie de la période de la présidence de Mario Draghi, pendant laquelle la BCE a mis de l’eau dans son vin. Puis le naturel est revenu au galop, consistant donc à remonter les taux aussi souvent qu’elle le peut.

Un nombre conséquent de Français interrogés expliquent qu'ils auraient tendance à utiliser ces 600 euros pour de l'alimentation. Dans quelle mesure avons-nous organisé la chute du pouvoir d'achat alimentaire des consommateurs, faute d'aide, par exemple ? Quid de la politique agricole française ?

Pascale Hébel : Il y a un vrai sujet sur la question agricole et alimentaire en France. Cela fait des années que nous sommes coincés entre le monde agricole, qui pèse lourd dans l’économie, et la défense des consommateurs. Nous n’avons jamais mis en place de politique alimentaire en Hexagone, comme il a pourtant pu exister des politiques agricoles. Il n’y a jamais eu d’aides alimentaires comparables au droit au logement ou aux primes de précarité énergétiques qui existent aujourd’hui. Il n’existe que l’aide alimentaire, qui ne devrait exister que de façon très ponctuelle, et qui ne bénéficie pas à tous. Aujourd’hui, une grande partie de la population est dans le négatif à -600 euros mensuels, ce qui illustre bien que de plus en plus de gens ont besoin d’aide pour manger à leur faim. Il y a donc un vrai souci de politique de soutien (au niveau local, mais pas seulement) ou de politique globale permettant aux Français de manger à leur faim et de bien manger (c’est-à-dire de façon assez variée pour rester en bonne santé).

Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle aura nécessairement, à un moment ou à un autre, un problème de santé publique.

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