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Le Tour de France, Coulisses et secrets : un autre dimanche
©Reuters

Bonnes feuilles

En 2017, Christian Prudhomme fête ses dix ans à la tête du Tour de France. L’occasion pour lui de revenir sur son parcours et son histoire d’amour avec le Tour de France en nous livrant de nombreux secrets et anecdotes sur cet événement mythique et mondialement connu. Une plongée au coeur de l'histoire, du fonctionnement et de l'organisation de cette course cycliste. Extrait de " Le Tour de France, Coulisses et secrets", de Christian Prudhomme, aux éditions Plon. 1/2.

Christian  Prudhomme

Christian Prudhomme

Journaliste diplômé de l'École supérieure de journalisme de Lille (59e promotion), il a commencé sa carrière cathodique sur La Cinq à la fin des années 1980, dans l'émission Télé matchs dimanche de Pierre Cangioni1. Il devient ensuite journaliste sportif sur France Télévisions, puis président du Tour de France le 1er février 2007.

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Je vais donner le départ du Tour de France. C’est enivrant. Je me refuse à céder au sentimentalisme et j’éprouve comme une sorte de lucidité défensive. J’ai du mal à croire à ce qui m’arrive. Tout ce que j’ai aimé jusque-là se trouve réuni dans un même creuset qui s’appelle la passion du Tour de France. Nous sommes à Londres, en ce mois de juillet 2007. J’entame une partie difficile car j’ai toujours en mémoire de sombres souvenirs. Il y a un an, alors que je ne tenais pas encore totalement les rênes de l’épreuve, les suites de l’opération Puerto –  scandale de dopage  – mettaient hors course, d’entrée, les deux principaux favoris de l’épreuve  : l’Allemand Jan Ullrich et l’Italien Ivan Basso –  ce dernier rêvait d’un doublé Tour d’Italie-Tour de France  –, ainsi que deux autres concurrents  : Francisco Mancebo et Óscar Sevilla. Et puis était intervenu un autre scandale : le séisme Floyd Landis. Une autre actualité me saisissait alors. Ici, dans la capitale britannique, deux ans plus tôt jour pour jour, le 7  juillet 2005, une vague d’attentats était venue endeuiller le pays tout entier. Des explosions se produisaient dans trois stations de métro, dans un intervalle de cinquante secondes, puis dans un autobus à impériale. Le lourd bilan se chiffrait à 55  morts et 700 blessés. 

Cela intervenait au lendemain de l’attribution à la ville de Londres, par le Comité international olympique, des Jeux d’été de 2012. Le souvenir de ces attentats ne pouvait m’échapper puisque je savais que des officiers de Scotland Yard travaillaient dans notre giron. Comment en aurait-il été autrement quand on pense que le prologue allait emprunter les lieux les plus emblématiques du pays. Et je ne pouvais m’empêcher de tourner mes regards vers Buckingham Palace, Big Ben, le palais de Westminster… Et là me saisissait une sorte de probité candide. On ne ressentait pas, ici, cette atmosphère de peur. Il y avait, certes, une certaine police, mais elle restait confinée dans l’ombre, prête à intervenir. Les Anglais n’y pensaient pas, saisis par la fièvre du Tour. Ils perdaient leur flegme légendaire, affluaient vers Hyde Park que traversaient les premiers kilomètres de ce que l’on appelait depuis longtemps « La Grande Boucle ». Ce faisant, ils nous donnaient une merveilleuse leçon. Oui, ils reléguaient leur flegme et autre chose aux vestiaires, puisque certains se présentaient torse nu, d’autres arborant des tenues cyclistes. Et j’imaginais – pure folie – que l’un de ces passionnés allait céder son maillot à un roi nu, le Suisse Fabian Cancellara, dont la compagnie aérienne, empruntée par ce dernier –  British Airways  –, avait égaré la valise. 

