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Les boissons sucrées sont-elles des causes de cancer ?
©Reuters

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Dans un article paru dans le British Medical Journal, des chercheurs de l'Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN/Inserm/Inra/Cnam/Université Paris 13) constatent une augmentation du risque de cancer chez les consommateurs de boissons sucrées. Cette étude s'intéressait aux associations entre la consommation de boissons sucrées et le risque de survenue de cancer.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Les boissons sucrées pourraient augmenter le risque de cancer d'après une étude scientifique menée par l'Université de Paris la Sorbonne Cité. Si les études concernant ce lien supposé n'en sont qu'à leurs balbutiements, peut-on déjà dire qu'il y a un lien entre consommation de sucre et développement de cancers ? A quel niveau ?

Stéphane Gayet : Les sucres dont on parle sont les sucres dits rapides, qui existent à l'état naturel dans les végétaux et qui ont un goût sucré. Ce sont le glucose, le fructose et le saccharose. Le glucose est la source énergétique essentielle du corps humain qui agit de concert avec l'insuline et le glucagon (hormones pancréatiques) pour que les différents tissus aient un approvisionnement optimal à toute heure de la journée. On l'a appris grâce à l'étude du diabète sucré, il faut, pour un bon fonctionnement de l'organisme, que la glycémie (concentration du sang en glucose) soit en permanence très proche d'un gramme par litre (glycémie physiologique à jeun comprise entre 0,7 et 1,1 g/l) : l'insuline la fait baisser, le glucagon l'élève.

Le fructose est très proche du glucose (même formule chimique brute) et la molécule de saccharose est constituée de deux molécules (disaccharide) : une de glucose et une de fructose (ce sont des monosaccharides).

Il est bien établi aujourd'hui que le sucre est addictif : il donne lieu à une assuétude (besoin de consommer) ainsi qu'à une accoutumance (besoin de quantités croissantes). Cette addiction fonctionne bien auprès des enfants et des adolescents. Et les industriels de l'agro-alimentaire y ont vu clair : les confiseries, crèmes glacées, desserts variés et les boissons destinées aux plus jeunes (lactées comme non lactées) sont massivement enrichies en sucre. Cette consommation excessive de sucre aboutit à la surcharge pondérale puis à l'obésité et favorise le diabète sucré de type 2 ainsi que les caries dentaires. Et c'est la porte ouverte à tout un ensemble de maladies dégénératives : hypertension artérielle, athérome (qui consiste surtout en un rétrécissement et un durcissement des artères), insuffisance coronarienne (angine de poitrine, infarctus), insuffisance rénale, arthrose des articulations porteuses (hanches et genoux), dyspnée (essoufflement), etc.

Quels sont les liens entre consommation excessive de sucre et cancers ?

Ce lien était déjà pressenti et c'est ce qui a motivé cette étude réalisée à Paris. Il faut remarquer que, pour une fois, ce sont les Anglais qui citent une étude française ; mais la raison en est simple : les chercheurs français de l'équipe de l'Université Sorbonne Paris Cité ont publié les résultats de leurs travaux dans le British Medical Journal.

Cette étude ne manque pas de puissance : ce sont plus de 100 000 personnes qui ont été suivies pendant cinq ans. On note que ce type d'étude épidémiologique à grande échelle connaît un grand succès depuis plusieurs années. Les raisons en sont simples : il n'est pas nécessaire d'investir dans des équipements lourds, il suffit, pour mener ce type de travail, d'une petite équipe d'épidémiologistes et de biostatisticiens, de deux ou trois micro-ordinateurs puissants, d'un bon logiciel d'analyse statistique de dernière génération, ainsi que d'une collecte de données (utilisation d'une ou de plusieurs bases de données géantes en accès libre, location d'une base de données ou encore collecte propre de données).

Ce travail a donc porté uniquement sur la consommation de boissons sucrées : en l'absence de définition consensuelle, les chercheurs ont adopté comme définition le fait de contenir plus de 5 % de sucre ; pour se repérer, la limonade industrielle (jus de citron, eau gazeuse et sucre) contient entre 7 et 10 % de sucre ; mais les limonades artisanales confectionnées à la maison en contiennent souvent plus. Par ailleurs, un morceau de sucre de taille n°4 pèse 6 grammes : une tasse de café française de 12,5 cl (un huitième de litre) additionnée d'un morceau de sucre n°4 contient environ 5 % de sucre.

Ainsi dans cette étude, on a pris en compte les jus de fruits (même ceux sans sucre ajouté), les boissons gazeuses sucrées, les boissons lactées sucrées, les boissons dites énergisantes ainsi que le thé et le café avec sucre ajouté.

