Le vrai point fort du programme économique d'Emmanuel Macron (enfin le bon diagnostic) et son relatif point faible (les solutions)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le vrai point fort du programme économique d'Emmanuel Macron (enfin le bon diagnostic) et son relatif point faible (les solutions)
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

A boire et à manger

Emmanuel Macron a commencé a dévoilé ses ambitions économiques pour la France dans une interview donnée aux Echos.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »
Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »
UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

Voir la bio »

Atlantico : Alors qu'il était très attendu sur son programme, Emmanuel Macron a commencé a dévoilé ses ambitions économiques pour la France dans une interview donnée aux Echos :"D'abord le respect de nos engagements européens en restant dans l'épure des 3% de déficit avec des prévisions de croissance prudente : 1,4% cette année, 1,8% en 2022. Pour 2017, la prévision est à 2,9% de déficit" "Le taux de chômage peut raisonnablement atteindre 7% en 2022." De son côté la Commission européenne prévoit des taux de croissance et de déficits équivalents à ses prévisions, en prenant l'hypothèse d'une absence de réformes. En considérant que les Etats Unis, le Royaume Uni, ou même le Japon ont connu, lors de ces dernières années, des taux de croissance bien au delà de leur potentiel, rattrapant ainsi une partie du terrain perdu pendant la crise, ne peut on pas considérer que les prévisions ici faites révèlent une forme de renoncement ? 

Mathieu Mucherie : Ce n’est pas du renoncement, c’est au contraire de l’optimisme, excessif.

Après une double crise très dure, des années de sous-investissement, une société toute tournée vers la pierre et vers la rente, et 5 années inutiles de présidence Hollande-el-Poussah, il me semble que la croissance potentielle française n’excède pas 0,8% par an, et c’est plutôt gentil quand on connait les tendances démographiques à venir, les orientations récentes (lamentables) de la productivité, et les probabilités assez élevées de nouvelle crise de la zone euro avant la fin de cette décennie. Le contexte global n’est pas assez porteur pour effacer nos faiblesses internes : la croissance chinoise ralentit logiquement, l’Amérique est « gouvernée » par un gang de malfaisants, et plus du tiers de la croissance allemande depuis deux ans est due, en terme de contribution nette, aux dépenses publiques (NB : Macron parle de « sur-consolidation budgétaire » outre-Rhin, moi pas comprendre ! il confond leurs discours, qui sont pour les autres, et leurs actes). Pas de locomotive interne, pas de locomotive externe. Et ce sera encore pire à partir de juin avec une présidence Macron (pas de majorité législative = pays ingouvernable), et pire encore si les taux remontent.

Il est vrai qu’avec un « output gap » manifestement négatif, quelle que soit l’estimation que l’on peut faire de la croissance potentielle de notre pays, nous devrions connaitre une phase de rattrapage au moins partiel. Mais ce n’est pas ce que nous avons constaté aux USA (croissance autour de 2%/an en moyenne depuis bientôt 7 ans, ce n’est pas folichon), et c’est logique car ce n’est pas ce que l’on peut constater tant que la politique monétaire n’est pas franchement accommodante (elle ne l’est qu’en surface, nominalement : pour la 10000e fois, un taux peut être bas à 5% et haut à 0%). En clair, une accélération de la croissance supposerait une dévaluation préalable, et ce qu’au bar PMU on nomme un choc de confiance : dans le 1er cas cela dépend de Francfort (et Macron ne tentera RIEN en la matière, il a été très clair là-dessus), dans le 2e cas il faut j’imagine réunir une majorité de gens autour d’un projet à peu près clair et cohérent (avec Bayrou comme principal soutien, bon courage).

Pourquoi tant d’optimisme chez Macron ? C’est indispensable pour lui car il n’a pas la moindre intention de réformer vraiment. Avec un scénario de croissance plutôt « cool », sans récession à l’horizon, pas besoin de remises en cause douloureuses, nul besoin de demander une modification des objectifs et des méthodes de la BCE, tout va se passer assez convenablement (NB : au passage, Macron se moque du monde quand il suggère que nous reviendrions à la moyenne de la zone euro en abaissant de 3 points la dépense publique dans le PIB au cours de son mandat : si je sais compter, c’est 5 ou 6 points qui seraient nécessaires, eh oui, la présidence Hollande est passée par là…). 

