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Les électeurs animalistes : nouvelle île de l’archipel français
©PASCAL PAVANI / AFP photo / AFP

Nouveaux spécimens

Avec 490 000 bulletins, le Parti animaliste a atteint le score de 2,2% aux dernières élections européennes, ce qui lui a permis de devancer nettement les différentes listes se réclamant des « Gilets jaunes » mais aussi celle de l’UPR de François Asselineau ou celle des Patriotes de Florian Philippot, listes pourtant nettement plus médiatisées.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Parmi la kyrielle de petites listes qui briguaient les suffrages des Français pour les élections européennes, l’une d’entre elles est parvenue à tirer son épingle du jeu : celle du Parti animaliste. Avec 490 000 bulletins, elle  a atteint  le score de 2,2% ce  qui  lui  a  permis  de devancer nettement les différentes listes se réclamant des « Gilets jaunes » mais aussi celle de l’UPR de François Asselineau ou celle des Patriotes de Florian Philippot, listes pourtant nettement plus médiatisées. Formation relativement nouvelle sur la scène politique (le parti a été créé en 2016), les animalistes ont fait quasiment jeu égal avec des partis ayant pignon sur rue comme le PC ou l’UDI (2,5% chacun). Même si les scrutins européens se sont montrés relativement propices par le passé à l’éclosion de partis thématiques qui ne transformèrent pas l’essai par la suite, ce score des animalistes interpelle. On peut formuler l’hypothèse selon laquelle nous serions face à un phénomène de société profond et non pas en présence d’un feu de paille passager. Il y a deux ans aux législatives, les 100 candidats présentés par ce mouvement avaient recueilli en moyenne 1% des voix dans les circonscriptions où ils se présentaient. Parallèlement, les succès de librairie rencontrés par les livres d’Aymeric Caron et de Franz-Olivier Giesbert, prenant fait et cause pour la défense des animaux ou l’antispécisme, ou bien encore l’écho des campagnes chocs d’associations comme L214 dénonçant les conditions d’élevage ou d’abattage des animaux nous renseignent sur la montée en puissance dans toute une partie de la société française de cette nouvelle sensibilité.

1- La carte du vote animaliste diffère sensiblement de celle du vote écologiste
Dans ce contexte, le scrutin européen nous donne l’opportunité de tenter une première radiographie de ce que nous pouvons considérer comme une nouvelle île émergente au sein de L’archipel français1. Compte-tenu toutefois du score assez limité de cette liste, les données sondagières, même auprès d’échantillons importants (plus de 3 000 personnes pour l’enquête Ifop réalisée le jour du vote), ne nous donnent que quelques informations lacunaires. L’analyse cartographique nous permet d’aller un cran plus loin dans le décryptage. Mais pour ce faire, il convient de mettre en regard ce vote non seulement avec d’autres votes, pour tenter de mettre à jour des proximités ou au contraire des oppositions, mais également avec d’autres données socio- économiques voire culturelles et religieuses pour identifier les facteurs favorisant ou au contraire inhibant ce vote émergeant. Enfin, comme l’ont montré Yves Lacoste et Béatrice Giblin dans de nombreux travaux, une approche de ce vote à différentes échelles (analyse multi-scalaire) peut permettre de cerner des contextes locaux et des paramètres explicatifs différents.  
La carte de France à l’échelle cantonale (réalisée à partir du nouveau découpage comprenant 2 000 cantons) fait apparaître les zones de force et de faiblesse de ce nouveau courant politique ou de cette sensibilité. Précisons d’emblée que nous parlons d’un mouvement qui n’a recueilli que 2% des suffrages. Un tel étiage doit nous amener à relativiser les notions de « bastions » et de « terres de mission » car les écarts de scores ne sont que de quelques points de pourcentages entre les zones les plus favorables et les plus hostiles.
