Législatives : la désinformation de masse sur les réseaux sociaux est en marche (et voilà qui elle paraît tenter de privilégier…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des faux comptes sur les réseaux sociaux tentent d'influencer les électeurs de droite afin de les inciter à voter pour le nouveau Front populaire.
Des faux comptes sur les réseaux sociaux tentent d'influencer les électeurs de droite afin de les inciter à voter pour le nouveau Front populaire.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Campagne électorale

Des faux comptes d'anciens sympathisants de droite qui voteront pour le nouveau Front Populaire lors des élections législatives se multiplient sur les réseaux sociaux.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Suite à l’annonce par Éric Ciotti de l’alliance entre Les Républicains et le Rassemblement national, un grand nombre de faux comptes se présentant comme d’anciens sympathisants LR appellent à voter pour le Front Populaire sur X (ex-Twitter). Que sait-on de ce phénomène ? Peut-on y voir une opération de militants LFI à l’approche des législatives ?

Fabrice Epelboin : Au vu de la quantité de faux comptes impliqués dans cette opération, il est plus que probable que ces actions soient coordonnées et réfléchies. Cette forme d’humour est aussi vieille que Twitter. Cela consiste à troller l’adversaire, le moquer, le caricaturer afin de faire rigoler son camp et de le fédérer par la même occasion. L’objectif est de conserver une base militante soudée et active face à des adversaires, et cela en dehors des périodes électorales, de façon à les avoir sous la main quand le besoin s’en fait sentir.  

Ces formes d’humour font partie de la culture originelle de Twitter et plus largement de l’internet social. Sur Twitter cela a commencé à s’installer à la fin des années 2000, quand le réseau est devenu populaire dans le milieu politico-médiatique parisien. Il s’y est alors développé des formes d’humour assez grinçantes, qui passaient par cette manière de troller et de mettre en scène une caricature de l’adversaire.  

Le réseau de faux comptes que vous avez découvert est vraiment caractéristique de cette culture Twitter, c’est clairement pensé pour se rassembler et tourner en dérision les ennemis de LFI. On peut le rapprocher des Guignols de l’info, qui étaient dans la même logique de moquerie et de caricature des politiques, sauf que là on est à l’heure des réseaux sociaux. Ce qui est certain, c’est que cette opération - particulièrement bien exécutée - fait bien rire les militants LFI, et très certainement au-delà.  

À l’approche des législatives, faut-il s’attendre à entrer dans une ère de désinformation de masse sur les réseaux sociaux ?

Pour ce qui est de ce réseau que vous avez mis à jour, nous sommes déjà dans le pic du dispositif, et celui-ci n’est pas piloté par ChatGPT, bien incapable d’automatiser ce genre de trolling humoristique ! Il y a bien des individus qui investissent du temps derrière ces comptes, dont beaucoup ont plusieurs années d’existence, c’est dire si tout cela n’a pas été mis en place pour les législatives ni même pour les Européennes ou la dernière présidentielle. Ces comptes ne vont pas doubler en nombre à l’occasion de la campagne, il faudrait doubler les ressources humaines qui sont derrière, et si vous disposez de telles ressources, il y a bien mieux à faire avec dans les semaines à venir.  

Ce n’est pas à proprement parler une opération d’influence, ce trolling ne rapportera pas de voix au Nouveau Front Populaire, il ne sert qu’à fédérer les militants, notamment dans les périodes creuses, entre deux campagnes électorales, afin de les garder actifs et mobilisés. Cela sert beaucoup à interpeller sous couverture un militant du camp adverse et provoquer un échange absurde aux yeux de la communauté de militants LFI qui suivent le compte, afin de rire à ses dépens. C’est fait pour rigoler ensemble et s’amuser. 

Pour ce qui est de la désinformation dans l’absolu et dans le cadre des législatives, c’est plus compliqué. Nous sommes déjà entrés de plain-pied dans la désinformation de masse. Les trolls de Poutine ont popularisé le concept dès 2016 avec l’élection de Trump, et c’est à cette période qu’on est passé dans ce qu’on peut qualifier de “désinformation de masse” sur les réseaux sociaux.  

Mais nous sommes en 2024, et la barrière à l’entrée, de nos jours, ce n’est pas la Russie mais l'Azerbaïdjan, qui déploie de telles opérations en Nouvelle Calédonie. A partir de là, faites une liste des pays qui seraient tentés par de telles ingérences au sein de la cinquième puissance mondiale qu’est la France, et dites vous qu’ils ont tous les moyens de se payer de telles opérations, et pour beaucoup, d’excellentes raisons. Les agences spécialisées, telle que celle mise à jour dans l'enquête de Forbidden Stories sont nombreuses. 

Ceci dit, le côté totalement inattendu de la dissolution fait que même avec des moyens, imaginer et déployer un dispositif en si peu de temps est très compliqué, ce qui du coup limite un peu les ingérences étrangères. Après, il faut reconnaître qu’avec l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, cela change tellement la donne que la situation ne peut qu’empirer.  

Historiquement, que sait-on des instigateurs de ce genre campagnes, à gauche comme à droite ?

LFI et Reconquête sont les seuls partis à disposer d’une véritable expertise stratégique intégrée, les autres sont pour ainsi dire à poil, et se contentent de community management et de communication digitale, le minimum vital.  

Mais le dispositif de Reconquête est encore embryonnaire, et seul LFI possède aujourd’hui les capacités pour imaginer et réaliser ce genre de campagnes. Le dispositif de Reconquête! - composé des têtes pensantes de la “fachosphère” - serait en mesure de faire une telle opération, mais il repose en large partie sur du bénévolat et il est décentralisé, c’est bien plus complexe à manœuvrer que chez LFI où ça consiste à faire un brief aux équipes lors de la réunion du lundi matin que les patrons ont préparé durant le week-end.  

Le dispositif numérique dont dispose l’extrême droite dans son ensemble, outre le fait que ses têtes pensantes sont passées dans le clan Zemmour et qu’elles se retrouvent dans une situation compliquée, est bien moins organisé et professionnel, et surtout, il est décentralisé, là où le dispositif numérique de LFI est centralisé, organisé, expérimenté et professionnel. Il date des années 2010 et de la création du Front de Gauche par Jean-Luc Mélenchon, qui a sû faire confiance à des gens comme Antoine Léaument, qui en une décennie ont construit une véritable agence de com’ digitale intégrée aux partis de Jean-Luc Mélenchon - le Front de Gauche puis LFI.  

La situation à l’extrême droite est fort différente. Ce qui lui fait office de dispositif digital est né à la fin des années 90, quand Jean Marie Le Pen s’est fait bannir des plateaux télé après avoir qualifié de détail les chambres à gaz des camps d’extermination nazis - à l’époque on ne prenait pas l’antisémitisme à la légère et cela faisait de vous un paria. Du coup, la base militante qui ne voyait plus ses idées à la télé s’est repliée sur internet, avant même l’arrivée de l’ADSL. Un peu comme un exil, dans des terres désertiques à l’époque et un peu hostiles, car techniquement plus difficiles à appréhender que la télécommande de votre téléviseur.  

Le FN de l’époque n’avait sans doute jamais entendu parler d’internet et personne ne misait là-dessus pour faire de la politique, et ces militants, en ordre dispersés, se sont emparés des pages perso, puis des premiers blogs, puis des réseaux sociaux, puis des messageries instantanées, et tout cela a donné naissance à ce qu’on désigne sous le terme de “fachosphère”.  

De cette fachosphère ont émergé des influenceurs tels que Pierre Sautarelle ou Damien Rieu, mais tout cela s’est constitué sur la base de militants bénévoles et sans ressources financières, rassemblés au sein d’un réseau totalement décentralisé sur lequel le RN n’a pas de contrôle - l’exact opposé d’une agence de com’ intégrée à un parti, avec des salariés et de la gestion de projet pilotée en fonction d’objectifs stratégiques.  

Le RN d’aujourd’hui n’est pas beaucoup plus évolué que le FN des années 90 pour ce qui est d’internet, ils ont juste une base militante qui pratique le terrain depuis plus d’une génération, dont Bardella est un rejeton. Tout le monde s’extasie sur les performances de Jordan Bardella sur Tiktok, mais Jean-Luc Mélenchon fait de bien meilleurs scores, et il y a une demi-douzaine d’élus LFI qui le talonnent en termes d’influence, car tous sont accompagnés par des équipes professionnelles et expérimentées. Bardella, lui, se contente de recycler ses passages télé en y ajoutant de petites productions pas très élaborées. Il a juste rencontré un public, ce n’est pas le fruit d’une stratégie digitale élaborée. 

Que sait-on du véritable impact de ces campagnes ? Dans quelle mesure peuvent-elles modifier, même légèrement, le résultat d’un scrutin ?

Je ne pense pas que cela puisse influencer le résultat d’un scrutin. Vous imaginez un instant un militant LR qui vire sa cutie en découvrant ces comptes, et qui se mettrait à chanter les louanges de Jean-Luc Mélenchon et à qualifier Raquel Garrido de traître ? C’est absurde, mais c’est drôle !  

En revanche, ce sont des opérations très intelligentes sur le long terme, pas à des fins électorales mais pour fédérer une communauté, pour la garder active, sans verser dans le pathos ou la haine, ce qui change agréablement. Je pense que c’est une excellente façon de faire, notamment au regard des nombreux temps morts entre deux campagnes, où garder une base militante active et mobilisée est un vrai challenge et où on ne peut pas se permettre de carburer exclusivement à la haine de l’autre.  

Je comprends que cette forme d’humour échappe à beaucoup, tout comme les Guignols de l’Info en leur temps ne faisaient pas rire tout le monde, mais je vous garantis qu’ils maîtrisent les codes et que si vous les comprenez, c’est franchement rigolo. 

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