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Lehman Brothers, 10 ans après : ces mythes dangereux auxquels nous croyons encore sur le déclenchement de la grande crise de 2008
©BYUN YEONG-WOOK / AFP

Causes et conséquences

Beaucoup pensent que les instances économiques responsables de la faillite de Lehman Brothers il y a dix ans étaient des fervents partisans du laisser-faire et de l’efficience des marchés. Cela n’est pas le cas : ils étaient conscients des problèmes, mais leurs tentatives pour les régler ont été bloquées par le pouvoir politique.

Sebastian  Mallaby

Sebastian Mallaby

Sebastian Christopher Peter Mallaby (né en mai 1964) est un journaliste et auteur anglais, chercheur principal en économie internationale au Council on Foreign Relations (CFR), et chroniqueur au Washington Post. [1] Auparavant, il a été rédacteur au Financial Times et chroniqueur et membre du comité de rédaction du Washington Post.

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Atlantico : Vous venez de publier une tribune dans le Washington Post intitulée " Ce mythe dangereux auquel nous croyons encore concernant la chute de Lehman Brothers". Quel est ce mythe que vous réfutez, quelle est cette fausse perception du public concernant cet événement ?

Sebastian Mallaby : Il y a une opinion qui est apparue après la faillite de Lehman Brothers à propos de la raison pour laquelle nous étions confrontés à cette crise. Cette opinion était que les personnes au pouvoir pensaient que les marchés étaient efficients et qu'il croyaient au fameux "laisser-faire". Et cette croyance les auraient conduit à penser que la régulation n'était pas nécessaire parce que les marchés étaient en capacité de s'autoréguler. Cette opinion ciblait principalement Alan Greenspan, ancien président de la FED, qui était considéré comme un fervent supporter de cette théorie de l'efficience des marchés et du laisser-faire.

Dans le même temps, on a pu assister à un attirance pour la finance comportementale et les écrits de Daniel Kahneman et Richard Thaler, qui soutenaient l'idée que les gens ne sont rationnels, du moins pas dans le sens décrit par les économistes, et que par conséquent, les marchés n'étaient pas "efficients". 

Ainsi, après la chute de Lehman, la vision commune était que les autorités n'avaient pas suffisamment régulé les marchés parce qu'ils croyaient au laissez faire, et que si nous avions eu au pouvoir ces personnes qui démontraient que les gens n'étaient pas rationnels et que les marchés n'étaient pas efficients, alors nous aurions pu éviter la crise. Mais cette vision est fausse.

Premièrement, parce que ces personnes qui sont considérées comme étant les défenseurs du laisser-faire et de l'efficience des marchés n'y ont jamais vraiment cru. Dans les années 70, la recherche académique en finance croyait en cette efficience des marchés, mais les choses ont changé dans les années 80. Et l'un de ceux qui a contribué à ce changement était Larry Summers qui est devenu secrétaire au Trésor dans les années 90. En réalité, les économistes tout comme les personnes qui étaient aux commandes comprenaient très bien que la situation pouvait être dangereuse. Deuxièmement, parce que la finance comportementale est née dans les années 70 et a été popularisée dans les 80 et 90, cela était donc connu. En tant que biographe d'Alan Greenspan, je peux affirmer qu'il croyait en la nécessité de réguler le marché. Il est donc faux de considérer que la crise est le résultat d'une erreur intellectuelle.

Pourquoi considérez-vous ce mythe comme dangereux, comment nous détourne-t-il des problèmes réels ?

Si vous pensez que la crise est le résultat d'une erreur intellectuelle, alors il suffit de changer les personnes qui sont au pouvoir pour résoudre le problème. Mais je pense que cela n'a jamais été le problème principal. Si vous vous focalisez trop sur cette question intellectuelle, alors vous vous éloignez de ce qui est vraiment important, c’est-à-dire la façon dont le système politique - particulièrement aux Etats-Unis - rend toute forme de régulation très difficile à mettre en œuvre.

