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Les défis sur lesquels la France doit ouvrir les yeux pour ne pas couler en 2015
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Le jour d'après

Pour assurer son avenir, la France doit réfléchir au rôle qu'elle entend laisser jouer aux géants du web, elle doit lutter contre les dérives islamistes en son sein, en finir avec le fatalisme économique qui gangrène son activité, et avoir le courage de trancher certains débats.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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La privatisation du futur

Les géants du web tels que Google investissent massivement les moindres aspects de nos vies quotidiennes, de la fourniture d’accès à internet à la prise en charge de notre santé. Les Etats ont désormais le choix : sous-traiter ce qui relève traditionnellement de leurs prérogatives, ou au contraire défendre ces dernières.

François-Bernard Huyghe : Le fait que des compagnies privées empiètent sur le domaine de la souveraineté n'est pas exactement nouveau : les compagnies des Indes du XVII° siècle signaient des traités et exerçaient la justice pénale et, au XX° siècle, les multinationales contribuaient à conforter ou renverser des gouvernements suivant leurs intérêts. Avec les grandes sociétés du Net et Google en particulier, il se passe quelque chose qui est d'un autre ordre. Google dont l'immense richesse consiste dans l'exploitation des informations que nous lui confions moyennant des commodités (comme un mail ou des recherches gratuites) est une puissance géopolitique, diplomatique pour ne pas dire idéologique : derrière son slogan "do no evil" (ne faites pas le mal) se développe une vision de l'avenir radieux, un utopisme des réseaux pour qui tous les problèmes de l'humanité vont être résolus par le bon traitement des données.

On a vu Google défier la Chine à propos de la censure en 2010, soutenir les printemps arabe, parler d'égal à égal avec des chefs d'État à travers son directeur Eric Schmidt, avoir des rapports très ambigus avec la NSA, aller payer ses impôts là où c'est le plus avantageux..., bref se conduire comme une force  internationale qui se rit des frontières. En jouant les codes de la technologie contre ceux du droit, la société de Page et Brin, fait de l'exploitation d'une richesse - des quantités inimaginables de données dont elle module l'accès et l'exploitation - un moyen de contrainte ou d'indépendance à l'égard des États.
Et l'étonnante capacité que possède Google de nous dire où garder et où chercher nos connaissances, donc de diriger notre attention, et de nous dire à quoi penser sinon que penser, est renforcée par le fait qu'elle assure la conservation de données dont la mise en corrélation est censée fournir le meilleur agent de prédiction des tendances et comportements humains. Comme dit le slogan "Google en sait plus sur vous que vous-même".

Un stade supérieur est franchi avec ses innombrables et spectaculaires projets de recherche. Il n'y a rien de scandaleux en soi dans le fait qu'une société privée internationale rachète les entreprises les plus innovantes, engage les chercheurs de pointe et développe toutes les technologies les plus futuristes des Google glasses à la voiture sans conducteur ou des drones de transport aux robots de pointe, des nanotechnologies à l'internet des objets.

Le problème se révèle quand on réalise ce que représente l'addition théorique de la possibilité de tout cartographier et enregistrer (Google maps), de couvrir toute zone d'un réseau Internet par des sortes de ballons (Loon), de rassembler toutes les données médicales voire le génome séquencé de tout un chacun avec le projet Genomics, etc.

Quoi que l'imagination puisse mettre derrière ce "tout", pour le moment assez théorique, et sans dégainer l'argument "Big Brother" à tout bout de champ, l'exploitation de connaissances pose une question troublante. Nous confions, même dans le cadre d'obligations et garanties contractuelles, un immense pouvoir à un acteur de droit privé. Ce qui veut dire que la société Google est susceptible de disparaître un jour, par exemple (même si sa faillite semble pour le moment tout sauf probable). Et cet acteur, nous ne l'avons pas élu et nous n'exerçons aucun contrôle politique sur lui, tout en lui confiant un pouvoir dont nous ne comprenons même pas la nature, sinon par approximation et supposition. Nous prenons donc un risque que nous ne prendrions avec aucune instance politique et sans moyen d'exercer un contre-pouvoir autre que d'écrire des articles ou de clôturer notre compte Google, ce que personne ne fait.