Carte 1 : vote animalistes par cantons
Pour autant, la carte ci-dessus fait apparaître une inégale répartition de ce vote sur le territoire national. La liste du Parti animaliste enregistre globalement ses meilleurs scores dans le quart nord-est du pays. Les points d’appui principaux se situent dans la grande périphérie francilienne où ils dessinent de manière assez régulière à bonne distance de la capitale un halo de cantons en Seine-et-Marne, dans l’Aisne, l’Oise, le Val d’Oise, l’Eure, les confins des Yvelines et de l’Essonne et le Loiret. On trouve également en Haute-Marne, en Moselle, dans les Ardennes et le Nord, de nombreux cantons à plus de 3%. Ailleurs dans le quart nord-est du pays, le seuil des 2,5% est régulièrement franchi (Yonne, Haute-Saône, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Nord, Eure, Eure-et-Loir et Loiret). L’autre zone de force relative du Parti animaliste, géographiquement plus restreinte, est située dans l’extrême sud-est : Alpes-Maritimes, Var et une partie des Alpes-de-Haute-Provence. Sur la façade ouest du pays comme dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, les résultats sont en revanche nettement plus faibles. Ils ne franchissent quasiment jamais le seuil des 2,5% et, dans de nombreux territoires, la liste ne recueille pas 2% (Bretagne, Deux-Sèvres, Pyrénées-Atlantiques) voire se situe en dessous de 1,5% (dans une partie de la Mayenne, du Maine-et-Loire, de la Vendée, de l’Aveyron ou du Cantal).
Lorsqu’on opère des zooms sur cette carte on constate par ailleurs, quelles que soient les régions, que les grandes métropoles sont peu favorables à cette liste. C’est le cas en région parisienne, mais aussi à Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille ou Lyon. Ces premiers éléments nous indiquent que nous n’avons manifestement pas à faire avec un vote se rattachant à la même famille idéologique et sociologique que les écologistes. La carte du vote Jadot finit de nous en convaincre dans la mesure où elle apparaît même comme antithétique de celle des animalistes. Les zones de force d’EELV sont situées dans le cœur des grandes métropoles, dans l’Ouest (littoral breton, aires rennaise, nantaise et angevine) et en Rhône-Alpes (notamment dans des zones rurales Drôme, Isère et Hautes-Alpes). Ils correspondent la plupart du temps à des espaces où les animalistes sont particulièrement à la peine, alors qu’inversement, là où ces derniers existent électoralement, EELV ne performe pas. Si l’on veut employer une métaphore puisant dans le registre de la biologie et des sciences naturelles, on peut dire que ces deux partis ne partagent pas du tout les mêmes écosystèmes. La géographie du vote EELV que nous avons décrite brièvement correspond à l’aire traditionnelle du vote écologiste en France telle quelle s’est fixée depuis une trentaine d’années (à la fin des années 1980 lors des premiers succès des Verts).
Carte 2 : vote EELV par cantons
Le Parti animaliste, force potentiellement émergente, ne s’est pas implanté dans les mêmes territoires et n’est manifestement pas en concurrence directe avec EELV. On notera d’ailleurs que les thématiques mise en avant par les deux mouvements ne sont pas les mêmes. La souffrance animale, le sort des animaux de compagnie et d’élevage ne sont pas au cœur du discours des écologistes qui dénoncent plus volontiers les excès du productivisme et l’impact néfaste de nos modes de vie sur la planète et le climat, enjeux moins prégnants pour les animalistes.
2- La présence de l’élevage comme facteur inhibant le vote animaliste
Le rapport aux animaux étant central pour ce parti, dont le slogan de l’affiche était « Les animaux comptent, votre voix aussi » on peut émettre l’hypothèse que la place et la visibilité des animaux d’élevage ou de compagnie dans l’environnement de proximité des électeurs a pu influencer le vote en faveur de ce mouvement ou au contraire jouer comme un facteur limitatif ou empêchant localement le développement de ce courant. L’analyse géographique menée à l’échelle nationale et départementale nous conforte dans cette voie.
