Le traité avec le Mercosur, un mauvais accord ? Voilà pourquoi les arguments d’Emmanuel Macron ne tiennent pas la route <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le président brésilien Lula saluent la foule après une réunion bilatérale au palais du Planalto à Brasilia, le 28 mars 2024.
Emmanuel Macron et le président brésilien Lula saluent la foule après une réunion bilatérale au palais du Planalto à Brasilia, le 28 mars 2024.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Atouts du libre échange

Emmanuel Macron a estimé, lors de son récent déplacement au Brésil, que l’accord commercial négocié entre l’UE et le bloc sud-américain du Mercosur était un « très mauvais accord » et a appelé à en bâtir « un nouveau ».

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Lors du Forum Franco-Brésilien sur le verdissement de l’économie le 27 mars à Sao Paulo, Emmanuel Macron a renouvelé ses critiques à l’égard de l’accord Mercosur avec les arguments suivants :

- Le Mercosur est un accord du passé négocié il y a vingt ans.

- Il n’y a rien dans cet accord sur la biodiversité et le changement climatique.

- Il n’y a pas de clauses miroirs.

- Il faut négocier un nouvel accord complètement différent.

Toutes ces affirmations sont grossièrement inexactes. Prenons chacune d’elles une par une.

Si le mandat de négociation de l’accord Mercosur a effectivement 25 ans, il n’a été que peu activement négocié au cours de cette période, deux années en 2003 et 2004, puis deux années en 2011 et 2012, sans aucun résultat tangible. La négociation réelle n’a eu lieu qu’entre 2016 et 2019 pour aboutir à une conclusion en principe en juin 2019, à la fin de mon mandat de Directeur Général du Commerce de la Commission Européenne, juste au moment de ma retraite à la fin de cette même année.

Emmanuel Macron semble ignorer que tous les accords de libre-échange (ALE) négociés après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009 comprennent une nouvelle architecture, avec un chapitre développement durable ambitieux qui couvre la ratification et le respect des conventions clefs de l’OIT et de tous les accords environnementaux multilatéraux comme la convention sur la biodiversité et l’accord de Paris sur le climat. Le non-respect de ces dispositions est soumis au règlement des différends bilatéral prévu par tous les ALE. L’UE ne s’est pas privée de l’utiliser. La Commission Européenne a lancé en 2018 avec succès une procédure bilatérale contre la Corée et a obtenu de ce pays en 2021 la ratification et la traduction en droit national de trois conventions de l’OIT. Le chapitre développement durable de l’accord Mercosur conclu en principe en juin 2019 est strictement identique à celui de l’ALE Chili ratifié il y a quelques semaines et vanté par Emmanuel Macron par rapport à « l’archaïque » Mercosur. Comprenne qui pourra. S’agissant du Mercosur et du climat l’UE ne s’arrête pas là puisqu’elle a fixé deux lignes rouges supplémentaires :

- L’ajout de l’accord de Paris sur le climat aux droits de l’homme et à la non-prolifération des armes de destruction massive comme clause essentielle. La violation d’une clause essentielle peut entrainer la suspension unilatérale partielle ou totale d’un ALE. L’intégration de l’accord de Paris sur le climat dans les clauses essentielles fait désormais partie de la nouvelle architecture des ALE depuis 2020. Cette idée avait été lancée par Jean-Claude Juncker dans une lettre à Emmanuel Macron en décembre 2017. Pour le moment seul l’ALE Nouvelle Zélande récemment conclu contient cette clause.

- La signature d’un protocole détaillé et contraignant sur la déforestation. 

Pour le moment le Mercosur n’a pas encore accepté ces deux conditions, sans lesquelles l’accord ne sera pas conclu. Bien entendu le règlement déforestation de l’UE qui prohibe l’importation de produits issus de la déforestation et le mécanisme d’ajustement carbone à la frontière (MACF) seront également d’application.

Emmanuel Macron, le Monsieur Jourdain de la clause miroir, en fait sans le savoir. En effet tous les produits importés dans l’UE doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l’UE. En outre aucune viande produite à partir d’animaux engraissés par l’utilisation d’hormones et/ou d’antibiotiques ne peut être importée dans l’UE même s’il ne subsiste plus de traces de ces additifs. Par contre il n’est pas sérieux de demander au Mercosur d’appliquer strictement à l’identique, les mêmes méthodes de production pour les produits comme les viandes ou le sucre qui bénéficient d’un accès extrêmement réduit au marché de l’UE par des contingents tarifaires de l’ordre de 1% de la consommation totale de l’UE. Ces contingents protègent parfaitement les agriculteurs européens concernés à l’exception de la viande bovine dont les prix devraient baisser de 2 % et la production de 1%, chiffres sans commune mesure avec les catastrophes annoncées par certains, dont la crédibilité est nulle comme on l’a vu avec les résultats de six ans d’application provisoire de l’accord CETA avec le Canada qui ont démenti toutes leurs prévisions. Il suffira d’accorder des aides supplémentaires aux producteurs de viande bovine extensive. Demander la généralisation des clauses miroirs dans ces conditions c’est demander le beurre et l’argent du beurre, surtout si l’on rappelle que les agriculteurs européens reçoivent annuellement 40 milliards d’Euros d’aides au revenu, précisément pour couvrir l’écart de compétitivité avec les pays tiers et les règles de bonnes conditions agricoles et environnementales plus strictes de l’UE. Toutefois il existe quelques clauses miroirs supplémentaires pour des produits complètement libéralisés, comme les œufs produits par des poules libres de cages.

Ces considérations démontrent que le futur accord Mercosur est non seulement un excellent accord économique qui évitera annuellement le paiement de 4 milliards d’Euros de droits de douane par les entreprises européennes exportatrices mais aussi un accord sans précédent en faveur du climat et de la biodiversité avec l’accord de Paris comme clause essentielle et un protocole déforestation ambitieux, tout en protégeant les produits agricoles sensibles de l’UE. Il est difficile de croire que le Président de la République soit aussi peu informé du contenu réel de l’accord. Il s’agit plus probablement d’un brouillard politique délibéré destiné à donner une rationalité apparente face à une classe politique française qui s’enfonce majoritairement dans l’ignorance des faits et le déni de réalité, comme l’a montré le lamentable rejet du CETA par le Sénat la semaine dernière, voté par les groupes LR, socialiste et communiste.

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