L'État est censé exercer une autorité sur une population et sur un territoire pour assurer le bien commun de ceux qu'il représente. Même si cette vérité date de quelques siècles, elle implique aussi par la force des choses un pouvoir de régulation du secret (professionnel, des données personnelles) et du droit de savoir que peuvent exercer des organisations.

Il n'y a donc rien de paradoxal à exiger de l'État qu'il nous garantisse ces droits. Notamment dans le cadre du livre blanc de la Défense, la France semble avoir pris conscience de l'importance d'assurer la protection des systèmes d'information qui touchent à notre souveraineté et des données des citoyens. Mais si nous continuons à dépendre de logiciels, de systèmes de régulation numérique, de réserves de stockage de données, de vecteurs matériels de données numériques (câbles, etc.)... qui ne se trouvent pas sur le territoire national ou que nous ne partageons pas avec des alliés européens fiables, nous continuons évidemment à présenter une vulnérabilité foncière.

Jacques Bichot : Les États ont de la peine à se projeter dans le futur lointain, ce qui est paradoxal  puisqu’ils ont la possibilité de planifier plus facilement que les organismes privés. Mais la vie politique est axée sur le court terme : se faire élire à la prochaine consultation électorale. Cela n’empêche pas des administrations d’agir dans une perspective à long terme, mais il n’est pas évident pour elles d’obtenir un soutien vraiment efficace des pouvoirs publics, sauf si leur action concerne une tarte à la crème comme la lutte contre le réchauffement climatique. Il est symptomatique de voir le peu qui est fait, dans le domaine médical, pour la prévention et l’éducation : le curatif l’emporte de très loin sur le préventif.

L’intérêt des dirigeants de l’État ne doit pas être confondu avec l’intérêt général. Ces dirigeants sont mus par leur intérêt personnel tout autant que les dirigeants de grandes entreprises. Il n’existe donc malheureusement pas de raison de penser que les avancées scientifiques sont plus orientées dans le sens du bien commun si elles sont obtenues dans un cadre public que si elles le sont dans celui d’une entreprise privée. Les dirigeants d’une entreprise privée cherchent à se faire plaisir et à gravir les échelons, ou à rester en place ; les hommes politiques également. Et, dans les deux cas, il existe aussi – fort heureusement –  des motivations altruistes. Le marché et l’élection (que les économistes considèrent souvent comme un "marché politique") permettent de sanctionner, positivement ou négativement, le comportement de ces deux sortes de dirigeants. Mais leur efficacité n’est pas merveilleuse. Le marché "pur et parfait" n’existe que dans les manuels, et il en va de même pour la démocratie, dont on a dit à juste titre que c’est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Cette formule pourrait être appliquée aussi bien au marché.

La guerre contre le djihad

Guylain Chevrier : L’année 2014 a été celle du développement d’un phénomène djihadiste qui a surpris à la fois par sa nature et par son ampleur, avec environ 1300 candidats prêts au départ pour faire la guerre au nom d’Allah. On veut à tous prix détacher de ce phénomène les problèmes que pose un islam à tendance communautaire à la société française. Pourtant, comment ne pas s’interroger à la lumière des faits et des questions posées ? S’il y a des causes extérieures à ce qui se passe là, relatives à des foyers de conflits armés où l’islam est mêlé avec une radicalisation qui en est la forme extrême, c’est bien de nos quartiers d’où des djihadistes sont recrutés et pas dans n’importe quel contexte. Les difficultés d’intégration rencontrées par les populations en référence ne suffisent pas à expliquer la chose, car d’autres du cru connaissent les mêmes difficultés sans que cela n’entraine une violence de même type  s’inventant d’autres justifications et causes. Par-delà ce mouvement djihadiste et les seuls problèmes d’intégration, l’islam est loin d’avoir trouvé sa place dans notre République, ce qui n’est pas un élément à négliger si on veut réellement prévenir les conditions qui prédisposent à l’endoctrinement et au départ de ces « fous de dieu ». 