La carte n°4 détaille ainsi la répartition des abattoirs de gros animaux (bovins, équidés, porcs, ovins et caprins) au plan national. Comme on peut le voir, cette présence n’est pas homogène sur le territoire. Le maillage en abattoirs est en effet d’autant plus dense que la présence d’animaux « à traiter » est importante. La présence des abattoirs constitue en quelque sorte un révélateur synthétique de l’intensité des activités d’élevage dans notre pays. Assez logiquement ressortent nettement sur cette carte le Grand Ouest, grande région d’élevage laitier et porcin, le Massif Central (élevage de bovin viande et laitier) ou bien encore certaines zones de montagne (élevage ovin et laitier). A l’inverse, le maillage en abattoirs est beaucoup moins dense dans le grand bassin parisien et les Hauts-de-France (zones de grandes cultures et très urbanisée pour l’agglomération parisienne), dans l’Est intérieur ou bien encore sur le littoral méditerranéen et notamment dans le sud-est du fait de la forte urbanisation et de la présence de la vigne et de l’arboriculture qui laissent peu de place à l’élevage.
Cartes 3 et 4
Or cette carte correspond assez bien au négatif, au sens photographique du terme, de la carte n°3 qui est celle du vote pour le Parti animaliste. Les départements et régions d’élevage constituent pour l’essentiel des zones de faiblesse de ce parti, alors que les territoires dans lesquels cette activité agricole est peu présente ont en moyenne mieux voté pour lui. Deux éléments explicatifs peuvent contribuer à éclairer cette corrélation inversée. Un facteur socio-économique tout d’abord. Dans les régions où l’élevage est très présent, le poids direct et indirect de cette filière (agriculteurs, transporteurs, salariés des abattoirs et des entreprises de transformation) est important et toute une partie de la population vit grâce à cette activité et est donc assez peu encline à prêter une oreille attentive à ceux qui la pointent du doigt et la critiquent. A l’argument de la « reconnaissance du ventre » vient s’ajouter un facteur culturel. Dans les régions d’élevage, les animaux font partie du paysage quotidien et la hiérarchie entre l’homme et l’animal est encore fortement intégrée dans le « sens commun », pour reprendre un concept bourdieusien. Le fait que les hommes élèvent des animaux pour finalement les tuer et les manger est assez peu questionné car cette pratique est très profondément ancrée dans les représentations collectives comme dans les paysages.
Cette vision des choses, héritée de l’histoire de longue durée, est manifestement moins partagée dans les régions de grandes cultures. Dans leur livre Le mystère français2, Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, ont développé la notion très opérante de « couches protectrices » pour décrire l’existence de différents phénomènes (culturel, religieux, anthropologique, sociologique ou idéologique) limitant ou bloquant le développement et l’implantation d’un courant politique sur un territoire donné. On peut reprendre ce concept à ce stade de notre analyse en avançant l’idée que la présence de l’élevage fonctionne comme une couche protectrice freinant le développement du Parti animaliste dans le Grand Ouest et dans le sud du Massif Central notamment.
3- L’influence du mode de vie péri-urbain
À l’inverse, en l’absence de cette « couche protectrice », ce mouvement a rencontré un certain écho sur le pourtour du bassin parisien. Mais comme l’a montré la carte n°1, la zone la plus densément peuplée, qui correspond au cœur de la métropole et aux premières couronnes, ne s’avère pas être propice au Parti animaliste. Cette différence sensible en termes d’audience électorale pour ce parti entre le centre élargie et la grande périphérie francilienne nous mène vers un autre facteur explicatif. On peut ainsi faire l’hypothèse que ce vote émane d’abord de zones d’habitat individuel (petites villes et espaces pavillonnaires) où les résidents disposent souvent de jardins. On touche ici à la définition d’un mode de vie particulier, centré sur la sphère individuelle et familiale et dans lequel les animaux de compagnie occupent une place importante. Dans cette grande périphérie, les habitants disposent d’espaces récréatifs (bois, forêts, aires de loisirs…), univers adapté à la possession d’animaux de compagnie dont des chiens. L’écosystème hyper-urbain du cœur de la métropole francilienne est en revanche moins adapté à ce mode de vie et à la possession d’animaux de compagnie. La place qu’occupent les animaux dans ces zones de la grande périphérie francilienne s’explique à la fois par le type d’habitation qui permet plus facilement leur présence mais aussi par une culture favorisant la sphère privée : le chien ou le chat étant l’un des ingrédients du bonheur familial. Au même titre que les deux voitures nécessaires aux deux membres du couple pour aller travailler, que le barbecue et le salon de jardin pour prendre l’apéritif ou recevoir famille et amis, que la balançoire ou le trampoline pour les enfants, l’animal de compagnie fait partie des basiques du way of life péri-urbain.
