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Emmanuel Macron, lors de son meeting du 12 juillet
Emmanuel Macron, lors de son meeting du 12 juillet
©REUTERS/Benoit Tessier

Pieds d’argile

Le regard plus que jamais tourné vers l'avenir après son meeting à la Mutualité ce mardi soir, Emmanuel Macron arbore depuis plusieurs mois un positionnement politique "ni gauche, ni droite". Un choix qui pourrait bien ne pas s'avérer si payant que cela.

Frédéric  Métézeau

Frédéric Métézeau

Frédéric Métézeau est journaliste depuis 15 ans. Il a été journaliste pour France Bleu Nord, basé à Lille, et a présenté les informations sur France Inter avant devenir chef du service politique sur France Culture. Depuis août 2015, il est chef du service politique de France Inter.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors qu'Emmanuel Macron tenait son premier grand meeting ce mardi à la Mutualité, dans quelle mesure le positionnement politique ambigu qu'il entretient (ni vraiment à droite, ni vraiment à gauche) est-il réellement pertinent ? S'il peut certes l'aider en termes de popularité, est-ce qu'il ne lui sera pas pénalisant électoralement parlant, à l'heure où les Français continuent malgré tout de structurer leur vote en fonction du clivage gauche-droite ?

Jean Petaux :  Le premier meeting d’Emmanuel Macron tenu à la Mutualité a clairement été le lancement d’une campagne présidentielle (pour le compte de qui ?) puisque les derniers mots, juste avant "Vive la République, vive la France" ont été "ce mouvement nous le porterons ensemble jusqu’à 2017 et jusqu’à la victoire". Macron a choisi un positionnement assez subtile en fait. Derrière une apparence de discours "ni droite ni gauche" il a structuré tout son propos autour de thèmes qui sont très chers aux Français : l’égalité, la liberté, la justice, les "vrais" droits, l’identité, la laïcité : tout cela façonnant des "Français". Avec cette longue évocation de Malika, musulmane qui a grandi dans un bidonville de Nanterre, renversée par un camion à l’âge de 3 ans, recueillie et élevée par des religieuses et convertie au catholicisme à 30 ans. Et quand le ministre Emmanuel Macron lui demande, parce qu’il va la décorer, s’il y a quelque chose qui lui importe elle dit : "Dites simplement que je suis française". Et la salle de la Mutualité toute acquise au "stand up" macronien (l’homme a fait du théâtre et est plutôt bon) chavire…

En fait Emmanuel Macron qui dit à ses supporters qu’à "partir de ce soir il va prendre tous les risques avec eux" est beaucoup plus malin qu’il n’en a l’air. Il s’inscrit dans une vague populiste non pas "anti" mais "pro". Son discours n’est justement pas dans "le ni-ni". Tout au contraire il se veut au-delà. Rassembleur certes mais en fait totalement dans "l’air du temps" : il propose de ne plus traiter les questions dans le clivage ordinal classique entre la droite et la gauche. Il en appelle à la "sève de la Constitution" (il est amusant de noter que le texte qui sous-titrait le propos d’Emmanuel Macron a écrit : "la fève") pour souligner que la présidentielle sous la Vème République est bien la rencontre entre un homme et le peuple de France. Au risque de surprendre je dirai que Macron était gaullien ce soir. Reste à savoir si ces accents-là ont encore de l’audience dans le pays.

Frédéric Métézeau : Tout d'abord, son positionnement ne me paraît pas ambigu dans la mesure où il a déjà dit clairement qu'il ne se réclamait ni de droite ni de gauche.

Ensuite, cette petite musique a effectivement toujours été un petit peu populaire. En son temps, François Bayrou (en 2007 et dans une moindre mesure en 2012) a été porté de façon assez forte par ce positionnement. 18,57% des voix à l'élection présidentielle, ce n'est pas rien. C'est populaire, mais cela ne suffit pas à faire gagner une élection.

Que ce soit dans la tête, dans les gens ou dans les institutions, le clivage gauche-droite est aujourd'hui fortement ancré. Nous avons des institutions qui sont bipolaires. L'élection présidentielle (deux candidats obligatoirement au second tour) et les législatives (scrutin majoritaire à deux tours) favorisent les gros partis. Les législatives permettent dans le cadre d'une triangulaire de s'imposer, mais pas la présidentielle.

Il est par ailleurs intéressant de noter que nous avons aujourd'hui une structure bipolaire avec un paysage tripartie (Front nationale - droite républicaine - Parti socialiste et alliés). Au-delà du clivage droite - gauche, il y a donc le clivage droite - gauche – FN, et un autre qui pourrait bien être le plus profond : celui qui se structure autour de l'acceptation ou non de la mondialisation telle qu'elle se fait et d'une certaine forme de construction européenne. Le camp du refus de cette mondialisation regroupe tout aussi bien des gens du Front de Gauche, du Front national, une partie des Verts, du Parti socialiste et de la droite souverainiste, même si tous ces gens ne doivent pas être mis dans le même panier.

Peut-on dire que le fait d'avoir ni parti derrière lui , ni ancrage électoral local, accentue le risque pris par Emmanuel Macron avec son positionnement ni gauche ni droite ?

Frédéric Métézeau :A l'heure où l'on parle, Emmanuel Macron n'a pas de base arrière sur laquelle s'appuyer : pas d'appareil partisan digne de ce nom et pas de fief électoral. J'ajouterais même qu'à part ministre, actuellement il n'a pas de métier. Qu'a-t-il donc comme solutions de repli ?

Il peut retourner dans la haute fonction publique. Il en vient, il était inspecteur des finances. Mais pour quelqu'un qui vante la prise de risque, retourner bien au chaud dans la haute administration n'est pas forcément très valorisant, notamment auprès des milieux qui le soutiennent (milieux d'affaires, start-up, etc.).

Il peut retourner dans la haute banque. Quand on voit la polémique actuelle avec José Manuel Barroso qui a rejoint Goldman Sachs, quand on voit le nombre de fois où on lui rappelle qu'il vient de chez Rothschild, ce n'est pas non plus forcément le créneau le plus porteur.

Il peut aussi être embauché comme cadre dans une entreprise, ou donner des conférences et occuper une sorte de ministère de la parole, comme Dominique de Villepin ou Hubert Védrine aujourd'hui. A ceci près qu'eux n'aspirent plus à des fonctions politiques futures, ce qui fait une grosse différence. Si Emmanuel Macron sort du gouvernement, il perdra de fait la surface médiatique et les moyens liés à son ministère. Quand on est ministre de l’Économie de la France, on est invité à Bruxelles, à Washington, à Londres, au sommet du G7, et on voit les grands de ce monde. Quand on ne l'est plus, il faut se maintenir dans de tels réseaux, ce serait tout l'enjeu pour Macron. De la même façon que pour être en connexion avec le peuple, il faut un ancrage local, un appareil partisan... ce qu'il n'a pas aujourd'hui.

En activant son mouvement En Marche, Emmanuel Macron semble faire le pari de convaincre des abstentionnistes sur la base du postulat selon lequel ces derniers seraient à la recherche du "ni droite ni gauche". Son constat est-il le bon ? A l'inverse, les abstentionnistes ne sont-ils pas plus représentatifs d'une France qui cherche une alternative politique, symptôme d'une droite et d'une gauche qui proposeraient une politique finalement identique aux yeux de ces électeurs ?

Jean Petaux : Par définition les abstentionnistes ne se résument pas à un seul profil. L’abstention est un phénomène très complexe qui concerne presqu’autant de catégories que celles qui partagent le corps des votants, en proportion au moins. Ce qui est certain en revanche c’est qu’une des causes de l’abstention est le sentiment de rejet de la politique à partir d’un argument qui ressurgit régulièrement dans la société française : celui du "tous pourris et/ou du tous pareils". En 1956, Pierre Poujade a littéralement "surfé" (comme on ne disait pas encore à l’époque) sur cette vague. Quelque part le général de Gaulle dans sa critique au rasoir du "régime des partis", assassinant le "Système" n’était pas très éloigné de cette rhétorique-là. Bien plus tard, Jean-Marie Le Pen critiquant "l’établissement" (formule bien à lui et procédant d’une francisation de " l’establishment") s’est coulé aussi dans cette ligne, jusqu’à sa fille Marine dénonçant sans arrêt le fameux "UMPS". Pour capter ces "déçus de la politique", certains acteurs politiques dénoncent leur propre "corporation" (comme l’a fait d’ailleurs Emmanuel Macron hier soir au sujet des grands corps de l’Etat) et n’hésite pas à se présenter différemment. Ce n’est pas une voie sans issue. L’électorat est parfois sensible à ce genre d’arguments. Mais pour que le peuple des abstentionnistes consente à ne "plus voter avec ses pieds" et à refréquenter les bureaux de vote il faut qu’il entende d’une part ce discours à même de le réveiller (ou d’aiguiser à nouveau son envie de voter…)  et il faut qu’il accroche aussi à quelques thématiques fortes qui vont, une fois qu’il sera sorti de son "coma électoral", le remettre "en marche" (c’est la stratégie de Macron). Or ce soir à la Mutualité, Emmanuel Macron n’a rien dit qui soit de nature à rassembler autour de lui une masse considérable "d’outsiders" qui, par adhésion à ses paroles, se réimpliquerait non seulement en politique mais tout simplement en tant qu’électeurs en avril-mai 2017. Peut-être que ce volet de la "remobilisation" viendra à partir de septembre, dans la  feuille de route macronienne.