Comme le souligne tout récemment une enquête menée par Sociovision via RTL, l’islam fait même symptôme dans une France traversée par des tensions identitaires palpables, entre une société où le religieux se sécularise depuis des décennies, et une partie de plus en plus visible des musulmans qui, au contraire, se veut plus affirmée et réticente à ce mouvement. Pour exemple, l’enquête révèle que, si les Français souhaitent à 76% une société qui respecte la neutralité en matière de religion, avec une proportion qui monte à 80% chez ceux qui se déclarent catholiques, il n’en va pas de même pour les musulmans, qui sont 56% à penser comme normal qu’on suive d’abord les règles de sa religion avant celles de la société ! Dans cette continuité, on voit se propager un islam s’identifiant à un refus du mélange au-delà de la communauté de croyance et à une foi sur laquelle le droit positif n’aurait pas de prise. Les autorités religieuses officielles de référence ou les associations représentatives dans leur généralité, défendent cette tendance sans modération, sous l’argument de la « liberté religieuse », méprisant les musulmans qui souhaitent autre chose et forment une sorte de force bâillonnée dans ce climat. Une tendance de l’islam qui se traduit par un rejet des valeurs de la modernité et avec elles, du modèle laïque républicain avec lequel elle entretient aujourd’hui un conflit ouvert, révélé par toute une série de revendications communautaires à caractère religieux.

Ne pas vouloir voir que nous sommes en présence d’un mouvement de fracture de valeurs au sein de notre société, serait suicidaire pour la France mais aussi pour les musulmans eux-mêmes. Ce serait se refuser de prévenir un repli sur une conception stricte de la religion  qui fait retour à une tradition historiquement dépassée, dont l’enfermement offre des conditions propices à l’action souterraine des prosélytes qui travaillent à l’embrigadement et à la radicalisation prédestinant certains au djihadisme.

Parallèlement, l’État, lui, cherche dans des dispositifs d’accueil au retour des ex-djihadistes, l’outil censé exorciser le problème en y intégrant l’accompagnement par des quiétistes diffusant une lecture pacifique de l’Islam. Le problème, c’est que nous n’en sommes plus là du tout en matière de prévention des risques et des réponses à apporter. Il faut passer à la mise en débat des véritables enjeux de cohésion sociale que cela sous-tend au regard de choix de société qui ne relèvent pas simplement d’une conception ou d’une autre du religieux, mais tout d’abord et avant tout, de la place que l’on fait aux valeurs et institutions républicaines dans ce schéma. Il en va de la conscience que nous pouvons avoir de ce qu’elles représentent comme aboutissement des progrès de l’homme dans l’histoire et de la nécessité de les défendre comme de les promouvoir.

Il faut arrêter de taire, au nom de ne pas blesser l’Islam de France ou de lui faire sa place, que la République et la liberté dont elle est indissociable, se sont imposées en repoussant les religions hors du pouvoir politique en raison des dangers qu’elles recèlent dès qu’elles en occupent, peu ou prou, la place. Il a fallu un combat de plusieurs siècles pour parvenir à ce que l’Etat se dégage de la tutelle religieuse qui faisait obstacle à l’édification de l’Etat de droit, c’est-à-dire d’un Etat impartial, ne représentant aucun intérêt particulier ou religion. Il ne devrait pas plus être question avec l’islam de laisser faire certains dans ce sens. Il n’y a aucun exemple de pouvoir religieux qui ait proposé la promotion des libertés et droits individuels et des libertés publiques, de la liberté de conscience, pas plus que de la démocratie.

Comment oublier que les religions reposent sur des dogmes qui, historiquement, ont eu leur utilité comme ciment de la société en des temps anciens, mais ont été dépassées par une modernité qui réclamait plus et mieux dans l’organisation de la société, avec l’émergence d’un individu réclamant la liberté de ses choix. La question de la croyance devait passer d’être un instrument de domination politique à un statut d’orientation personnelle, à une question de for intérieur et donc, appartenant à l’espace privé, à un entre-soi articulé à un espace délimité où exercer son culte, celui des temples. La croyance en a été posée à côté et sur le même plan que les autres opinions, convictions.

Sans éclairer les choses nettement de ce côté, en alertant les musulmans de France sur ces enjeux, le combat est bien inégale face à une foi qui tourne à une emprise totale sur les individus trouvant ses justifications jusque les confusions de l’Etat. Rappelons-nous de la nouvelle Feuille de route scandaleuse du gouvernement Ayrault sur l’intégration, qui prévoyait avec l’ouverture en grand de notre société à la discrimination positive, la suppression de la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, jugée discriminatoire, brouillant gravement le message républicain.