Les données d’enquête de l’Ifop indiquent au plan national que le Parti animaliste a préférentiellement capté des voix dans la classe moyenne inférieure et dans les milieux modestes. Au sein de la grande catégorie que constitue la classe moyenne, le différentiel de vote est très marqué entre les classes moyennes supérieures (1% des voix seulement pour le Parti animaliste) et les classes moyennes inférieures (4%).
Cette ligne de fracture sociologique se décline également géographiquement, notamment dans le Bassin parisien, où le bas de la classe moyenne, compte tenu des prix de l’immobilier, réside dans les périphéries éloignées, zones où ils ont développé une culture pavillonnaire spécifique.
Les animaux domestiques ont pleinement droit de cité dans cette culture pavillonnaire et en toute logique, les revendications du Parti animaliste ont rencontré l’écho le plus fort dans ce type d’espace. Ce mode de vie étant moins prégnant dans le cœur de la métropole, le vote animaliste y est moins élevé. En ce sens, on peut considérer que le caractère très urbanisé d’un territoire constitue une autre « couche protectrice » ayant limité l’audience de ce vote (alors que le vote écologiste prospère dans le cœur de la métropole francilienne).
La combinaison de ces deux « couches protectrices » (ou de ces deux facteurs inhibants) que sont la présence importante de l’élevage d’un côté et la nature très urbanisée d’un territoire de l’autre, nous permet de comprendre cette géographie en halo du vote animaliste sur le pourtour francilien. A l’intérieur du halo, quand on se dirige vers le cœur de l’agglomération, on se heurte assez rapidement à un tissu urbain très dense. Et l’extérieur du halo, quand on quitte les plaines de la Beauce et de la Brie et plus globalement les zones de grandes cultures, on pénètre progressivement dans des zones d’élevage. C’est le cas par exemple à l’ouest avec le Perche. Au nord, le cas du département de l’Oise constitue également une bonne illustration de phénomène.

4- Focus régionaux

La carte départementale indique qu’à l’exception des zones urbaines (Creil-Senlis, Beauvais, Compiègne et Noyon) la grande majorité des cantons ont offert des scores élevés au Parti animaliste. Ils correspondent à des territoires de grandes cultures et d’habitat pavillonnaire ou villageois3. Les animaux d’élevage y sont peu présents à l’inverse des animaux domestiques, éléments importants dans ce mode de vie péri-urbain de la grande périphérie francilienne.
Carte 5 : Score du Parti animaliste dans l’Oise
Les scores sont en revanche plus faibles au nord-ouest du département, seule région du département où l’élevage bovin est dominant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le seul abattoir du département est situé à Formerie, précisément dans ce terroir. A l’extrémité nord-est du département, l’élevage est également pratiqué dans une partie du Noyonnais et l’on constate que le vote animaliste y est aussi un peu moins puissant que dans le reste du département.
On observe les mêmes mécanismes dans le département voisin de l’Aisne. Le vote animaliste le plus élevé est enregistré dans le sud du département, au contact de la très grande périphérie francilienne, terroir où les grandes cultures et la vigne (extension du vignoble champenois) prédominent. Le Parti animaliste bénéficie en revanche d’un soutien deux fois moins important au nord-est du département, dans la Thiérache, terroir d’élevage bovin.