Notamment parce que les autorités en charge de cette régulation sont fragmenté en de nombreuses agences, ce qui affaiblit considérablement la force du système. Lorsque l'on regarde ce que faisait Alan Greenspan et la FED dans les années 2000, on voit qu'ils ont essayé de réduire les risques dans le système financier mais ils ont souvent échoué en raison de la résistance politique, parfois sous l'impulsion des lobbys. La crise n'est donc pas le résultat d'une faute financière, mais d'une faute politique. Et si vous regardez Washington DC aujourd'hui, de l'administration Trump aux lobbys, en passant par le Congrès, vous constatez que c'est la volonté de dérégulez qui domine. Ce problème politique est même pire aujourd'hui qu'il ne l'était 10 ans plus tôt, ce qui rend le risque financier encore plus important. 

Dès lors, comment expliquez-vous que les autorités américaines n'aient pas considéré cette faillite comme pouvant être un problème systémique ?

Je pense qu'à ce moment-là, les choses sont allées trop vite et que les autorités ont été dépassées par les événements. Au début de ce week-end crucial des 13 et 14 septembre 2008, l'idée était que la banque Barclays allait racheter Lehman Brothers, ce qui aurait empêché la faillite. Mais les autorités britanniques ont contacté Washington pour dire qu'ils n'autoriseraient pas Barclays à racheter Lehman Brothers, parce qu'elles redoutaient que les pertes de la banque américaine ne soient pas soutenables pour Barclays. Dès lors, quand la solution anglaise a disparu, il ne restait que très peu de temps avant ce lundi matin.

C'est une combinaison de préoccupations politiques et juridiques qui ont conduit les autorités américaines à se retirer. La préoccupation politique était que Hank Paulson, qui était alors le secrétaire au Trésor, un républicain, ne voulait pas de ce sauvetage. Il n'aimait pas l'idée que le gouvernement intervienne encore une fois dans le secteur financier, parce qu'il était déjà intervenu dans le sauvetage de Bear Stern quelques mois plus tôt, tout comme pour Fannie Mae et Freddy Mac. À ce moment-là, on l'appelait "Monsieur Bailout", monsieur sauvetage, et il n'aimait pas trop ça. Il y avait donc ce souhait politique de ne pas faire un 3e sauvetage. La seconde préoccupation était juridique à mon sens. La question du sauvetage de Lehman a été débattue au sein de la FED et je pense que s'ils avaient eu plus de temps, cela aurait eu lieu. Je crois que la combinaison de cette réticence politique et de ces difficultés juridiques de la FED a paralyser toute forme d'action dans ce laps de moment.

Sommes-nous toujours aussi vulnérables aujourd'hui ? Voyez-vous une différence entre la situation américaine et la situation européenne ?

La situation était vraiment extrême en 2006 et en 2007. Aujourd'hui, le bon point est que les grandes banques américaines sont mieux capitalisées, elles ont plus de réserves qu'elles n'en avaient alors. Les stress tests ont forcé ces banques à mieux se réguler et le contrôle sur les activités de trading a été renforcé. Le mauvais point, par contre, est que les marchés des actifs sont très hauts. Cela est vrai pour l'immobilier, pour les marchés actions, mais aussi pour le marché obligataire et notamment pour les obligations d'entreprises. Et cette dernière catégorie est particulièrement inquiétante parce que les obligations de moindre qualité tiennent une place de plus en plus importante. Il y a donc eu un déclin dans la qualité du marché obligataire malgré des valorisations très élevées, et cela est une source d'inquiétudes. On peut aussi constater que la structure de la régulation des marchés est encore trop fragile, notamment en ce qui concerne l'immobilier.

Concernant l'Europe, je pense que la plus grande inquiétude ne vient pas forcément de la dette privée - même si l'on peut considérer que certaines banques sont fragiles, comme Deutsche Bank -  mais de la dette publique, notamment en raison de ce qu'il se passe en Italie. Le nouveau gouvernement italien veut proposer un budget qui va aggraver la situation de déficit alors que le pays est déjà dans une situation sévère d'endettement, ce qui se combine avec la volonté de la Banque centrale européenne de relever ses taux, mais également avec la défiance des électeurs italiens à l'égard de l'euro. Ce cocktail est une véritable source d'inquiétudes pour les deux années qui s'annoncent.

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