Certes, il n’aurait pu rester dévêtu longtemps puisqu’il allait remporter le prologue, se parant par la même occasion de la célèbre casaque jaune qui distingue les premiers de la classe cycliste. Un sacré premier de la classe qui repoussait son poursuivant le plus proche à 13 secondes, en l’espace de 8 kilomètres… Ce n’était pas fini. Londres nous réservait sa magie avec le grand départ sur son célèbre pont  : Tower Bridge. Je me sentais tout petit. Si mon père avait encore été de ce monde, comme il aurait été fier de voir son fils dirigeant la manœuvre d’une course qu’il avait tant aimée. Dès ma nomination à la direction du Tour, je me souviens d’avoir gagné le cimetière de Nanterre afin de me recueillir sur sa tombe. Lorsque je le révèle à Jean-Marie Leblanc, ce dernier me confie qu’il avait agi de la même façon, quelques années auparavant. Je pense que je suis aussi sensible que lui. Mon père m’avait inoculé un vaccin qui m’apportait un bonheur que je voulais simple mais qui me dépassait de cent coudées. Cependant, je pense que rien ne le laissait paraître car j’étais vraiment dans l’action. Mais l’émotion couvait malgré tout. « Ici Londres. Les Anglais parlent aux Français ! » Je souris seul de mes inepties rentrées. Je me retrouve près de Ken Livingstone, maire de Londres, membre du Parti travailliste, surnommé « Ken le Rouge » en raison de ses opinions politiques de gauche, et celui-ci me dit  : « Dieu doit être cycliste car il fait beau ! » C’est, en effet, le seul week-end lumineux à Londres depuis de longues semaines. Une ambiance comme je n’en ai jamais vu. Je me pince pour bien me rendre compte que je ne rêve pas. 

Mais oui, c’est bien vrai : sur le parcours – fictif – tous les coureurs en première ligne du peloton applaudissent le public. Et je me répète encore : « Du jamais vu ! » Un océan ravageur de bruits, de clameurs, accompagne les concurrents qui, dans quelques kilomètres, vont être libérés par mes soins. Somptueux départ. Le maire veut changer sa ville  : moins de voitures, plus de gens à pied, à vélo… On approche du départ réel vers cette première étape qui mène les coureurs à Canterbury. Je suis sûr qu’on ne perçoit pas mon émotion. Personnellement, il me semble me trouver au cœur d’un univers où l’adolescence se métamorphose en éternité. Mais j’ai la charge de tant de devoirs que le sentiment parfois s’estompe et que les nuages apparaissent. C’est l’heure de l’événement. Je suis en immersion et… seul au monde. Le Tour est sous ma loi dirigeante. Je ne m’en rends pas forcément compte et pourtant, sous la férule bienveillante de Jean-Marie Leblanc, j’ai eu le temps de m’y habituer. Entre le long défilé du départ fictif et le départ réel, je suis partout dans la voiture. Une fois debout, une fois accroupi pour écouter ce que distille la radio du Tour. Il faut de la vigilance à tout instant. Un accident, un moindre incident peuvent intervenir… 

Soudain, le drapeau du Tour claque au vent de la plaine. Il est petit, j’ai envie de dire minuscule, mais il m’apparaît telle une immense oriflamme. Jamais mon geste n’a paru aussi ample. Je ne m’appartiens plus. Je disparais, comme replongeant sous les eaux, au fond de la voiture directoriale pilotée avec maestria par l’ancien routier, double champion de France contre-la-montre, Gilles Maignan. Le peloton accélère et gloutonne ses horizons nouveaux. Le charme tranquille des vallons anglais n’est pas pour cette chenille multicolore. Le 94e   Tour est parti à grande allure… Je ne voudrais pas qu’il lui arrive du mal. De temps en temps je me sens absent, jamais rebelle, mais, très vite, je retrouve ma combativité. L’épreuve me dépasse, mais pour quelques secondes seulement… Je crois que je ne guérirai jamais du Tour de France. Nous étions le dimanche 8  juillet 2007.

Extrait de " Le Tour de France, Coulisses et secrets", de Christian Prudhomme, aux éditions Plon. 1/2.

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