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Les Etats-Unis sont probablement le seul (et maigre) espoir de Meriam Ibrahim d’échapper à une pendaison imminente mais Washington est bien trop occupé à demander les tests ADN de ses enfants
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L’Occident à la ramasse

Un tribunal de Khartoum a condamné, jeudi 15 mai, une Soudanaise de 27 ans, Meriam Ibrahim, à la peine de mort. Son crime : être née d'un père musulman et avoir épousé un chrétien. Elle sera pendue pour apostasie. La jeune femme a une seule issue de secours : son mari, et père de ses enfants, est américain. Pourtant, les Etats-Unis ont de leur côté décidé de faire des tests ADN sur les enfants pour s'assurer qu'il s'agit des bons... Un bel exemple d'inaction.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jeune soudanaise chrétienne condamnée à mort par Khartoum pour apostasie : Le cynisme dangereux de l’Amérique !

Une jeune soudanaise chrétienne, Meriam Yahia Ibrahim Ishag est toujours incarcérée au Soudan pour apostasie (le fait de changer de religion), selon les lois en vigueur de la République islamique du Soudan. Dite née d’un père musulman et d’une mère chrétienne, elle est considérée comme musulmane par les autorités soudanaises. Pour avoir refusé de renier sa foi chrétienne, elle a été condamnée le 15 mai dernier à recevoir 100 coups de fouets, promis pour bientôt, et à la peine de mort. D’autre part, le père des enfants est un chrétien du Soudan du Sud qui est de nationalité américaine. Selon l'interprétation soudanaise de la charia (loi islamique), le mariage d’une musulmane et d’un chrétien est considéré comme un "adultère", qui est aussi puni de mort.  Elle a été enfermée à la prison pour femme d'Omdurman, la ville jumelle de Khartoum, avec son premier enfant, un petit garçon de 20 mois, et a accouché depuis d’une petite fille dans des conditions impensables. 

"Nous vous avions donné trois jours pour abjurer votre foi mais vous avez insisté pour ne pas revenir vers l'islam. Je vous condamne à la peine de mort par pendaison", a déclaré le juge Abbas Mohammed Al-Khalifa à l'adresse de la jeune femme lors de son procès, qui n’était qu’une mascarade de justice rendu au nom de la loi coranique.

Une attitude laxiste des autorités internationales vis-à-vis de Khartoum

On explique que le juge n'a pas répondu aux appels à la clémence, lancés avant le procès par les ambassades des Etats-Unis, du Canada, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Dans un communiqué, ces chancelleries avaient demandé aux autorités judiciaires de gérer le cas de Meriam avec "compassion". Et elles avaient appelé le gouvernement du Soudan à respecter le droit à changer de foi ou de croyance. "Compassion" ! Comme s’il s’agissait de dialoguer avec des barbares qui ne veulent pas sortir du moyen-âge et prononcent régulièrement des peines qui défient l’horreur au nom d’un dieu. Depuis la condamnation de la jeune fille les autorités de Washington, malgré la nationalité américaine du père, restent largement silencieuses.

En réalité, cette situation s’inscrit dans un contexte bien plus large qui mériterait plus d’attention de la part des médias et des responsables politiques. Le régime de Khartoum se livre, depuis que la charia y a fait retour après le coup d’Etat de 1989 mené par Omar el-Béchir,  actuel président de ce pays, à une chasse aux chrétiens et animistes au sud-Soudan et au Darfour, avec des millions de personnes assassinées et déplacées, accumulant les crimes au nom de la religion. Le 14 juillet 2008, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, demande aux juges de la CPI d'émettre un mandat d'arrêt à charge contre Omar el-Béchir parce qu'il aurait commis des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au Darfour. Un mandat, puis un second qui a suivi, qui ne sont évidemment toujours pas exécutés. Quand donc les autorités internationales prendront-elles leurs responsabilités alors que ce criminel se déplace librement dans des manifestations publiques à l’étranger ? Au regard de cette situation, que pèse le sort d’une petite soudanaise…

Le cynisme de l’administration américaine 

Pour éviter les questions qui fâchent avec le régime soudanais que reconnaissent les Etats-Unis (sic !), le problème s’oriente vers un questionnement d’ordre juridique qui frise le plus profond des cynismes. Originaire du Soudan du Sud, Daniel Wani son époux, a en effet la nationalité américaine, et s’il prouve qu’il est bien le père des deux enfants de Meriem, ils pourront à leur tour avoir la nationalité américaine. Washington est en effet très impliqué dans le dossier de la jeune Soudanaise selon la porte-parole du département d’Etat, Jen Psaki, qui explique que l’ambassade des Etats-Unis à Khartoum aide le mari de la jeune femme. Ce dernier a rencontré des responsables diplomatiques, a précisé Mme Psaki. Pour faire bonne mesure et plaider la cause de la jeune fille, elle explique que, "Pour accorder la nationalité à un enfant né à l’étranger, il doit y avoir notamment une relation biologique entre l’enfant et un parent américain", en citant les lois américaines sur l’immigration et la nationalité… "Le test génétique est un outil utile pour vérifier une relation biologique", a-t-elle fait valoir. Malheureusement, dans les circonstances, on se demande comment il serait réalisable ?(1). 