Les militants du mouvement En Marche assurent que les Français sont avant tout préoccupés par des questions liées à leur quotidien (telle que la garde alternée, par exemple). Le problème n'est-il pas inverse ? Au regard de la défiance générale de la population vis-à-vis de la classe politique, celle-ci n'est-elle pas surtout à la recherche de sens, de compréhension d'un monde qui leur échappe, et de dirigeants capables de donner une direction à un pays face à cette complexité ? 

Jean Petaux : Ce n’est pas nouveau cela. Lors de son discours de politique générale, après les législative de 1988, Michel Rocard, chef du gouvernement (qui n’a disposé que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale) a évoqué "les cages d’escalier des immeubles HLM  et la nécessité de remettre en état les ascenseurs". Et il est vrai, pour quiconque a résidé dans un immeuble collectif que les cages d’escalier pourries et les ascenseurs en panne dans les tours peuvent être les unes et les autres les figures modernes de l’enfer… Il ne faut donc pas mésestimer les "petits riens" qui font de "grands soucis" pour une majorité de concitoyens. Comment vivre son "droit de visite" en cas de divorce qui se passe mal ? Qui va "obtenir la garde" (comme s’il s’agissait d’un "gain"… et donc d’une "perte" ou d’une "défaite" pour celui ou celle qui a perdu… "celui" d’ailleurs dans de très nombreux cas) ? Où vais-je inscrire mon fils dans tel ou tel lycée ? Faut-il que je le mette en "chinois troisième langue" pour contourner la carte scolaire parce que le lycée de secteur est bien pourri ?... Tout cela fait la vie quotidienne des Français. Est-ce que cela signifie qu’ils n’ont pas besoin non plus de sens ? De croire à un "roman collectif" ? Bien sûr que non. En témoigne d’ailleurs les derniers jours où entre "fanzones", stades et cafés-terrasses, les supporters français ont aimé se retrouver derrière une sélection nationale qui leur donnait tout simplement du plaisir collectif. Emmanuel Macron, encore une fois roué et stratège, sait tout cela. Il n’a pas manqué d’ailleurs de faire référence à la "solidarité qui fabrique du commun" (sic), soulignant aussitôt que la société en a un besoin certain. La quête de sens n’est pas du tout absente du discours de celui qui fut aussi un philosophe et l’assistant du grand Paul Ricoeur. En évoquant l’Europe, Emmanuel Macron l’a abordé d’une façon originale là encore : "L’Europe c’est ce qui nous permet à nous Français d’exister dans le monde". Et c’est justement parce que la mondialisation, ce qu’Ulrich Beck nommait intelligemment la "cosmopolitisation" est complexe, souvent incompréhensible, fondamentalement déstabilisatrice et destructrice de repères qu’Emmanuel Macron a compris qu’il fallait jouer sur la nécessaire inscription dans un ensemble européen taillé à la hauteur de l’enjeu de la mondialisation. Il faut avouer que c’est un peu plus intelligent que du Mélenchon, sans parler du Marine Le Pen.

La vraie et unique question qui se pose après le premier discours d’intention d’Emmanuel Macron est celle-ci : "est-ce que les électeurs vont acheter son histoire ?". Autrement dit est-ce que le jeune homme propre sur lui, éminemment moderne mais aussi très "gendre idéal" va les convaincre de la richesse de ses différences. En regardant le public de sangs mêlés qui l’écoutaient et s’enflammaient au discours encore retenu et convenu du "télé-évangéliste" Emmanuel Macron ; en observant ce même homme ne pas interrompre une seule seconde les "Macron Président" que scandait le public de "la Mutu", on pouvait se dire que la mayonnaise était peut-être en train de prendre. Jusqu’à ce que les "prompteurs" transparents à l’américaine apparaissent dans le champ des caméras… Alors on retrouvait la figure de l’acteur politique, certes très pro mais surtout fort intelligent comme peut l’être Métis, la déesse de l’intelligence rusée dans la mythologie grecque, qui n’est pas inconnue d’Emmanuel Macron….

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