Les Chinois sauront-ils un jour concurrencer Hollywood ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'actrice chinoise Zhang Ziyi.
L'actrice chinoise Zhang Ziyi.
©Reuters

Have you met Lee ?

La Chine s'impose comme la puissance du XXIème siècle. Pékin a tellement compris les règles du jeu de l'économie et de la diplomatie globalisées qu'elle cherche à présent à exporter sa culture vers le reste du monde. Le soft power à la chinoise peine pourtant à prendre racines, faute de bien appréhender ce type d'échanges.

Frédéric Martel

Frédéric Martel

Chercheur et journaliste, Frédéric Martel anime l'émission Soft Power sur France Culture. Il est l'auteur des best-sellers Mainstream et Smart. Ces livres ont été traduits dans une vingtaine de pays et sont disponibles en poche (Champs-Flammarion).

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Atlantico : Quelle est l’influence culturelle de la Chine à travers le monde ?

Frédéric Martel : La Chine est à la fois un moteur, par son économie, sa démographie ou sa puissance; et en même temps très absente par son « soft power ». C’est-à-dire par tout ce qui relève dela culture, du numérique, des valeurs, de la langue... Le faible positionnement de la Chine sur tous ces secteurs en fait une petite puissance alors que c’est une grande puissance en termes de hard power (puissance militaire, économie, diplomatie).

Est-ce dû à un trop grand raffinement de la culture chinoise, en comparaison par exemple avec la culture pop américaine à priori plus accessible ?

Ce n’est pas exclu. Quand on regarde généralement la capacité à influencer le reste du monde par des valeurs, c'est d'abord et avant tout parce qu'elles sont universelles, respectées et reprises que l’influence se réalise.

Il y a bien sûr un plus petit commun dénominateur dans les valeurs chinoises : le soutien à la famille ou la non-violence confucianiste, par exemple. Mais ces valeurs ne sont pas propres aux Chinois. Elles ont même été niées à l’époque par la Chine de Mao. Elles correspondent à des valeurs traditionnelles asiatiques, très marquées par Confucius, et ont beaucoup d’écho aujourd’hui au Vietnam, en Indonésie, ou en Corée.

Sur ce qui peut être incarné par la Chine, on tombe assez vite sur le rejet de la liberté, la volonté d’impérialisme, un nationalisme radical, une censure très forte et un néo-communisme. Tout ce qui fait la force du soft power (les valeurs partagées, une liberté d’expression, l’acceptation des minorités), n’est pas du tout incarné par la Chine.

Les Chinois ont compris l’importance de l’influence : on le voit par la multiplication des centres Confucius dans le monde, ce qui, historiquement, est déjà une sorte de révolution – surtout quand on sait comment Confucius était nié à une certaine époque. Que Confucius devienne le Victor Hugo de la Chine me paraît significatif de l’évolution du régime. Reste que les Confucius center ne marchent pas, la plupart du temps, ce sont des sortes de Wallstreet English : ils vendent des langues (ca marche plutôt puisqu’il y a des gens qui veulent apprendre le chinois) mais ça reste très pragmatique, ce n’est pas quelque chose qui emporte les foules. Ils n’ont pas du tout l’écho ou l’influence que peuvent avoir le Japon ou l’Inde.

Pour quelles raisons ?

La Chine a construit et est encore en train de construire, des industries culturelles puissantes, avec des moyens importants. Toutefois, ce modèle est calqué sur le Hollywood des années 1930. Il s’agit d’un système de studios figé où pas une tête ne bouge ; tout le monde est salarié et participe à un projet collectif.

Ce n’est plus cela la culture. Aujourd’hui, la culture, en tout cas à Hollywood - mais c’est vrai aussi ailleurs - c’est une culture de banques, certes, avec des gros capitaux, mais aussi une démultiplication à l’infini de petits studios, de petites start-up, PME, qui toutes contribuent à un projet global. La particularité est qu’elles se situent toutes dans un modèle extrêmement décentralisé.

Pour le moment, la Chine n’a pas compris qu’il fallait avoir des artistes, des auteurs, des acteurs. Tous leurs auteurs, dès lors  qu’ils ont un peu d’originalité, qu’ils sont un peu impertinents au plus petit degré, sont immédiatement bloqués. La Chine est une oligarchie d’apparatchiks qui ne favorise pas l’innovation. Ses quelques grandes stars, la plupart du temps, quittent le pays et font des films pour Hollywood ou dans le meilleur des cas, pour Taiwan, Hong-Kong ou Singapour.

La politique chinoise de contrôle d’Internet, média qui pourrait lui permettre de s’étendre au monde, joue-t-elle également ?

Quand vous créez un système fermé, vous ne pouvez pas vous ouvrir, c’est aussi simple que cela. Aujourd’hui, les Chinois, ont réussi, à créer des contre-systèmes numériques : il y a des équivalents chinois, à Facebook, à Twitter… Ils peuvent donc être puissants à domicile par la contrainte, mais ne seront jamais puissants à l’extérieur par l’influence.

Quid du droit d’auteur chinois : est-il adapté à la mondialisation ?