Une façon de vouloir régler le sort des enfants, il faut le reconnaitre, qui ne dit rien de celui qui sera finalement réservé à la jeune femme, et à toutes celles qui comme elles risquent la mort pour simplement exercer une des premières libertés de tout individu dans un Etat de droit, la liberté de conscience, le droit d’avoir une religion, d’en changer ou de ne pas en avoir.  A aucun moment le régime de Khartoum n’est par quiconque directement remis en cause, en tant que tel. Quand à Obama, représentant de ce qui passe pour la première démocratie au monde, il ne dit pas un mot.

Le Coran n’y serait pour rien !

Certains croient pouvoir expliquer qu’il n’y aurait rien dans le Coran qui attesterait de la peine de mort pour apostasie. On se réfère en général à ses interprétations pour le justifier, que l’on trouve dans différents "Hadiths", paroles rapportées du prophète, qui viennent compléter la lecture du texte sacré. Par exemple, le Hadith d’Ibn Mas`ûd : "Le sang d’un musulman qui atteste qu’il n’y a de dieu que Dieu et que je suis le Messager de Dieu est illicite sauf dans trois cas : l’homicide volontaire, le fornicateur qui a déjà connu le mariage et l’apostat qui abandonne la Communauté."

Mais plus simplement, on trouve dans la sourate IV quelques versets saisissant que l’on ne cite jamais curieusement, comme si on voulait se convaincre que le coran ne renferme rien au regard du droit, qui ne puisse justifier d’en questionner le contenu sacré : Sourate IV, versets 56 ; "Certes, ceux qui ne croient pas dans Nos Versets, Nous les brûlerons bientôt dans le feu. Chaque fois que leur peaux auront été consumées, Nous leur donnerons d’autres peaux en échange afin qu’ils goutent au châtiment… " La seule modération rencontrée est celle du musulman qui a quitté sa religion et y fait retour, pour lui la miséricorde est possible uniquement.

Plus près de nous, dans un manuel de droit musulman, Droit et religion musulmane (2005), écrit par les deux avocats de la Grande Mosquée de Paris et de la Grande  Mosquée de Lyon à destination des musulmans de France (2), on peut lire en forme de critique de l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, qui définit la liberté de changer de religion comme droit fondamental, ce qui suit : 

Il est légitime qu’une religion combatte le renoncement à la foi. La perte de la foi est la fin de la religion, et la religion doit s’armer contre ce renoncement qu’elle analyse, pour le fidèle, comme un égarement, et pour elle, comme un péril. Une religion peut ainsi mettre en garde les fidèles (…) fulminer les sanctions les plus rigoureuses, visant à l’intériorisation du principe de fidélité. Pour les auteurs, le procédé de changement de religion ne relève que de la libre organisation interne des cultes, et non pas de la puissance publique (…) Le droit est sans prise sur la foi.

On ne pourra que s’étonner d’une telle affirmation qui nie tout simplement à la puissance publique, à travers un texte aussi essentiel du droit internationale qu’est La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, le droit de faire respecter cette liberté fondamentale de changer de religion ou de ne pas en avoir. Et ceci, dans des termes que le verbe « Fulminer », c’est-à-dire, exprimer de façon violente sa colère, décrit assez bien. La religion serait donc censée faire ce qu’elle veut, y compris en utilisant les moyens qui lui semblent bon pour se garantir la fidélité du croyant et ce, au grand dam du droit positif qui devrait en quelque sorte, rester en dehors. 

C’est d’ailleurs ce que les autorités canadiennes avaient à un moment donné accepté dans l’Ontario, en autorisant la constitution de tribunaux islamiques appliquant la charia. La pression internationale avait poussé ces dernières à y renoncer. Il existe pourtant en Angleterre un système du même genre qu’on a laissé s’installer et qui y fait débat.

Défendre les Droits de l’Homme partout et sauver la jeune Meriam 

Le cas de cette jeune soudanaise est révélateur de ce rejet des Droits de l’Homme par une conception de la religion qui doit questionner gravement les instances internationales et les gouvernants des pays développés, qui continuent d’être dans le mythe de l’islam ne pouvant être qu’une religion de paix. Sa modernisation passe par la reconnaissance des droits et libertés fondamentales de l’individu comme supérieurs à la religion comme à tout dogme philosophique. Cela est vrai évidemment pour toutes les religions, dont aucune n’a produit l’égalité entre les hommes ou l’égalité hommes-femmes, pas plus que la liberté de pensée.

On peut s’interroger de savoir si l’aspect religieux n’est pas fondamentalement ce qui gène ici sur le fond les Etats-Unis et leur président, où la religion fait loi derrière la façade d’un Etat séparé sur le papier des religions, mais aussi où on ne doit jamais déranger les affaires. Il reste qu’il faut tout faire pour sauver Meriam Yahia Ibrahim Ishag !

1-http://www.thedailybeast.com/articles/2014/06/04/obama-adds-insult-to-injury-for-sharia-condemned-young-mother-in-sudan.html?utm_medium=email&utm_source=newsletter&utm_campaign=cheatsheet_afternoon&cid=newsletter%3Bemail%3Bcheatsheet_afternoon&utm_term=Cheat%20Sheet

2-Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, Pages 34 à 36.

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