Légalisation du cannabis : une stupéfiante absence de débat<!-- --> | Atlantico.fr
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Une boutique de cannabis dans le Colorado, où la légalisation a été décidée en 2014
Une boutique de cannabis dans le Colorado, où la légalisation a été décidée en 2014
©RICK T. WILKING / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Drugstore

Pendant que les Français vident l’océan cannabique à la cuillère à café dans les cités, les Allemands légalisent la fumette à la louche. Qui a raison ? Qui se plante ? On troquerait bien nos postures de comptoir, quelles qu’elles soient, contre un débat vraiment informé.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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« Penser contre soi-même », réévaluer ses biais et ses préjugés avant de se forger une opinion est une proposition judicieuse, aucun doute là-dessus, mais plus facile à adresser à d’autres qu’à mettre personnellement en œuvre. Ainsi, comme les 50 % de Français majeurs qui fument un pétard à l’occasion mais continuent de payer leurs impôts, de trier leurs déchets et de céder leur place à la vieille dame dans le métro, j’ai tendance à penser qu’une légalisation contrôlée du cannabis réglerait la plupart des problèmes couramment associés au trafic.

Les gangs des cités passeraient bon gré mal gré la main aux boutiques spécialisées, l’État échangerait une dépense (la lutte contre les réseaux) contre une recette (les impôts), la liberté de tout un chacun de s’intoxiquer festivement au THC plutôt qu’au Côtes-du-Rhône ou aux anxiolytiques serait démocratiquement respectée et, surtout, les balles perdues viendraient moins fréquemment se loger dans les cloisons des chambres à coucher d’étudiantes.

Pour les 50 autres pourcents de la population adulte n’ayant jamais (les pauvres ?) tiré sur un joint mais convaincus que les gangs se recycleraient immédiatement dans la vente de crack ou de fentanyl et que les refus d’obtempérer par des enfants des écoles complètement défoncés sur leur trottinettes se multiplieraient, il s’agirait au contraire d’une défaite de la civilisation à peu près comparable à la légalisation du home-jacking et des meurtres en série.

Les premiers (votre serviteur inclus) comme les seconds n’ayant pourtant, pour la plupart, que de simples « points de vue » plutôt que des faits avérés à s’envoyer à la figure, et les partis préférant généralement s’en remettre à ce qui semble être l’opinion électoralement gagnante au sein de leurs clientèles (en gros, la gauche est plutôt pour et la droite plutôt contre même s’il y a des iconoclastes dans les deux camps), la France reste bloquée depuis des lustres sur une stratégie faisant d’elle, simultanément, le pays le plus répressif et le plus inefficace dans la progression de la consommation. Pas de quoi pavoiser...

Mais à l’heure où les Allemands qui, du moins lorsqu’il n’est pas question de politique énergétique, ne sont pas spécialement des rigolos, mettent le shit en vente libre pendant que nous nous lançons dans de dispendieuses opérations « Place nette » faisant doucement rigoler les dealers, on est en droit d’exiger un débat à la fois moins idéologique et assurément plus scientifique pour départager les deux approches.

Car ce qui se passe concrètement lorsqu’on légalise (l’impact sanitaire, les conséquences sur l’activité criminelle, le contrecoup socio-économique dans les zones où le deal est l’industrie numéro 1...) est déjà largement documenté, du Canada au Colorado, et permettrait vraisemblablement à nos élites de passer de l’opinion démagogique au doigt mouillé à la décision proprement informée dans un sens ou dans l'autre. 

Et, promis (mais je ne parle évidemment que pour moi, pas pour le reste des 50 % de fumeurs de pétards de l’Hexagone, notoirement frivoles et inconséquents), si ce débat devait conclure que non, décidément, la légalisation ne règle aucun problème et même les aggrave, je continuerai de m’approvisionner illégalement auprès de gangs sanguinaires comme m’y incite la loi et je ne ne gonflerai plus personne avec mes lubies légalisatrices de « stoner ».

Ça ne sera pas encore « penser contre moi-même », puisque je n’aurai stupidement toujours pas changé d’avis pour de bon, mais j’aurai au moins fait l’effort.

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