Les acteurs privés attendent l'effondrement du service public de santé pour faire mieux et moins cher<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant dans un hôpital lors de la pandémie de Covid-19.
Des membres du personnel soignant dans un hôpital lors de la pandémie de Covid-19.
©MARTIN BUREAU / AFP

Atlantico Business

Le budget alloué à la santé en France est le plus important d'Europe, mais la qualité du service n'est pas à la hauteur de ce que l'on dépense. Les praticiens demandent toujours plus de moyens que l'État ne pourra pas débloquer. Du coup, les acteurs privés se préparent à intervenir.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Si le service public de la santé continue d'être incapable de répondre à la demande des patients, et si l'État n'a pas d'argent à débloquer, les acteurs privés se préparent à intervenir. Encore faut-il que le pouvoir politique l'accepte. Or, actuellement, aucun responsable politique, de droite comme de gauche, n'acceptera d'assumer un projet de privatisation, même partiel, alors que déjà près de 30 % des besoins sont satisfaits par les hôpitaux, les cliniques et les médecins libéraux dans une logique de service public pour ne pas provoquer la colère des fonctionnaires Le problème est donc très complexe politiquement, alors que techniquement, il serait assez simple à résoudre..

Le budget de la santé est considérable, il fait partie des trois budgets les plus lourds avec l'école et l'intérieur. Les dépenses de soins atteignent les 300 milliards d'euros, soit 9 % du PIB, soit 4000 euros par an et par habitant. Ces dépenses de santé comprennent les soins hospitaliers (y compris en clinique), les soins de ville (médecins, infirmiers, laboratoires, etc.), les médicaments, les autres biens médicaux et les transports sanitaires. Ce budget n'arrête pas d'augmenter parce que la demande augmente. L'espérance de vie augmente, donc les besoins augmentent. L'exigence de soins est toujours plus précise et l'offre de soin a fait des progrès considérables. Ce budget est principalement financé par les cotisations de l'assurance maladie, par les assureurs privés et les mutuelles qui gèrent des complémentaires santé, et par l'État qui doit chaque année combler les déficits.

La situation est devenue insupportable. L'État ne peut pas augmenter les impôts ou les cotisations, et les patients ne peuvent plus supporter la saturation des urgences, les déserts médicaux et les mois d'attente qu'ils ont obligé de faire pour avoir un rendez-vous chez le médecin. L'état de santé de la population française n'est pas bon. Il est moins bon que l'état de santé des Allemands dont le système coûte pourtant moins cher.

Face à cette situation de blocage, l'État essaie de se débrouiller sans trop fâcher la classe politique qui n'a pas d'autres solutions que de tolérer un système qui ne fonctionne plus. L'État se débrouille en passant le rabot sur des dépenses non essentielles (mais encore faut-il les définir). L'État se débrouille en demandant aux médecins de gérer la misère avec quelques points d'augmentation ici ou là.

La réalité est que l'État ne parviendra pas à résoudre le problème tant qu'il n'aura pas le courage de mettre à plat l'appareil de santé.

Premièrement, on aurait besoin de personnels soignants (médecins et infirmiers), mais on déborde de personnels administratifs qui émargent au budget de la santé. La solution est simple : il faut diminuer le personnel administratif et augmenter le nombre de soignants par tous les moyens (ouverture de postes universitaires, augmentation des salaires et immigration choisie), mais qui aura le courage de faire ces arbitrages.

Deuxièmement, il faut sans doute réorganiser l'hôpital en gérant une complémentarité avec le privé. La cohabitation entre le public et le privé a toutes les raisons de bien fonctionner.

Troisièmement, introduire une concurrence entre les établissements de santé en soulignant leurs performances, leur efficacité et leurs résultats thérapeutiques. Jusqu'à l'année dernière, la presse grand public disposait des résultats des établissements. La presse pouvait ainsi établir des classements entre les hôpitaux, les cliniques, les départements, les spécialités. Les lecteurs étaient friands de ces classements qui revenaient à juger le travail des médecins et le fonctionnement des hôpitaux. Concrètement, ces classements aussi intéressants ne pouvaient pas être utilisés par les patients comme une sorte de guide Michelin. Pour une raison très simple, si on est en voyage, on peut choisir son hôtel ou son restaurant, mais si on tombe malade, on n'a pas la liberté de choisir son hôpital. Ces classements avaient un autre intérêt, celui de permettre au personnel de se comparer et de se challenger. Donc de contribuer aux résultats. Mais les classements ne sont plus rendus publics. Après 25 ans de communication, le ministère de la santé qui peut collecter toutes les données se les garde. Sans explication autre que celle des syndicats qui n’aiment guère une exposition aussi visible des comparatifs de performances. Le service public n’a jamais eu la cuture du résultat ? Si le résultat gène, on préfère le glisser sous la moquette.

Quatrièmement, si on peut mieux gérer les établissements, on peut aussi améliorer l'efficacité de la dépense. Le système français n'a d'assurance que le nom parce qu'il est géré dans une logique de solidarité. Tout le monde a droit à la carte vitale. Passons sur les abus que le digital pourrait éliminer, mais revenons aussi à un système d'assurance comme son nom l'indique. L'assurance est une invention tres ancienne du capitalisme pour couvrir les risques. Le meilleur exemple est celui de l'assurance automobile. L'assurance automobile est obligatoire, elle est offerte sur un marché d'acteurs privés, mais l'assurance automobile obligatoire offre un système de bonus-malus. Le bon conducteur bénéficie d'un bonus sur la prime de base. Le mauvais conducteur a un malus. Ce système est formidablement incitatif pour bien se comporter. L'assurance santé pourrait fonctionner de la même façon. Une assurance minimum obligatoire de base mais un bonus pour l'assuré qui se comporte bien et normalement et un malus pour ceux qui fument, boivent, et d'une façon générale ne se protègent pas. Un certificat de santé devrait être obligatoire tous les 5 ans par exemple afin de calculer le montant de la prime. Tout cela pour inciter le patient à prendre sa responsabilité individuelle pour protéger sa santé et celle de ses enfants. La responsabilité individuelle va de pair avec la prévention des risques médicaux, elle contribue à baisser la dépense. Parallèlement, la société d'assurance ou la mutuelle a intérêt à contrôler les prestations de service de santé en quantité, en qualité et en coût.

En conclusion, aucun responsable politique ne prendra le risque de proposer de telles révolutions. Les conséquences de cet immobilisme sont que la sphère privée où tournent les assureurs, les mutuelles ou même les plateformes de réservation comme Doctolib, sont actuellement en effervescence. Elles ont les outils pour sauver le service de la santé. L'État y refuse. Les acteurs privés attendront que le système s’effondre, ce qui ne saurait tarder.

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