La question religieuse qui divise la société tend à prendre le pas sur la question sociale dont les forces ainsi volent en éclats, hier facteur de progrès pour tous. Une logique qui éloigne de toute idée de communauté de destin dont l’histoire est pourtant à écrire ensemble, ce qui représente une voie d’eau terrible à bien des dérives religieuses.

La meilleure des façons de conjurer les risques de ce djihadisme est d’aller puiser dans ce qui fait de notre République ce modèle de liberté qui n’a pas de précédent, avec des défauts sans doute, mais qui a de quoi se faire aimer. Elle contient dans ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité, son caractère laïque et sa dimension sociale, les promesses d’un monde meilleur où chacun ait sa place, pour peu qu’on les applique jusqu’au bout sans concession, y compris contre une forme du religieux qui utilise la démocratie et la liberté contre elles-mêmes. C’est là que réside sans doute le meilleur des arguments pour désamorcer les fondements d’un islam de guerre qui commence par le repli sur le dogme, le rejet des valeurs de notre société et de l’intégration républicaine. Voilà bien un vœu à adresser à notre gouvernement et à nos représentants, celui de gagner en clairvoyance à cet endroit, pour redonner tout son sens et sa force de conviction à notre République. Ce serait un formidable signe donné à toute la société et tout particulièrement à nos concitoyens musulmans qui ont un besoin vital, en ces temps de confusion, de son soutien pour mieux encore la choisir. 

Lutter contre le fatalisme et la résignation

La crise de 2008 a frappé les économies nationales, sans distinction. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni font l’expérience d’un redémarrage de leur activité, alors que la France de son côté, semble résignée au marasme, comme si tout, tant au niveau de l’économie que de la société, était figé et déterminé.

Nicolas Goetzmann : Productivité, démographie rien ne sert de se convertir au déclinisme. Le facteur essentiel est d’inciter le développement, notamment au travers de politiques de plein emploi. Car c’est en donnant des perspectives à la population, un horizon, que la volonté d’investir et de travailler plus prendra le dessus. Ce n’est pas en promettant le chômage et des heures de travail en baisse pour un salaire stagnant que la population sera entrainée vers l’avant.

Il est bien plus probable que ce soit les erreurs économiques des trente dernières années qui aient entrainé de faibles taux de croissance. Et ce sont bien ces chiffres déprimants qui ont contraint les populations à s’adapter à cette "nouvelle donne" et non l’inverse. La fainéantise n’est pas une mode, c’est le sous-travail qui est devenue une contrainte réelle. Travailler moins pour gagner moins n’est pas une incitation. Une politique de plein emploi est sans aucun doute le facteur essentiel à considérer pour permettre un tel bouleversement des mentalités.

Dans un discours de campagne de septembre 1932, Franklin Delano Roosevelt semblait baisser les bras en indiquant : "les opportunités d’entreprendre se sont réduites (...). Notre outil de production existe, le problème est de savoir aujourd’hui s’il n’est pas trop important", et invoquait alors l’idée de stagnation en filigrane. En juin 1933, suite à l’abandon du bloc or, les Etats-Unis se sont rapidement débarrassés de cette mauvaise idée en retrouvant une croissance forte. Car une politique de plein emploi se mène avant tout à l’échelon monétaire : le plein emploi est de la responsabilité d’une Banque centrale.

Que ce plein emploi soit à 5% de chômage comme aux Etats-Unis ou à 7-8% comme en France dépend de la structure du pays considéré, c’est-à-dire de la  "politique de l’offre". Mais pour que ces chiffres de 5% ou de 7% de chômage deviennent une réalité, cela ne dépend que de la bonne volonté de la Banque centrale en question.  Et pour les Etats-Unis, le seuil de 6.1% est déjà atteint grâce à la politique menée par la FED.

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Jacques Bichot : Les Français ne me semblent pas plus fatalistes et résignés que les Britanniques. Mais ils sont plus allergiques aux inégalités. Or, malheureusement, dans le monde actuel, on ne sait pas obtenir de la croissance sans un degré assez fort d’inégalité. Trouver le moyen d’augmenter la production et l’emploi avec un degré assez modeste d’inégalité serait génial ! Et il ne serait pas inconvenant de consacrer un peu plus de moyens à des recherches sur ce thème. Quitte à ce que ce soit Google ou d’autres grandes entreprises qui le fassent si les États en sont incapables !