L’homéopathie fiscalo-sociale suffira. Et Bayrou pour cogérer l’éducation nationale avec le SNES, j’imagine. En route vers un quinquennat exaltant. 

Et la boucle est bouclée car, vous savez, le chômage aura le bon goût de revenir à 7% en 2022, d’où des économies sur l’assurance-chômage : le monde de Macron est décidément bien fait. (NB : petit exercice : devinez combien de temps la France a passé avec un taux de chômage en dessous de 7% depuis le début des années 80).

Jean-Paul Betbeze :Le cadrage économique d’Emmanuel Macron part d’un fait : quand la croissance française repart, les importations vont plus vite encore et le déficit extérieur se creuse davantage. La France souffre d’un déficit prix et hors prix. C’est là notre faiblesse fondamentale qu’il faut réduire,dans la durée.

C’est ce qui explique le CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi), pour remonter le taux de marge des entreprises de 29% (au plus bas) à 31% (aujourd’hui) de la valeur ajoutée. Mais nous ne sommes pas aux 35-36% allemands, au moment même où certains candidats veulent revenir sur cette politique ! Il faut donc continuer sur cette lancée. Ceci implique une modération salariale (qui commence à entrer dans les mœurs), autrement dit, faire évoluer les salaires en fonction de la productivité du salarié, de son équipe et de l’entreprise. En même temps, pour répondre au problème de la compétitivité hors prix, rien n’est possible sans formation tout au long de la vie et donc sans le passage d’un système de rémunération par les salaires à un autre système où interviendraient, à côté des salaires, l’employabilité du salarié, sa capacité à travailler de manière productive, dans la durée. Cette employabilité entre dans une logique de package où elle est centrale, à côté des mesures de qualité de la vie au travail, d’actionnariat et de complément de retraite. Il n’y a pas d’autre voie, même si ce n’est pas la facilité de la « relance par la hausse des salaires » ou du revenu universel prôné par d’autres ! La stratégie implicite d’E Macron, qui colle aux prévisions européennes marque en ce sens un choix profond, qui n’est pas celui de la facilité d’une croissance boursouflée et importatrice.

Ceci est différent donc de ce que l’on retrouve aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon. Le Japon adopte une stratégie monétaire de taux longs à 0% qui a pour but de stabiliser autant que possible sa dette publique (insupportable) et de baisser le yen, ce qui lui permet de soutenir ses exportations (au grand dam de D.Trump). Le RU, après le Brexit, avance grâce à la dévaluation de 13% de la livre sterling, sachant qu’il n’est pas encore rattrapé par la hausse des taux longs mais que l’inflation a déjà pointé le bout de son nez.

Enfin, les Etats-Unis, avec Donald Trump, mènent une stratégie de surchauffe. L’objectif de croissance du Secrétaire du Trésor (Steven Mnuchin) : 3% en 2017 et 3,5% en 2018 est étrange pour une économie à 2% qui est en plein emploi et dont l’inflation approche 2%. D. Trump veut forcer les feux essentiellement par une politique fiscale qui va taxer les importations et favoriser les exportations, ce qui revient à une dévaluation déguisée. En même temps, D. Trump veut encourager le crédit et soutenir encore la demande (au risque de tensions croissantes avec la Fed). Suite à cela, une politique de grands travaux qui va creuser le déficit budgétaire vers 5% et faire monter le ratio dette sur PIB vers 90% à long terme.

Avec évidence, la France ne peut pas adopter une stratégie japonaise, anglaise ou américaine. Chacune a et aura des effets pervers. La stratégie française est en fait celle d’une reconstitution lente d’une compétitivité perdue sur plus de 20 ans. Vouloir maintenir un taux de croissance vraisemblable, avec des économies de dépenses publiques et une réduction du déficit budgétaire dans la durée est donc tout le contraire de renoncements, mais la preuve d’un engagement qu’il faudra expliquer, si l’on veut réussir. 