Un zoom sur le département des Landes permet de vérifier que la présence de l’élevage (de différentes espèces) joue bien le rôle de « couche protectrice » vis-à-vis de l’implantation électorale du Parti animaliste. Dans ce département du sud-ouest, l’audience de ce parti varie sensiblement d’un territoire à un autre comme le montre la carte suivante avec des scores nettement plus élevés dans le nord que dans la partie sud-est des Landes (moins de 1,5% dans cette zone). Or ces terroirs de la Chalosse et du Tursan sont précisément ceux qui concentrent l’essentiel des élevages avicoles (Saint-Sever) et de palmipèdes (production de foie gras et de viande de canard) du département comme on peut le voir sur la carte.
Carte 6 : Score du Parti animaliste dans les Landes
À l’instar de l’élevage bovin ou porcin (le Parti animaliste n’obtient ainsi par exemple que 1,2% des voix à Lamballe dans le cœur du bassin porcin des Côtes d’Armor), la présence et le poids économique importants de ce type d’activités agricoles participent localement à la formation d’un climat d’opinion assez peu propice au courant animaliste, qui milite notamment pour l’interdiction du gavage des oies et canards et dénonce les conditions dans lesquelles ces animaux sont élevés4. Cette couche protectrice fonctionne moins bien dans le reste du département des Landes où l’élevage occupe une place nettement plus marginale.
On peut penser qu’un second phénomène s’ajoute à ce premier facteur de limitation de l’audience de cette liste dans cette partie du département. On constate en effet que les principales communes où se déroulent des corridas se situent globalement dans ce même périmètre. Le combat pour l’interdiction de la corrida constitue un des principaux chevaux de bataille des animalistes qui comptent dans leurs rangs des personnes militant ou ayant milité dans des associations anti-corridas5 (dont ils demandent « l’abolition », l’emploi de ce terme, renvoyant à l’abolition de la peine de mort ou de l’esclavage, visant à effacer la frontière entre l’homme et l’animal). Cette revendication est assez populaire au plan national, 74% des Français se déclarant favorables à la suppression des corridas6. Mais dans les régions où la culture tauromachique demeure fortement ancrée, cette prise de position peut s’avérer contreproductive au plan local. Les scores du Parti animaliste sont ainsi particulièrement faibles dans les places taurines des Landes : 1,2% à Hagetmau, 1,4% à Mugron et 1,9% à Dax et Mont-de-Marsan. Les performances sont également limitées dans d’autres villes de féria de la région : (1,4% à Bayonne, 1,6% à Vic-Fezensac dans le Gers) ou du Gard par exemple : 1,5% à Saint-Gilles, 1,7% à Alès et 1,8% à Vauvert.
Nous avons vu précédemment sur la carte n°1 que le sud-est du pays constituait avec le pourtour francilien, une autre zone de force relative de ce parti. Un focus sur le département du Var permet de compléter l’analyse des écosystèmes favorisant un tel vote. Dans ce département, la liste des animalistes atteint ses taux les plus élevés sur le littoral avant de perdre en intensité au fur et à mesure que l’on gagne l’intérieur des terres. L’épicentre semble se trouver à Saint-Tropez (5,1%) et dans les communes proches : 4% à La Croix-Valmer, 4,1% à Grimaud, 4,3% à Cavalaire, 4,5% à Bormes-les-Mimosas. On peut en partie y voir l’influence de Brigitte Bardot, ardente militante de la cause animale et ayant appelé à voter pour ce parti7. Le fait que la star habite dans sa propriété de la Madrague, sise à Saint-Tropez, a sans doute eu son influence localement.
Mais outre la prise de position de cette figure locale, le Parti animaliste a sans doute trouvé sur le littoral varois et dans l’arrière-pays assez proche, des conditions favorables. Comme dans la grande périphérie francilienne, la présence de l’élevage est quasiment inexistante (à l’instar du département d’Eure-et-Loir couvrant les plaines de la Beauce, on ne compte aucun abattoir dans le Var) dans ce pays de vigne. Autre élément similaire, un mode de vie péri-urbain avec des lotissements, des maisons et des villas avec jardins sans que la densité ne soit celle des grandes agglomérations. Dans cet univers, les animaux de compagnie ont toute leur place.
