Le vent mauvais de la défaite<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Un soldat en patrouille dans le cadre de l'opération Barkhane.
Un soldat en patrouille dans le cadre de l'opération Barkhane.
©Daphné BENOIT / AFP

Présence française au Sahel

Emmanuel Macron a annoncé le retrait progressif d'une partie des troupes françaises engagées au Sahel dans le cadre de l'opération Barkhane. Cette décision est-elle l'aveu d'une défaite ?

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

Voir la bio »

La décision prise par le Président Macron en juin 2021 de mettre fin à l’opération Barkhane en retirant progressivement une partie des troupes françaises engagées au Sahel, tout en repositionnant nos forces « au sein d’une mission européenne et de l’ONU » ne trompera personne. Elle signe la fin d’un modèle qui, à travers les opérations Serval et Barkhane,  durait depuis 8 ans : la stabilisation des Etats de la région par  la « décapitation » des groupes islamistes. 

Le bilan de l’opération est contrasté. Des chefs islamistes importants ont été « neutralisés » : Abdelmalek Droudal, Bag Ag Moussa,  et récemment Baye Ag Bakabo, le responsable de la mort des deux journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Des otages ont été libérés, des stocks d’armes et de drogue récupérés. En montant une task force avec  les troupes des pays du G5 Sahel,  l’aide  de contingents européens et du renseignement américain, et le soutien de la MINUSMA, la Mission multidimensionnelle  intégrée  des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali, la France s’exonérait de son image de « gendarme de l’Afrique ».
Elle n’a pas réussi en revanche à détruire les bases logistiques de la coalition formée par l’AQMI  d’ Iyad Al Ghali lié au  Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans du prédicateur peul Amadou Koufa,  l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), filiale locale de l’Etat Islamique,  et  divers groupes armés.  Elle n’a pas su  dissocier les revendications irrédentistes des Touaregs du Nord et des Peuls du Sud de la contagion islamiste. Le conflit s’est  étendu à  la région des trois frontières,  comme l’a montré encore récemment le massacre des 160 villageois de Solhan au Burkina-Faso,  et menace aujourd’hui  des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire.
Surtout la France  n’a pu empêcher les islamistes d’installer dans une partie de la région leur « administration »  par la persuasion, l’argent ou la terreur. On compte aujourd’hui 1,5 million de personnes « déplacées » au Mail et 1,1 au Burkina-Faso. Et 4 millions de jeunes filles ont été contraintes d’abandonner l’école.   

Fallait-il renoncer à la pacification du Sahel, un territoire vaste comme dix fois la France, aux frontières poreuses et à la géographie tourmentée, ou avons-nous commis l’erreur comme l’a écrit Stephen Smith, de combattre « pour le Sahel » et non « au Sahel » ? Un débat sans fin et quelque peu obsolète.

La France se trouvait prise dans un engrenage. Impossible de  quitter une région où elle a été appelée au secours par des gouvernements gangrenés par la corruption et le clientélisme, qui ont perdu la confiance d’une population éloignée du pouvoir central et s’avéraient incapables de faire face à la pression islamiste. Difficile également de combattre en première ligne, face à une rébellion soutenue par une partie des habitants, alimentée de l’extérieur  par ses « concurrents », la Russie,  la Chine, L’Algérie, la Turquie, les Etats du Golfe,  et nourrie du témoignage  d’intellectuels africains et français « décoloniaux », qui diabolisent l’action de la France en oubliant  la traite arabo-islamique et la traite domestique africaine  qui ont précédé, accompagné et suivi la traite atlantique.

Ajoutons que son engagement coûte un milliard d’euros par an aux finances publiques sans retour sur investissement. L’ère de la Françafrique est largement révolue.  La zone CFA ne représente qu’1% de notre  commerce extérieur. L’extraction de l’or au Mali ou au Burkina-Faso est contrôlée par des sociétés ni africaines ni françaises. L’uranium du Niger  nous revient plus cher que celui du Kazakhstan.

Après une phase où la pandémie a gelé les décisions, l’initiative  du président Macron, sans doute accélérée par le récent coup d’Etat au Mali dont la validité a été reconnue par la CEDEAO, et qui négocierait en sous-main avec les terroristes,  était inéluctable.

Cette décision ne peut être interprétée par l’opinion publique africaine que comme l’aveu d’une défaite. Que 5100 militaires aguerris  avec 200 véhicules logistiques, autant de blindés , un fort appui aérien, bénéficiant du soutien des trois bases arrières des forces françaises :Abidjan, Dakar, Libreville,   des centaines de militaires de la  Task Force européenne Takuba créée en 2020, des 4000 soldats du G5 et des 15 000 militaires et policiers de la MINUSMA soient obligés de céder devant  3 000 militants islamistes est un signal fort.  

Nous avions déjà tenté d’alerter l’opinion publique, sans succès,  quand en octobre 2020 lors de l’échange entre quatre otages contre deux cents djihadistes enfermés dans les geôles maliennes, le Président Macron avait tenu à être présent à Villacoublay pour assister aux retrouvailles de Sophie Petronin « le dernier otage français au Mali »  avec sa famille,  alors que cette séquence marquait  le triomphe d’ Iyad Ag Ghali, considéré là-bas comme le libérateur de ses compatriotes et qui a encaissé dans l’affaire plusieurs millions d’euros.

Aujourd’hui la situation est dramatique sur trois plans.

La défaite annoncée de la France conforte une partie de l’opinion publique africaine que notre pays  paie aujourd’hui le prix  d’une diplomatie arrogante, d’un soutien à des régimes corrompus, d’une aide au développement insuffisante et détournée de son objectif et d’une politique migratoire à la fois péremptoire dans ses discours et laxiste dans son application.

La constitution probable d’un califat dans le Nord-Sahel risque de générer une dynamique islamique sur toute la région, de pousser une opinion publique africaine désabusée à se tourner vers un islamisme qui serait la  solution là où les systèmes précédents, du libéralisme au castrisme en passant par la démocratie importée et le panafricanisme, n’ont pas permis au continent de décoller.

Enfin il ne faut pas sous-estimer la vague migratoire qui va  porter ceux qui se sont  compromis avec  les régimes en place, qui récusent l’islamisme radical on craignent sdes troubles dans leur pays,  à s’installer particulièrement en France où ils exciperont de leur statut de  « réfugiés politiques »  pour réclamer le droit d’asile.
Si l’immigration burkinabé et nigérienne en France est aujourd’hui limitée, on voit mal, comment sans crispations, la France qui compte déjà plus de 500 000 résidents  d’origine malienne légaux ou irréguliers  (enfants compris) pourrait en accueillir le double et leur fournir un logement, une formation et un travail.

Jean-Paul Gourévitch, consultant international sur l’Afrique et l’immigration, auteur de La France en Afrique 1520-2020 vérités et mensonges (L’Harmattan 2020).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !