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Une nouvelle étude du Pew Research Center permet de découvrir les dernières tendances et les usages des réseaux sociaux chez les jeunes.
Une nouvelle étude du Pew Research Center permet de découvrir les dernières tendances et les usages des réseaux sociaux chez les jeunes.
©DENIS CHARLET / AFP

TikTok vs Facebook

Une nouvelle enquête du Pew Research Center, menée auprès d'Américains âgés de 13 à 17 ans, révèle que TikTok est devenu le réseau social favori des adolescents. Facebook n’est plus aussi populaire auprès des jeunes.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Le Pew Research Center a établi dans une grande enquête les pratiques des adolescents en matière de réseaux sociaux. Quels sont les principaux enseignements ? Et les principales tendances ?

Julien Pillot : Le principal intérêt de cette enquête est qu’elle permet de mettre quelques chiffres précis sur des tendances déjà constatées depuis un certain temps sur une tranche d’âge stratégique, les 13-17 ans. Stratégique en cela qu’elle constitue un vivier de relais d’influence très important pour les marques, tandis que leur propension à l’hyper-connexion l’expose tout particulièrement aux campagnes des annonceurs.

Parmi les tendances les plus notables, difficile de ne pas mentionner le déclin de Facebook – qui n’est plus utilisé que par 32% des répondants, et seulement par 19% sur une base quotidienne – qui contraste avec l’émergence très forte de TikTok qui, avec 67% d’utilisateurs (dont 58% sur une base quotidienne), se place d’emblée sur la seconde marche des réseaux sociaux les plus utilisés par cette tranche d’âge. C’est certes très loin de YouTube (95%, dont 77% quotidiennement), mais mieux qu’Instagram (62% ; 50%) et Snapchat (59% ; 51%).

Autre enseignement digne d’intérêt, la tendance à l’hyper-concentration sur certains réseaux sociaux. A l’exception de ceux susmentionnés, l’ensemble des autres réseaux sociaux sont en déclin sur cette tranche d’âge sur la période 2014/15 – 2022. C’est le cas de Facebook (de 71% à 32%), Twitter (de 33% à 23%) ou Tumblr (de 14% à 5%). Cela ne fait qu’illustrer le fait que cette classe d’âge tend à se positionner sur les réseaux sociaux déjà les plus utilisés par leurs communautés, consacrant ce que les économistes nomment « effets de réseau » (i.e. l’utilité individuelle que l’on retire d’un service dépend du nombre d’utilisateurs de celui-ci, à plus forte raison quand les utilisateurs partagent les mêmes centres d’intérêt).

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Enfin, l’autre grand enseignement de cette étude concerne la fréquence de connexion de cette classe d’âge, mais aussi leur rapport à leur connectivité. Sur le premier point, on note une progression fulgurante du taux de connexion « constante » des 13-17 ans, de 24% en 2014-2015 à 46% en 2022. Cela semble démontrer qu’ils sont de plus en plus nombreux à avoir un téléphone connecté à internet en permanence sur eux. Sur le second point, les 13-17 ans sont 36% à déclarer qu’ils passent trop de temps sur les réseaux sociaux, tout en confessant pour 54% d’entre eux qu’il serait « dur » voire « extrêmement dur » de s’en passer. Si le phénomène d’addiction est massif et de nature à inquiéter, le fait que cette génération semble être consciente de son hyper-connexion est, d’une certaine manière, encourageant : la reconnaissance d’une forme d’addiction étant l’étape nécessaire à tout processus de guérison. 

Qu’est-ce que la progression d’Instagram, de Snapchat, mais surtout de Tiktok, nous disent sur les adolescents ? Et sur leur manière d’appréhender les réseaux sociaux ?

Comme nous l’avons déjà souligné, la progression de ces réseaux sociaux contraste avec le déclin des réseaux « stars » du début des années 2010. Cette inclination à se retrouver sur les mêmes réseaux marque un certain instinct grégaire – tout à fait naturel sur les effets sociaux – consistant à se regrouper en communautés d’intérêt sur des réseaux sociaux peut-être moins fréquentés par les adultes. C’est là que les plus jeunes se sentent les plus libres de pouvoir agir et converser à leur guise.

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Il convient aussi de souligner le caractère plus visuel de ces réseaux sociaux, qui font la part belle aux photos, vidéos et autres stories. Or, il s’agit-là des modes d’expression privilégiés par cette classe d’âge, que ce soit de façon active (contribution) ou passive (consommation).