Les résultats sont les suivants : dès que l'on consomme – en plus des besoins physiologiques en sucre - au moins 100 ml de boisson contenant plus de 5 % de sucre par jour (ou au moins 50 ml de boisson contenant plus de 10 % de sucre), on observe une augmentation de 18 % du risque de développer un cancer. Cette étude ne montre qu'une corrélation et non pas un lien de cause à effet ; elle révèle simplement que, chez les personnes s'écartant significativement de la consommation moyenne (habituelle, naturelle ou encore physiologique) de sucre, les cancers sont significativement plus fréquents ; il s'agit des cancers du sein, de la prostate et du côlon-rectum. La difficulté avec ce type d'étude épidémiologique, est de comprendre la signification de la corrélation mise en évidence : car il peut exister un vrai lien de cause à effet (il y a des arguments biologiques qui accréditent cette hypothèse), ou bien le facteur « ingestion en excès de boisson sucrée » peut être lié à d'autres facteurs cancérogènes, comme une consommation excessive de protéines et graisses animales ainsi que de sel (car ces tendances alimentaires se rejoignent fréquemment : il est assez fréquent qu'elles soient réunies chez une même personne, d'où une possible erreur d'interprétation).

Peut-on vraiment isoler comme cela un élément qui serait prédominant dans l'origine d'un cancer chez un sujet étudié ?

On sait qu'une consommation excessive de sucre, qu'elle soit sous la forme d'aliments solides ou de boissons, favorise le surpoids et à un degré de plus l'obésité ; on sait aussi que le surpoids et a fortiori l'obésité figurent parmi les tout premiers facteurs de diabète sucré de type 2, avec les facteurs génétiques. Or, l'un comme l'autre, sont déjà des facteurs favorisants pour le développement de cancers. Toutefois, l'un des chercheurs a affirmé que le gain de poids et même l'obésité, causés par la consommation excessive de boissons sucrées, s'ils jouaient assurément un rôle dans l'explication de la survenue de cancers, ne pouvaient pas à eux seuls tout expliquer. L'équipe suggère que, comme c'est le cas au cours du diabète sucré, le niveau élevé de façon prolongée du glucose dans le sang (hyperglycémie) soit le facteur biologique toxique pouvant être à l'origine du développement de cancers. On sait en effet grâce à l'étude du diabète sucré, qu'une l'hyperglycémie prolongée agit de la même façon qu'une substance toxique pour le corps, qu'elle induit des inflammations et altérations cellulaires.

Chez les personnes consommant trop de boissons sucrées, mais non connues ni traitées comme diabétiques, la glycémie à jeun reste dans les limites de la normale, ce qui fait méconnaître leurs périodes d'hyperglycémie post-prandiales (ça veut dire que la glycémie est trop élevée après les repas, car les mécanismes de régulation glycémique sont débordés en cas de charge glucosée excessive, puis la glycémie finit par se normaliser ; c'est une sorte d'état prédiabétique).

Il faut préciser que, dans cette étude, les personnes consommant trop de boissons sucrées et atteintes ensuite d'un cancer, ne sont pas systématiquement en excès de poids ni diabétiques. C'est dire que la consommation excessive de sucre par la boisson semble agir par elle-même, indépendamment du développement de la masse grasse et de son effet diabétogène. Les chercheurs évoquent également la possibilité d'effets cancérogènes d'additifs dans ces boissons : les colorants ajoutés pour donner une teinte attractive, ou d'autres produits chimiques destinés à rendre la boisson agréable (ce n'est toutefois qu'une hypothèse).

Ce que l'on peut retenir en somme, est qu'il semble réellement exister une corrélation entre une consommation excessive de boissons riches en sucres et la survenue de cancers, selon cette étude épidémiologique à grande échelle. Mais cela devra être étayé par des études complémentaires, car on ne peut encore affirmer ni infirmer l'existence d'un lien de type causal.

Des réactions du type : « On nous déconseille le tabac, l'alcool, la viande de bœuf et maintenant ce sont les boissons riches en sucres : que nous restera-t-il ? » ne vont bien sûr pas manquer de se produire. La science avance et les hommes en sont informés : à chacun de se positionner.

Le sucre, en revanche, favorise la prise de poids voire l'obésité. Est-ce que l'obésité est un facteur aggravant qui pourrait jouer un rôle de potentialisateur de cancer ?

Comme cela a été dit un peu plus haut, la consommation excessive de boissons sucrées apparaît corrélée dans cette étude à la survenue de certains cancers, et cela indépendamment de l'existence ou du développement d'une surcharge pondérale ou d'un diabète sucré.

Mais, en effet, si cette consommation excessive s'additionne à une surcharge pondérale et a fortiori à une obésité, tous les deux étant des facteurs favorisants de cancer, le risque est en toute logique, encore accru. Et que dire des boissons sucrées qui sont additionnées d'alcool, comme le punch sucré, la sangria et tous les cocktails aussi délicieux qu'enivrants ?

Pour finir sur une note d'humour, un médecin généraliste en retraite, amateur de cuisine gastronomique et de bons vins, disait en comité restreint : « Ils vont trop loin avec leur diététique, ils finiront par nous en faire crever. »

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