Carte 7 : Score du Parti animaliste dans le Var
On constate ainsi sur la carte un maillage assez dense en refuges pour animaux et associations de défenses des animaux sur le littoral et dans la partie centrale du département. Cette présence est nettement moins significative dans le Haut-Var, où la culture et les modes de vie sont différents. Il s’agit d’un terroir plus rural où l’élevage ovin est pratiqué mais où on s’adonne également à la chasse. Dans les cantons d’Aups, Rians, Tavernes ou de Comps-sur-Artuby, Jean Saint-Josse, le candidat de CPNT (Chasse, Pêche, Nature et Traditions), avait obtenu plus de 15% lors de l’élection présidentielle de 2002. Derrière la cause de la chasse, c’est en fait toute un mode de vie et un rapport à la nature et à l’animal qui s’était exprimé dans ce vote. Cette vision du monde des habitants du Haut-Var tranche singulièrement avec celle prévalant sur la côte ou à proximité et l’opposition entre les scores de CPNT et du Parti animaliste en constitue l’illustration la plus symptomatique.

5- Le vote animaliste comme symptôme supplémentaire de la déchristianisation

Les travaux de Maurice Agulhon avaient montré que le Var avait été un département précocement déchristianisé. Cet élément joue également dans le score relativement élevé du Parti animaliste dans le département. D’une manière générale, on constate en effet que les zones où l’emprise du catholicisme a été la plus tardive correspondent la plupart du temps à des territoires de faible vote animaliste. Et inversement, les départements les plus anciennement déchristianisés (Bassin Parisien, Var, Alpes-Maritimes, Haute- Marne…) sont en général des zones de forces de ce parti8. Cette correspondance entre ces deux phénomène n’est pas fortuite. La matrice catholique constitue une autre « couche protectrice » limitant le vote animaliste, là où elle demeure encore relativement influente. Ceci est assez logique dans la mesure où la distinction (et la supériorité) de l’Homme sur l’animal a été théorisée et instituée par le catholicisme. Ainsi, selon l’historien Éric Baratay9, dans la religion catholique « l’affirmation de l’entière mortalité des bêtes [Ndlr : c’est à dire qu’elles sont dépourvues d’âmes immortelles] est l’expression d’une défense du statut de l’homme ; elle constitue l’un des soubassements idéologiques de sa domination sur le monde et l’une des contributions de l’Eglise à la mentalité anthropocentrique de la société occidentale ». Et l’historien poursuit : « La bête devient un objet à utiliser pour les besoins du quotidien, car il semble évident qu’elle a été créée pour le bien de l’homme, centre et maître de la création ». Dans les zones où la matrice catholique demeure encore en partie active, cette vision du monde limite le développement électoral du courant animaliste. L’effet de cette couche protectrice culturelle et religieuse se combine dans certains territoires avec le poids économique local des filières d’élevage pour aboutir à des très faibles niveaux de vote pour le Parti animaliste. C’est le cas notamment dans l’ouest intérieur (Mayenne, Ille-et-Vilaine, Maine-et-Loire, Vendée), dans le Haut-Doubs, dans l’Aubrac, dans une partie du Béarn mais aussi en Chalosse et Tursan, enclaves catholiques pratiquantes dans un département des Landes assez déchristianisé, si l’on se réfère aux travaux d’André Isambert et Jean- Paul Terrenoire10 au début des années 1960.

Conclusion

Au terme de cette analyse, l’émergence du vote animaliste, pour minoritaire qu’il soit, peut certes être considéré comme l’illustration d’une sensibilité croissante à la condition animale et comme la poursuite du cycle historique appelant à la création de nouveaux droits. Mais on peut aussi l’analyser comme un symptôme de ce que nous avons appelé dans L’archipel français le basculement anthropologique et la dislocation terminale de la matrice catholique. L’apparition de cette force politique signe l’entrée dans la France d’après. C’est dans les territoires où les cadres de référence hérités de l’histoire de longue durée (civilisation agro- pastorale et catholicisme) sont les plus délités, voire ont quasiment disparu, que ce vote s’est installé préférentiellement.
