Hold-up
Passage en force de la loi Taubira : paix civile, Sénat, droite modérée ... les dégâts à tous les étages
Le projet de loi autorisant le mariage aux couples homosexuels devrait être adopté définitivement mardi lors d'un vote solennel à l'Assemblée nationale.
Roland Hureaux
Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.
Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.
Même si la loi Taubira est adoptée cette semaine, elle gardera un parfum d’illégitimité du fait des conditions scabreuses dans lesquelles elle a été votée au Sénat.
Il est probable qu’avec le recul, ce vendredi 12 avril où la loi instaurant le "mariage" entre personnes du même sexe, a été approuvée par le Sénat par surprise et à main levée restera comme un jour noir de l’histoire de la République.
Il y a du hold-up dans la manière dont la chose s’est faite. Comme dans un hold-up, cela fut si soudain que, le temps que les présents réalisent que ça s’était passé, c’est déjà fait. Comme dans un hold-up, les participants, selon leurs déclarations, ont été tétanisés par une opération audacieuse et imprévue qui a duré à peine une minute et ne pas avoir eu le temps de réagir.
Les Britanniques ont enseigné le parlementarisme au reste de l’Europe, et on sait qu’à Westminster, pendant des siècles, plus que les règles et les procédures écrites importait le respect des usages. Tout homme politique anglais le sait : dans l’enceinte du Parlement, il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Et la civilisation, c’est cela.
Même si formellement, la procédure expéditive utilisée par le président du Sénat n’est pas contraire au règlement, personne jusque-là n’avait pensé à l’utiliser pour le vote final d’une loi que Mme Taubira présente elle-même comme un "changement de civilisation" et dont le résultat n’était pas, quoi qu’on ait dit, acquis d’avance.
Nul n’en doute aujourd’hui : si le gouvernement a accompli cette espèce de coup d’état au Sénat, c’est qu’il savait ne pas y disposer, à la différence de l’Assemblée nationale, d’une claire majorité, notamment en raison des réticences de la plupart des sénateurs de gauche de l'outre-mer.
Même s’il aura permis au gouvernement de faire passer la loi en force, ce vote fera des dégâts considérables dont seul le temps permettra de mesurer pleinement l’ampleur.
Première victime : le Sénat
La première victime est le Sénat lui-même. Dans la véritable crise de régime que nous traversons, beaucoup doutaient de son utilité ; ces doutes seront renforcés par la mascarade du 12 avril ; cela d’autant plus que le public de la Manif’ pour tous, militants anti-mariage unisexe, issus en majorité de la droite modérée, était sans doute, au sein de la société française, le segment le moins hostile à l’idée d’une seconde chambre de "sages" élue au scrutin indirect, idée qui n’est dans la culture ni de la gauche adepte d’une chambre unique ou d’un Sénat d’apparatchiks élus à la proportionnelle, ni de l’extrême-droite antiparlementaire qui, jour après jour, critique le Sénat sur internet. Par cette opération foireuse, le Sénat s’est coupé de son principal appui.
En outre, il parait clair que cette procédure a permis à beaucoup de sénateurs d’échapper à leur responsabilité, en laissant ignorer leur choix à leurs électeurs, ce qui n’est pas particulièrement courageux.
Deuxième victime : la droite modérée
L’autre victime de ce scrutin est la droite. Elle avait tout pour capitaliser, comme l’ont compris les députés Henri Guaino ou Hervé Mariton, sur l’hostilité au mariage homosexuel. Or le vote du Sénat risque de la délégitimer singulièrement. S’il faut en croire Bernard Seillier[1] , ancien sénateur de l’Aveyron, fort de dix-huit ans d’expérience de la Haute-Assemblée, la manœuvre surprise du gouvernement n’aurait pas pu être menée sans l’assentiment de l’opposition, au moins de ses chefs. Il est vrai que personne dans les rangs de celle-ci n’a eu le réflexe de demander un scrutin public, et qu’aucun président de groupe n’a ultérieurement protesté contre cette procédure. Si le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, renvoie immédiatement après le vote aux présidents de groupe pour le décompte final, méthode sans précédent selon Seillier, il sait pouvoir compter sur eux. Puisque aucun décompte officiel des voix n’existe, des décomptes officieux circulent. Ils montrent que, dans un scrutin public, le vote aurait été acquis (et ce n’est même pas certain !) avec deux voix d’écart seulement : dans un tel cas de figure, il est aisé de voir que les dissidents de la droite, partisans du mariage homosexuel ou abstentionnistes, ont joué un rôle décisif dans l’adoption de la loi.
On n’est pas obligé de suivre les suggestions de l’ancien sénateur de l’Aveyron mais il suffit que ce genre de rumeur circule pour que se trouve affaiblie la légitimité de l’opposition officielle.
Or, de cet affaiblissement, nul n’a à se féliciter. A qui profiterait-il sinon à l’abstention ou aux extrêmes ? En tous les cas pas à la République.
On sait que le Sénat a une longue pratique de connivences transversales, surtout quand le gouvernement n’y a pas de majorité assurée. En raison de leur sagesse supposée, les sénateurs évitent traditionnellement de faire blocage à certains projets phares du gouvernement, au nom du bon fonctionnement des institutions, par exemple les nationalisations en 1981.
Mais on peut penser que cette pratique, légitime par exemple pour des mesures économiques de rigueur répondant une nécessité nationale, ne l’était pas face à un projet de loi hautement idéologique et se heurtant à un rejet profond d’une partie des Français, rejet dont les immenses démonstration de la Manif’ pour tous, ainsi que l’évolution récente des sondages portent témoignage.
Toute connivence devait alors s’effacer devant cette grande nécessité de la démocratie représentative : la théâtralisation du débat public au sein des enceintes parlementaires. Le Parlement est la scène où les citoyens doivent avoir l’impression que s’expriment dans toute leur force leurs sentiments contrastés, au travers de leurs représentants. Et qui dit force dit efforts pour faire prévaloir son point de vue dans le vote final. Si le vrai débat se cantonne à la rue - ou si un des camps se sent trahi, la République, qu’on le veuille ou non, est affaiblie.
Ajoutons que si la constitution a prévu une deuxième chambre représentant les élus locaux, il revient à celle-ci d’exprimer les sentiments de ces élus. Or ce n’est un secret pour personne que, si l’opinion a paru un moment partagée sur le projet de loi Taubira, la majorité des élus locaux, qui représentent, eux, la partie la plus "sage" (en tous les cas la moins soumise conditionnement médiatique) du peuple lui était, elle, clairement opposée.
La nécessité de théâtraliser le débat public, heureusement les députés d’opposition l’ont mieux comprise que les sénateurs, comme en témoigne la vivacité des débats lors du passage de la loi Taubira en deuxième lecture. Mais hélas, dans la chaîne de décision, c’est le passage au Sénat qui était décisif et ce passage, la droite officielle, volontairement ou pas, l’a manqué.
Troisième victime : la paix civile
Plus grave : la troisième victime de ce vote pourrait être la paix civile elle-même.
Certes, la loi Taubira ne conduira pas, en tous les cas pas elle toute seule, à une vraie guerre civile, d’autant que Frigide Barjot ne cesse de rappeler que son combat est non violent.
Mais si la loi passe définitivement, si elle est votée en termes conformes par l’Assemblée nationale, ce qui semble acquis, et si elle n’est pas censurée par le Conseil constitutionnel, l’amertume sera grande dans le camp de la Manif’ pour tous qui aura pu mesurer à la fois sa force et le mépris dans lequel le tient le gouvernement. Et gageons que, dans l’autre camp, plus que la jubilation, prévaudra la gueule de bois, tant ce camp aura plus vaincu que convaincu.
La loi gardera, quoi qu’on fasse désormais, un profond déficit de légitimité. D’abord parce que beaucoup d’opposants sont imprégnés de l‘idée, issue de la scolastique mais ravivée par soixante années d’exaltation de la Résistance, selon laquelle une loi contraire au droit naturel n’est pas légitime – et peut donc justifier l’objection de conscience ou une résistance passive. Ensuite en raison des modalités du vote : non seulement le défaut absolu d’écoute (mais comment en irait-il autrement s’agissant d’une loi idéologique ? L’idéologie et le dialogue sont antinomiques), mais du fait que le passage en force au Sénat a été ressenti comme une manœuvre totalement déloyale.
Ce n’est pas seulement la loi qui sera illégitime, c’est le gouvernement, et en premier lieu le président Hollande. Déjà mis à mal dans l’opinion par son impuissance devant la crise économique et les affaires, il le sera bien davantage encore avec la loi Taubira dont les partisans motivés sont très peu nombreux alors que ses adversaires le sont considérablement. Cette loi qui, même si elle est "passée" juridiquement, psychologiquement "ne passera pas".
La suite du quinquennat risque d’être émaillée d’incidents comme ceux, regrettables, qui accompagnent aujourd’hui presque quotidiennement les déplacements de ministres et qui ne cesseront que si la loi ne voit pas le jour. Il n’est pas certain non plus que les premiers "mariages" éventuels de la nouvelle sorte se passeront dans la sérénité. Le "mariage pour tous" n’aura pas de lune de miel !
L’opinion française acceptait l’homosexualité mais dans la discrétion, comme tout ce qui relève de la sphère privée. Le projet de loi l’a mise au centre du débat public à un point que beaucoup d’homosexuels en sont de plus en plus gênés ; il semble même qu’aujourd’hui, les plus acharnés à obtenir le vote de la loi soient les militants socialistes et non les personnes homosexuelles. Or il n’y a aucune chance que, si la loi est définitivement promulguée, ce malaise cesse.
Et même si les incidents s’avèrent limités, l’obstination du président Hollande a réussi à creuser un fossé profond entre deux France : l’une désormais minoritaire (mais toujours très forte dans les médias) pour qui la loi Taubira constitue un progrès, l’autre, majoritaire, pour qui il constitue une absurdité. Entre ces deux France, une haine croissante qui transparait chaque jour dans les conversations et que le vote de d’une loi obtenue d’une manière contestable ne pourra qu’aggraver, laissant l’opinion française durablement divisée.
[1]Le Figaro, 15 avril 2013
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