En finir avec notre rapport biaisé à la différence

Dès lors que les éléments permettant de différencier les personnes les unes des autres sont mis en avant, l’accusation de "discrimination" n’est jamais très loin. La différence est aujourd’hui en France perçue par un certain nombre de personnes comme un facteur d’inégalité, qu’il faut par conséquent nier en dépit des évidences : hommes et femmes seraient identiques, et les origines géographiques et ethniques n’existeraient pas.

Les différences hommes-femmes

Béatrice Levet : Par faiblesse conceptuelle, nous rabattons toute différence sur des inégalités, et toute inégalité sur une injustice. Il nous faut démêler cet écheveau. S’il est, comme je le pense, des dispositions plus proprement féminines, les femmes doivent s’en sentir les dépositaires et les gardiennes. Karen Blixen parlait d’une responsabilité pour la féminité. Je pense à la langue notamment. Au cours des dernières campagnes électorales, les journalistes ont enregistré comme un progrès de l’égalité que, dans les débats, les femmes recouraient à des formes aussi peu châtiées que celles des hommes... je peine à y voir un progrès de l’égalité, plutôt une dégradation généralisée des mœurs politiques et de la parole publique.

La réfutation contre-productive des différences ethniques et géographiques au nom de l’antiracisme

Guylain Chevrier : S’il s’agit de reconnaitre que la France est une société plus composite qu’il y a une quarantaine d’années, cela ne pose pas de difficulté. On peut considérer laisser libre de se manifester les différences culturelles, certaines spécificités, tant qu’elles ne télescopent pas les limites de la loi. On peut même les considérer comme une richesse à certains égards. Tout un arsenal judiciaire existe pour protéger les individus contre des discriminations qui proviendraient d’un traitement inégal qui leurs serait fait sur le fondement de leurs différences. Pour autant, en rester là serait d’une exemplaire hypocrisie car, s’il est question d’en tirer pour conséquence qu’il faudrait ne pas voir que ces différences peuvent être aussi porteuses d’inégalités, de risques voire de dangers, et se cacher les yeux, les problèmes ne sont pas loin. La diversité culturelle est présentée tendanciellement aujourd’hui comme une "composante essentielle des droits humains", ce qui peut être un piège mortel pour la liberté des individus et notre société. Si on laissait libre cours à certaines tendances religieuses ou culturelles qui entendent imposer leurs règles à la règle commune, les droits et libertés des individus qui s’y rattachent, bon gré mal gré, seraient vite mis à mal. Les protéger nécessite donc de définir une limite au pouvoir des religions ou des cultures, afin qu’elles ne prennent pas le pas sur le libre choix de chacun, ce qui constitue aussi le fondement de notre démocratie. C’est particulièrement vrai dans un domaine comme l’égalité homme/femme qui n’est en général pas l’apanage des religions et de nombreuses cultures.

Il faut bien voir que les différences coexistent harmonieusement d’autant mieux quelles sont dans notre pays soumises à la loi qui porte au-dessus d’elles le bien commun, la citoyenneté, et donc les protège toutes puisqu’elles sont égales devant elle et qu’aucune ainsi ne peut être en mesure de prendre le pouvoir sur les autres. Lorsque certains demandent à en finir avec ce système, c’est qu’il réclame de revenir à la situation que ce principe de la loi a précisément dépassé et qui faisait que, les différences se vivaient comme des appartenances à des communautés rivales qui se faisaient la guerre. On voit donc que ce qui est appelé ici du racisme, à travers une limite mise à la prise en compte les différences, n’est simplement que le refus de laisser passer notre société du droit à la différence à la différence des droits, débouchant sur sa fragmentation. On sait où conduit cette dérive, à des affrontements intercommunautaires, tel qu’on y assiste régulièrement par exemple dans la banlieue londonienne dans l’Angleterre du multiculturalisme.