Sur le pourtour du bassin parisien comme dans le Var, les mouvements de population sont importants et une part significative des habitants n’est pas originaire de la région. Dans la Haute-Marne, le turn-over démographique est moins élevé mais ce territoire rural est en proie à l’anomie du fait de la destruction du tissu industriel local. Dans ces territoires, les liens de sociabilité sont très distendus et l’encadrement politique, syndical, religieux, et associatif est particulièrement lâche avec en conséquence ou en corollaire un repli et un fort investissement sur la sphère privée et l’univers familial (dans lequel les animaux de compagnie occupent souvent une place importante). C’est sur ce terreau psychoculturel et politique, bien décrit dans les romans de Michel Houellebecq, que de nouvelles offres politiques aux motivations très différentes se sont implantées. Si la carte du vote animaliste diffère en effet nettement de celle du vote EELV, elle présente en revanche certaines similitudes avec celle du vote pour le RN.
Carte 8 : vote RN par cantons
Même si Marine Le Pen et d’autres cadres du FN ont par le passé à plusieurs reprises exprimé leur sensibilité et proximité avec la cause animale et si Brigitte Bardot n’a jamais fait mystère de sa sympathie envers Jean- Marie Le Pen, l’hypothèse d’une porosité entre les deux électorats n’explique qu’à la marge cette similitude d’implantation. Nous privilégions davantage la thèse de l’espace électoral laissé vacant par la décomposition du paysage politique traditionnel organisé autour du clivage gauche/droite, ce dernier reposant historiquement sur l’opposition laïque/catholique. C’est dans les territoires où ce processus de décomposition était le plus avancé que le FN a fait historiquement son lit. C’est ici également qu’une offre politique radicalement différente a rencontré un certain écho.
1 Cf J. Fourquet et S. Manternach. L’archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée. Le Seuil. 2019
2 Le Seuil - 2013
3 Certaines régions de l’Oise connaissent des mobilisations contre la chasse à courre notamment dans la forêt de Compiègne et celle de Senlis. L’association AVA (Abolissons la Vénerie Aujourd’hui) est parvenue à mobiliser plusieurs centaines de personnes dans des manifestations à Compiègne et Pont Saint-Maxence et à organiser des actions visant à perturber des chasses. Ce climat a pu conforter localement le vote pour le Parti animaliste qui milite également pour l’interdiction de la chasse à courre, activité dont les soutiens et les pratiquants sont peu nombreux y compris dans ce département.
4 D’autres terroirs, dont l’économie dépend fortement de la filière avicole, ont peu voté pour le Parti animaliste : 1,4% à Loué dans la Sarthe ou bien encore 1% à Pont-de-Vaux et 1,4% à Louhans dans la Bresse.
5 Notre échange téléphonique du 25 juin 2019 avec Thierry Hély, Président de la FLAC (Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas), confirme tout l’intérêt que les « anti-corridas » portent au succès (relatif) remporté par le Parti animaliste lors des élections européennes 2019.
6 Sondage Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot réalisé online du 28 au 29 mai 2018 auprès d’un échantillon national représentatif de 1010 personnes
7 Cette liste a également reçu le soutien d’autres « people » comme Laurent Baffie, Anny Duperey, Laura Smet, Virginie Lemoine ou Claude Lelouch.
8 Les données de l’Ifop confirment ces observations. Le score du parti animaliste est proche de 0% parmi les catholiques pratiquants. Il atteint 2% auprès des non pratiquants et 4% parmi les personnes se déclarant sans religion.
9 Cf. La mort de l’animal dans l’imaginaire catholique (France, XVIIe-XXe siècle). In Revue de l’histoire de religions, tome 212, n°4, 1995.
10 Cf. A.Isambert et J.P Terrenoire, Atlas de la pratique religieuse des catholiques en France. Presses de Sciences Po.1980.

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