Mais le plus intéressant ne réside probablement pas dans la nature des réseaux sociaux utilisés, que dans les usages et le profilage fin des utilisateurs. Nous l’avons déjà souligné : cette génération tend vers l’hyper-connexion et reconnaît une certaine addiction. A cette première observation j’ajouterais deux éléments qui me laissent particulièrement songeur, pour ne pas dire inquiet. Le premier, c’est que l’addiction aux réseaux sociaux commence dès le plus jeune âge : les 13-14 ans sont déjà 48% à considérer qu’il serait « dur » voire « extrêmement dur » de se passer des réseaux sociaux (contre 58% des 15-17 ans). La seconde, c’est que le taux de connectivité n’est pas corrélé aux revenus du foyer. Là où on aurait pu imaginer un niveau de contrôle supérieur dans les foyers les plus favorisés présentant un niveau d’instruction supérieur (et donc un niveau de connaissance accru quant aux dangers liés à la cyber-activité de leurs enfants devant entrainer un niveau de vigilance accru), il n’en est rien. 

Que nous apprend au contraire le déclin de Facebook ?

Rien de plus que ce que nous avons déjà pu exposer précédemment. Pour cette génération, Facebook est perçu comme un réseau social vieillissant dans son interface et ses usages qui, en outre, place cette classe d’âge sous la surveillance des parents et parfois même des grands parents !

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Cela étant dit, rappelons qu’Instagram – qui appartient au même groupe que Facebook (Meta) suite au rachat de l’application en 2012 pour 1 milliard de dollars – se porte toujours très bien sur cette classe d’âge, ce qui tend à démontrer que cette génération cherche avant toute chose à rallier des communautés d’intérêt sur des médias correspondants aux usages recherchés, en l’espèce des contenus visuels correspondant à des tranches de vie, des challenges, ainsi que des contenus promotionnels.

La dominance de TikTok, réseau social d’origine chinoise, doit-elle nous inquiéter quant aux informations auxquelles accède Pékin ?

En 2020, la fulgurante émergence de TikTok a, en tout cas, suffisamment inquiété l’administration Trump pour que celle-ci envisage un temps de ne l’autoriser sur le territoire américain qu’à la condition que les activités TikTok au pays de l’Oncle Sam soient cédées à une entreprise locale (Microsoft fut un temps envisagé pour reprendre lesdites activités).

Une telle posture est révélatrice de la prise de conscience des autorités étatiques sur le caractère sensible des données auxquelles peuvent accéder des entreprises – et par extension – des puissances étrangères. La collecte de données sensibles n’est d’ailleurs pas le seul risque que fait peser une utilisation massive de TikTok, puisque les gouvernements occidentaux redoutent également que la plateforme chinoise ne serve de véhicule de désinformation et ne se mue en sorte de « cheval de Troie » permettant de formater les jeunes esprits, que l’on sait particulièrement influençables. Alors que le 21e siècle sera probablement celui d’un affrontement à la fois économique et culturel entre les Etats-Unis et la Chine, on comprend que le « soft power » revêt une dimension stratégique et que rien ne peut être laissé au hasard en la matière.

Rappelons également qu’en ce qui concerne les Etats-Unis, nous parlons d’un pays qui reste durablement marqué par le scandale « Cambridge Analytica » qui avait éclaboussé Facebook en 2018. Cette affaire avait en effet fait toucher du doigt la façon dont les données personnelles des utilisateurs de réseaux sociaux pouvaient faire l’objet d’une exploitation par des entreprises tierces de façon à influencer les intentions de votes, notamment auprès des électeurs indécis.

Mais attention ! Je crois que l’erreur serait de focaliser uniquement sur la nationalité des réseaux sociaux quand, justement, l’affaire « Cambridge Analytica » nous a fait la démonstration éclatante que ce qui compte avant tout, c’est la politique de l’entreprise exploitant un réseau social en matière de confidentialité ou de traçabilité des données. Facebook est bien une entreprise américaine, mais si elle vend les données de ses utilisateurs à des intérêts étrangers, cela peut ouvrir la voie à des dérives telles que d’éventuelles ingérences étrangères dans les élections. C’est pourquoi, au-delà d’un nécessaire effort pédagogique à faire auprès des utilisateurs – notamment les plus jeunes – sur le caractère sensible des données qu’ils partagent sur les réseaux, il est indispensable que la législation se durcisse en la matière. Le RGPD, et plus récemment le DSA (Digital Services Act), vont clairement dans la bonne direction et montrent qu’en matière d’encadrement des réseaux sociaux, l’âge de la maturité est advenu.

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