Alexandre Delaigue : Le programme économique est un exercice nécessaire mais un peu absurde. Annoncez des résultats mirobolants, vous serez taxé d'irréalisme; Annoncez l'inverse on vous reprochera votre défaitisme. En France on a trop l'habitude de campagnes électorales pendant lesquelles tout semble possible, pour ensuite voir mener des politiques vues comme des renoncements. C'est vieux de 40 ans! Ce que l'on devrait rappeler c'est que la France a plutôt été épargnée par rapport aux autres pays par la crise, qu'elle s'en est plutôt bien sortie. Quand la récession est forte, la reprise l'est aussi. Pour la France la reprise lente est la contrepartie d'une crise bien moins virulente qu'ailleurs, sans en nier les effets déplorables.

Mais alors qu'on revient à la normale les mêmes problèmes restent. Un chômage élevé qui ne diminue jamais beaucoup, un système productif, public et privé, qui peine à s'adapter. Voilà les vraies questions et elles ne vont pas se résoudre rapidement. 

Pourtant, en déclarant également "Face à la crise, l'Europe s'est enfermée dans une politique économique inadaptée s'engageant dans une politique d'austérité à contretemps alors que les Etats-Unis ont opté bien plus efficacement pour une relance temporaire. Suite à cette crise, nous héritons d'un déficit d'investissements privés et publics. L'Allemagne elle-même arrive au bout de cette logique : pour soutenir la croissance, on ne peut pas accumuler indéfiniment des excédents commerciaux.", Emmanuel Macron établit un diagnostic argumenté. Que pensez de ce diagnostic ? Les mesures proposées par Emmanuel Macron permettent elles de répondre à celui ci ? 

Mathieu Mucherie : Diagnostic argumenté, quelle blague ! C’est le diagnostic que même un sourd & aveugle aurait pu faire dès 2011, quand Trichet remontait ses taux comme un psychopathe : refaire ce diagnostic cinq ou six ans plus tard, trop tard, et quatre ans après le FMI, en ne parlant de surcroit que du volet budgétaire (qui a toujours été assez mineur, mais madame Michu n’a pas accès au débat monétaire), est à la limite du ridicule, surtout pour un ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée ; mais n’est-ce pas justement là le but, mettre un peu d’eau dans un vin un peu trop ouvertement allemand ?

Avec mes capacités intellectuelles pourtant très limitées, j’ai milité dès la fin 2008 pour un QE, dès la fin 2009 pour le cantonnement ou l’annulation des dettes de la Grèce, et dès 2010 pour des taux négatifs ou mieux pour un objectif ambitieux de croissance du PIB nominal. A une époque où Macron ne disait RIEN sur ces sujets, trop occupé à dessiner 3426 propositions avec la grosse commission Attali, trop occupé à boucler des fusacs chez Rothschild et à soutenir un candidat qui n‘aimait pas les riches (je ne suis pas certain de respecter l’ordre logique et chronologique, passons). La libéralisation des trajets de bus entre Albi et Charleville-Mézières est une œuvre trop prenante pour se fâcher avec toutes les élites de Bruxelles et de Francfort. Aujourd’hui, Macron a compris, les politiques européennes n’ont pas été optimales, et le modèle néo-mercantiliste allemand n’est ni universalisable ni soutenable dans le temps, bravo, nous le disons dans ces colonnes depuis des années, mais merci à toi ô grand mage Macron… 

Les mesurettes pompeusement appelées « programme » sont parfaitement adaptées à ce diagnostic retardé. On va faire entre 2017 et 2022 ce que nous aurions du faire entre 2008 et 2012, et on va voir de quel bois centriste on se chauffe, non mais !! Le candidat de l’extrême milieu distribue, un peu, pour tout le monde. Pour Alain Minc, le respect des 3%, cette règle stupide jamais respectée. Pour la vaseline, l’accent mis sur la formation, et le cadeau de la taxe d’habitation. Pour les partisans de l’offre en pleine crise de la demande agrégée, plein de gadgets, Jean-Marc Daniel va aimer. Des réductions d’effectifs assez mollassonnes et peu précises dans la fonction publique, bah, pourquoi pas, comme pour le taux de chômage l’espoir de Macron est de voir la démographie faire le gros du travail, sans peine. Un peu de transition écologique par ci, un peu de santé ou de défense des territoires par là. Le tout dans le respect de la déontologie et de l’ordre républicain. Ya bon Macron. 