On peut appartenir à une communauté, mais si celle-ci sert à faire pression sur la société pour en obtenir des droits spécifiques qui viennent subsumer ceux des individus, cela procède de les assigner à un groupe à l’encontre de leur liberté personnelle et de leurs possibilités d’échanges avec les autres, comme le voit Dominique Schnapper, ce qui est contraire aux principes qui fondent notre République. Aussi, on voit comment il faut réfuter ceux qui entendent faire de l’antiracisme un bélier idéologique pour nous faire sortir de ce qui fonde le combat antiraciste, l’égalité de tous devant la loi, principe supérieur à tout autre, religions et autres tendances communautaires incluses. L’inconscient raciste n’est pas toujours là où on croit le trouver, mais du côté de ceux qui militent parfois pour leur groupe d’appartenance implicitement pensé comme supérieur aux autres, en utilisant l’antiracisme comme un chiffon rouge à dessein, pour faire progresser leur cause. La loi, à faire de tous des égaux avant tout, favorise le mélange des populations et ainsi conjure le risque d’une séparation en communautés qui créerait, ex abrupto, les conditions d’une institutionnalisation des différences posant le principe de divisions raciales, antichambre d’un racisme de masse embrassant toutes les tendances de la société.

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Trancher le dilemme européen

Atlantico.fr : Pourquoi la faillite de la Grèce met-elle la zone euro dans tant de difficultés, alors que celle de la Californie ne semble que modérément embarrasser les Etats-Unis ? Dani Rodrik, professeur d’économie à l’université d’Harvard, propose une réponse intéressante. Une comparaison toute simple qui illustre parfaitement le dilemme dans lequel se trouve aujourd’hui empêtrée l’Europe : choisir entre une intégration économique poussée, symbolisée par la monnaie unique, des Etats-nations souverains et la démocratie.

Dans son dernier livre The Paradox of Globalization,  paru en mai 2011 chez Norton & Company mais pas encore traduit en français, il s’interroge pour les raisons pour lesquelles la mondialisation génère, depuis les années 1980, tant d’effets pervers.  Pour lui, la réponse est simple : les flux commerciaux et financiers ont été largement libéralisés, mais les pays ont continué d’agir chacun de son côté, en fonction de leurs intérêts économiques spécifiques.

Comme le résume le Washington Post, « le paradoxe, selon Rodrik, c’est que la mondialisation ne peut fonctionner pour tout le monde que si tous les pays obéissent aux mêmes règles, appliquées par un gouvernement technocratique mondial. Mais en réalité, la plupart des pays ne sont pas prêts à abandonner leur souveraineté, leurs institutions et leur liberté de contrôler leur économie selon leurs intérêts propres ». En d’autres termes, concilier intégration économique, démocratie et souveraineté nationale est impossible.

Revenons à la comparaison entre la Grèce et la Californie. Comme la Grèce et le reste de la zone euro, les Etats-Unis sont un Etat démocratique. Comme la Grèce et le reste de la zone euro, la Californie partage la même monnaie que les autres Etats américains. Pourquoi alors ses difficultés ne mettent pas les Etats-Unis dans la même situation que la zone euro ?

L’argument de Rodrik est simple : la Californie a abandonné une grande partie de sa souveraineté à l’Etat fédéral américain. Le reste du pays, la Fed en tête, est donc prêt à voler au secours de la Californie menacée de la faillite. A l’inverse, « l’inachèvement des institutions européennes laisse l’Europe particulièrement vulnérable face à la crise ». Car si tous les Etats poursuivent leur propre intérêt économique, aucun n’est prêt à consentir aux efforts nécessaires pour sauver la Grèce… et l’euro.

L'Europe devra choisir entre intégration économique, souveraineté nationale et démocratie

La zone euro se trouve donc face à un dilemme que résume bien l’économiste Alexandre Delaigue pour Libération : « Amplifier [l’intégration économique européenne] pour passer à la monnaie unique exige de soit renoncer à la souveraineté nationale, soit à la démocratie. Et l'Europe a choisi de ne pas choisir. La politique monétaire a été transférée à une instance technocratique, la Banque centrale européenne, sur laquelle ne s'exerce aucun contrôle démocratique. La politique budgétaire est, elle, restée le lieu de la souveraineté étatique et des choix démocratiques. La crise actuelle est l'expression de cette absence de choix ».

Une plus grande intégration économique demande des structures politiques plus développées et donc moins de marge de manœuvre pour les politiques nationales. Au contraire, le maintien de la souveraineté condamne à terme la monnaie unique. Si elle veut conserver l’euro, l’Europe n’a d’autre choix que celui du fédéralisme.

Cet extrait est issu d’une précédente publication.

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