Quand on regarde un certain nombre de pays - au-delà des Etats-Unis – qu’il s’agisse de Taiwan, Singapour, la Corée, le Brésil, le Mexique, l’Indonésie - ils ont tous un système de banque, de défense de copyright, de protection des artistes, des auteurs, un système d’innovation où les auteurs vont pouvoir exister. Ils ont également développé une politique d’accueil de la diversité des minorités – quelles qu’elles soient, femmes, gays, dissidents - mais aussi de diversités ethniques. Tout cela donne naissance à un écosystème extrêmement vibrant, avec de la compétition, qui permet de déboucher sur une créativité très vive.

Les Chinois veulent le soft power sans être soft. Par définition, ils sont en difficulté. Peuvent-ils parvenir à créer un contre-modèle ? C’est leur pari. Les Japonais l’ont fait et ils sont les seuls au monde à avoir réussi à incarner un autre modèle de soft power que le modèle américain. C’est un modèle qui est très universel mais qui reste très profondément japonais. Mais aujourd’hui, le soft-power japonais est en perte de vitesse ; ils sont d’ailleurs en train de le repenser complètement : c’est ce qu’ils appellent « Cool –Japan ». Cela consiste en une diffusion culturelle dans les pays asiatique. Cela implique certes de perdre une partie de « japonité ».

Est-ce que les Chinois peuvent exister dans un contre-modèle de ce type ? Selon moi, l’aspect sino serait moins mis en avant que l’aspect contrôle. La question étant : Peut-on faire du soft-power par le contrôle ? Je ne le crois pas, mais peut-être que l’histoire me donnera tort.

En matière de cinéma, vous avez écrit que les Américains étaient les seuls à faire des films pour tout le monde. La Chine en sera-t-elle un jour capable ?

Aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de films chinois qui aient de l’influence en France. C’est un peu différent en Asie et aux Etats-Unis compte tenu de la présence de minorité chinoise (mais l’écho se concentre dans les Chinatown, et encore ils sont portés par des dissidents). En réalité, le rayonnement cinématographique se fait surtout par des films taiwanais, hongkongais, singapouriens, qui sont assez vivaces. Il est d’ailleurs intéressant de noter le dynamisme de ces pays qui sont pourtant pays minuscules face à la Chine. Ce géant chinois est incapable de produire un seul film par an qui ait un écho en France. C’est un pays du tiers monde pour son soft power.

Ce qui est frappant c’est que le film le plus important fait sur la Chine ces dernières années, le film qui a eu effectivement un écho dans le monde entier, c’est « Kung-fu Panda » ! Il met en scène le Kung-Fu, sport préféré des chinois et le panda, l’animal vedette de la Chine. Mais ce film est produit par le studio américain DreamWorks, avec des scènes se passant aux Etats-Unis ! Les Chinois étaient d’ailleurs meurtris de voir que Kung Fu Panda avait été mondialement célèbre grâce aux Américains. C’est tragique !

Il a été diffusé en Chine ?

Il y a eu beaucoup de résistances au début mais comme c’est un film qui, finalement, est assez neutre d’un point de vue politique, il a passé la censure. D’ailleurs, il a eu un certain succès en Chine, comme Avatar ou Slumdog Millionnaire (mais comme il s’agit de l’Inde, on fait tout pour que ces films n’aient pas trop d’écho).

Malgré toutes ces difficultés, vous précisez dans votre livre intitulé « Mainstream », que la Chine a la volonté de s’étendre culturellement au monde…

Elle est très forte dans le hard power y compris culturel, par exemple dans la constitution de réseaux câblés, de dispositifs satellitaires, de siège de télévision en Afrique (c’est ce qu’on a appelé la Chine-Afrique). Sur ce terrain, la Chine est extrêmement active. Cela se traduit aussi par une forte volonté d’installer des chaînes de télévision dans plusieurs langues, en anglais, en Français, etc… La chaîne CCTV, télévision officielle chinoise de Pékin, est diffusée dans de très multiples langues. D’ailleurs quand vous allez là-bas, vous avez plus l’impression de vous retrouver au siège du KGB qu’au siège d’une télévision. Mais cela étant, pour l’instant, en termes de contenu, ça n’a pas porté ses fruits.

Les Chinois ayant les moyens et l’influence économique, peuvent très bien qu’ils évoluent dans ce sens. Est-ce que ça ira vers une liberté de l’artiste, je ne le crois pas ; mais on peut imaginer une voix certes étroite, où l’influence passera par des contenus contrôlés mais malgré tout grand public.

L’exemple de la publication de mon livre est à cet égard emblématique. Les Chinois m’ont plutôt bien accueilli, plusieurs éditeurs se sont battus pour acheter les droits du livre. En même temps, les contrats proposés stipulaient tous que l’on ne traduirait pas mon chapitre consacré à la Chine. Autrement dit, ils étaient intéressé par la traduction d’un livre qui parle du soft-power mais ne voulait pas que dans leur propre pays, les critiques mesurées – faites d’ailleurs par des Chinois plus que par moi – n’aient d’écho. On est encore dans un système de propagande et de contrôle, qui est par définition, inadapté à la définition du soft power.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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