Parenthèse. Rien sur l’armée, toujours la seule institution sacrifiée budgétairement (car ils n’ont pas le droit de manifester) ; en dépit du fait que les Américains s’apprêtent à nous lâcher, en dépit de ce qui se trame un peu partout. La numérisation de l’économie digitale machin, ça sonne mieux. 

Il y a tout de même des passages franchement inquiétants dans l’article des Echos. La « mise sous tension » de tout l’appareil de l’Etat « en deux mois », concrètement, cela s’appelle une purge. Et la canalisation vers l’économie « productive » des nouveaux flux de l’assurance vie, ça ressemble bien à une nouvelle taxation de l’épargne (et qui décidera de ce qui est un placement « productif » ? à votre avis ?). Et, en prime, l’introduction de la proportionnelle, pour bien s’assurer que le pays soit ingouvernable, et encore plus clientéliste. La Belgique et l’Italie, nos nouveaux modèles. 

Dirigée par une agence de communication, cette campagne Macron ratisse donc large et ratisse bien. Il y a de quoi siphonner l’électorat simpliste du centre, tout en attirant les paumés de la gauche modérée et de la droite modérée (ça tombe bien, pour diverses raisons, il y en a plein). C’est plutôt bien joué. Pour les gens un peu plus sérieux, qui auraient aimé lire quelques mots sur la question des retraites (un des seuls sujets économiques importants, et où nous pouvons/devons agir), rien, NADA. On nous dit que ça ira mieux dans quelques jours, avec le « programme » complet et officiel, j’en doute : sujet casse-gueule, où on ne se fait que des ennemis, l’agence de communication Macron en dira donc le moins possible. Quant à la politique monétaire…   

Jean-Paul Betbeze :De manière plus précise, la crise de 2008 a frappé d’abord les Etats-Unis (qui en sont la source). Ils ont baissé leurs taux d’intérêt très vite et soutenu leur activité par une politique monétaire extrêmement agressive, plus une montée du taux de chômage. Ceci est bien connu et montre la réactivité américaine qui a eu deux ans d’avance au moins par rapport à la zone euro. 

En zone euro, quand la crise a frappé, les réactions ont été différentes pour ne pas dire opposées. L’Allemagne a opté pour un partage du fardeau entre entreprises, salariés et Etat, les salariés acceptant une modération salariale ou une baisse des salaires ou une réduction des horaires en contrepartie d’une promesse (aujourd’hui tenue) de retour à la normale dans quelques années. Ce contrat implicite a été possible en Allemagne parce que les entreprises pouvaient financièrement tenir et les conditions sociales dans l’entreprise le faire accepter. Il n’en est évidemment pas de même en France ou NSarkozy a décidé d’un Grand emprunt pour compenser les effets de la crise. La France, contrairement à l’Espagne ou à la Grèce n’a jamais vraiment connu l’austérité, même si le mot à fait florès, mais plutôt l’endettement public et la montée des emplois publics. 

Ceci étant dit, Macron a raison de dire que l’Allemagne est au bout de sa logique d’excédents commerciaux. En réalité, atteignant 8% du PIB, ils bénéficient du fait que l’euro est relativement faible pour l’Allemagne (et relativement fort pour la France), tandis que les autres pays de la zone euro continuent d’avoir une demande interne dynamique. Cette divergence ne peut continuer. La France en particulier, doit croître davantage, mais par la compétitivité et l’exportation et l’Allemagne doit soutenir davantage sa demande interne, notamment en augmentant les salaires des services. Mais la France ne peut demander à l’Allemagne d’augmenter ses salaires si elle ne fait pas elle-même d’efforts ! C’est donc bien dans cette logique là que la stratégie d’Emmanuel Macron poursuit celle de Macron Ministre : elle est possible, seule possible.  

Alexandre Delaigue : Ce n'est pas un diagnostic qu'il est seul à faire. C'est même le diagnostic le plus partagé par les économistes, donc c n'est pas très original. Les blocages en la matière sont identifiés aussi, avec deux seules portes de sortie: une intégration européenne qui fonctionne mieux, ou une explosion plus ou moins chaotique du système européen. 

A partir de là, il y a des gens comme Piketty, qui conseille Benoît Hamon, qui préconisent une évolution significative, fédérale, des institutions européennes. Il y a ceux qui veulent aller vers l'affrontement avec l'Europe, comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen. Macron se situe entre l'ambition des premiers et le renoncement des seconds, en partant du principe que l'on doit partir de ce qui existe, et le changer à la marge en restant dans les lignes principales. L'idée est que l'on paraît sérieux en respectant les règles et que c'est la condition pour obtenir des améliorations. On peut y voir la continuation de la politique européenne menée par la France sous les deux mandats précédents, Sarkozy et Hollande, ce qui n'a pas été une réussite. On peut y voir aussi un certain réalisme : les candidats qui déclarent vouloir aller porter le fer à Bruxelles pour rentrer dans le rang à peine élus, ca n'obtient pas beaucoup de changements et c'est ridicule.

Essayer d'être lucide et attendre le bon moment pour obtenir des changements favorables, pourquoi pas.

Dès lors, comment qualifier le programme d'Emmanuel Macron ? S'agit il de la simple poursuite de la politique menée par François Hollande lors du quinquennat 2012-2017 ? Quels sont ses points forts et ses points faibles en considérant une économie mondiale soumise aux défis de la mondialisation, de la robotisation, de la politique recherchée par Donald Trump, ou encore le Brexit ? 

Mathieu Mucherie : Ce « programme » est une avancée incontestable dans l’étude de la structure lacunaire de la matière. On touche aux limites du vide absolu. Pourtant, il ne faut pas être trop sévère, et ne pas tomber dans l’insulte pure et dure (par exemple, en traitant Macron de continuateur potentiel de Hollande). D’autant qu’au rythme où vont les choses, on risque de se retrouver avec Hamon et Le Pen dans quelques semaines au 2e tour. Là, ce n’est pas le vide, c’est l’horreur, le choix entre un sous-Chavez et une sous-Peron, entre une nouvelle déferlante étatiste et le protectionnisme. En politique, il faut souvent choisir entre des inconvénients. Si le candidat de la droite classique ne sort pas de son « Pénélope gate », il faudra bien voter Macron, même si c’est absurde, pour éviter le pire. Et espérer que l’on s’en sorte ensuite aussi bien que les belges et les italiens, qui transportent de grosses dettes publiques en dépit de combinaisons politiques instables et d’un personnel politique navrant.

Sur le fond, Macron répète deux grosses fautes de ses concurrents et de ses prédécesseurs. 

Primo, il fait mine de vouloir réformer notre économie, alors que notre secteur privé se débrouille très bien (du moins quand on ne le pilonne pas) ; le drame économique de la France réside dans son secteur public. Promouvoir un grand plan d’investissement de 50 milliards et de ne surtout pas parler des régimes spéciaux de retraite, cela n’est pas très bon signe. Dire que le marché du logement dysfonctionne, c’est bien, expliquer que c’est en grande partie à cause de l’Etat (les restrictions foncières, les HLM aux classes moyennes, etc.), ce serait mieux. Parler de transition énergétique c’est bien, mais pourra-t-on la faire en ne changeant que des têtes chez EDF et chez Areva, par exemple ?  

Deusio, comme les autres partis dits de gouvernement, il considère que nous devons suivre un purgatoire de 5 ans, pour montrer patte blanche aux allemands, après quoi nous serons plus forts à la table des négociations pour leur arracher quelques concessions. Filon dit la même chose. C’est triplement absurde :

1/ Macron commence son « programme » par dire que le modèle allemand n’est pas soutenable. Que nous ne pouvons pas tous être exportateurs nets, que nous ne pouvons pas tous tout miser sur la montée en gamme au même moment. Et pourtant il faudrait aller dans ce sens durant au moins un mandat (sans doute plus, en fait…), pour amadouer... 

2/ c’est mal connaitre les allemands. Pourquoi renieraient-ils leur modèle si les français se mettent à l’imiter davantage ? C’est mal connaitre aussi le SPD, qui sur les principaux axes du modèle allemand est sur la même longueur d’onde que la CDU ; je me suis spécialisé dans l’étude de l’histoire de la Bundesbank, je sais de quoi je parle. Macron commet là l’erreur traditionnelle de toute la classe politique hexagonale, le piège dit du « bon flic / méchant flic » : il suggère qu’à l’automne l’Allemagne pourrait changer, elle ne changera pas. Le néo-mercantilisme y fait consensus, l’indépendance de la banque centrale aussi, et nous n’obtiendrons que des miettes à vouloir faire les « bons élèves », rien ne sera jamais suffisant, et après les 3% ce sera l’équilibre budgétaire, etc., 

3/ si une seule conclusion doit émerger du fait que la moitié de l’électorat français est désormais « azimuté », « dingo », avec des extrêmes aux portes du pouvoir, c’est bien que la stratégie de suivisme monétaire et économique vis-à-vis de l’Allemagne n’est pas tenable pour le corps politique français (même si ce dernier peine à identifier l’origine de ses problèmes). C’est ce que prophétisait jadis Milton Friedman : vous autres Français êtes un grand peuple, et un grand peuple ne peut pas supporter longtemps d’être à ce point infantilisé, traité comme un pays confetti. Il recommandait un moindre sentiment d’infériorité monétaire de notre part (!!). Il n’a pas été écouté, to say the less, et ses ouvrages sont quasi-introuvables. Je l’ai découvert « dans le texte » par hasard, à la bibliothèque de sciences-po, en révisant pour l’ENA. Lecture dévorante, pleine de surprises historiques et conceptuelles. Devinez quoi, je n’ai pas eu le concours. La même année, au même endroit, un certain Emmanuel Macron, qui lui lisait très exactement ce qu’on lui demandait de lire, et qui était déjà à l’époque habillé comme Alain Minc, a eu le concours. Ne comptez pas trop sur lui pour sortir la France des sentiers battus.       

Jean-Paul Betbeze : Le programme de Macron est fondamentalement européen. Il comprend que l’on ne peut avoir de développement économique sans assainissement des comptes publics et réduction des taux d’intérêt à long terme. Il ne s’agit pas d’austérité, mais de modernité. La réduction des effectifs publics et privés aura lieu partout en liaison avec les nouvelles technologies. La question est celle de la formation des salariés à l’emploi, plus des jeunes et de l’apprentissage. L’Allemagne a au moins deux fois plus de robots que nous, plus efficaces et plus récents, et un taux de chômage moitié moindre, sans oublier le commerce extérieur.

La stratégie de Macron est libérale au sens où elle met l’accent sur la réduction des freins à l’activité économique et inclusive, n’oublions pas l’avancée de la Loi El Khomri. Ce n’est pas la baisse de la monnaie qui fait la compétitivité, c’est la montée du capital humain. On peut donc dire que la politique d’Emmanuel Macron est libérale et sociale, plus européenne. Ceci pourrait lui créer des amis,pas si loin de F. Fillon, sachant que les ennemis sont déjà là.

Alexandre Delaigue : Partout, la social-démocratie souffre. Les partis de centre-gauche dans les pays développés n'arrivent pas au pouvoir, sont décrédibilisés. Face à cela Macron fait un choix social-libéral clair. Certains trouveront que cela va contre le sens de l'histoire, que ce cocktail rebute définitivement les électeurs. Peut-être mais au moins il est assumé comme tel. L'économiste Bruno Amable qualifierait certainement Macron de candidat du "bloc bourgeois", mais finalement c'est très bien que cela fasse partie du choix offert aux électeurs, plutôt qu'une gauche qui promet de mater la finance et les riches et qui finit au pouvoir par baisser les charges et libéraliser le marché du travail. Pas d'hypocrisie, c'est plutôt bien. 

Pour le contenu du programme lui-même, si vous preniez les différents rapports du conseil d'analyse économique ces dernières années, si vous demandiez à leurs rédacteurs de rédiger le programme à même de faire consensus parmi les économistes mainstream, vous ne tomberiez pas très loin du compte. Votre jugement sur ce programme peut s'arrêter là. Si vous pensez que l'économie mainstream est déconnectée du réel et incapable d'apporter quoi que ce soit, qu'il faut changer d'époque, alors ce programme est voué à l'échec. Si vous pensez que la France ne eut s'en sortir qu'en renversant la table et avec des changements drastiques, ce programme n'en est pas un.

A l'inverse vous pouvez considérer ce programme comme une manière réaliste de maintenir le système français en l'adaptant, en faisant le type de réforme employé dans les pays nordiques dans le passé, comme la Suède ou le Canada, voire l'Allemagne avec les réformes Schroder. Dans ce cas, Il est difficile de trouver mieux que ce programme dans l'offre actuelle.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !