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Des fidèles catholiques assistent à une messe le dimanche de Pâques dans une église catholique d'un village près de Pékin, le 4 avril 2021.
Des fidèles catholiques assistent à une messe le dimanche de Pâques dans une église catholique d'un village près de Pékin, le 4 avril 2021.
©JADE GAO / AFP

Bonnes feuilles

Claude Meyer publie « Le renouveau éclatant du spirituel en Chine » aux éditions Bayard. La Chine, pays officiellement athée, traverse aujourd'hui une crise morale qui se traduit par un renouveau spectaculaire du spirituel. Depuis les années 1980, le déclin de l'utopie marxiste minée par les inégalités croissantes et la corruption, la perte des valeurs traditionnelles, l'individualisme et le matérialisme ont fait naître des aspirations spirituelles. Extrait 1/2.

Claude Meyer

Claude Meyer

Claude Meyer, conseiller au centre Asie de l'IFRI (Institut français des relations internationales), a enseigné l'économie et les relations internationales à Sciences Po. Docteur en économie, diplômé en philosophie, sociologie et études asiatiques, il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels : "La chine, banquier du monde" (Fayard, 2014) et L'occident face à la renaissance de la Chine (Odile Jacob, 2018).

 

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Les causes de la fièvre religieuse qui a gagné la Chine depuis les années 1980 sont multiples : dislocation des structures sociales entraînée par le développement économique, effondrement des valeurs et de l’éthique traditionnelles, déclin de l’utopie marxiste et matérialisme, etc. Très dynamique, le paysage religieux est aussi devenu très complexe et fragmenté entre religions officiellement reconnues, églises clandestines, religions populaires, sectes syncrétistes, etc. Il est très difficile de recenser le nombre total de croyants en Chine mais on l’estime à plus de 350 millions. Le confucianisme n’est pas une religion à proprement parler mais il mérite d’être pris en compte car son retour en grâce participe du même renouveau spirituel.

Le renouveau spirituel dans la Chine post-Mao

Des causes multiples

À partir des années 1980, suite à la Révolution culturelle et au grand vide spirituel laissé par l’échec du maoïsme, la Chine connaît en réaction une fièvre religieuse qui se poursuit durant les décennies suivantes. Plusieurs raisons expliquent ce retournement dans un pays officiellement athée. La levée des restrictions sur la pratique religieuse à la fin des années 1970 a évidemment joué un rôle essentiel. Parallèlement, la priorité donnée au développement économique plutôt qu’à l’idéologie a entraîné une dislocation des structures sociales tant en milieu rural qu’urbain, avec son cortège de tensions et de frustrations. La modernisation du pays a donné lieu à des comportements sociaux déviants et conduit à l’effondrement de l’éthique et des valeurs traditionnelles ; la population trouve alors dans la religion une source de réconfort psychologique et d’épanouissement spirituel. De plus, la répression du mouvement démocratique, notamment le massacre de Tiananmen en 1989, a joué aussi un rôle moteur dans le renouveau religieux ; nombre d’intellectuels, qui y voyaient une alternative à la pensée maoïste, se sont alors tournés vers la pratique religieuse, notamment le christianisme. Déclin de l’utopie marxiste minée par les inégalités croissantes et la corruption, perte des valeurs traditionnelles, individualisme et matérialisme : face au désenchantement et à la perte de repères, les aspirations spirituelles ont alimenté un renouveau religieux sans précédent touchant des centaines de millions de personnes.

Le visiteur en voit partout les signes : de nouvelles églises parsèment la campagne, de nombreux temples ont été reconstruits ou agrandis, les festivals et le tourisme religieux sont florissants grâce au retour des valeurs traditionnelles encouragé par le pouvoir. Certes le progrès n’est pas linéaire et on constate nombre de reculs et d’ambiguïtés : des églises sont démolies, de nombreux temples sont réorientés vers le tourisme et la question des valeurs est trop souvent manipulée à des fins politiques. Pourtant la tendance générale est claire : les questions religieuses et éthiques reviennent au centre du débat national sur la manière d’organiser la vie sociale. Les croyants ne cherchent pas seulement un sens à leur propre vie, mais aussi à l’avenir du pays au moment où la Chine s’adapte à une économie et une société en mutation rapide.

La complexité du paysage religieux

Le paysage religieux en Chine est complexe et certaines précisions s’imposent pour quantifier l’importance de chaque religion, telle que définie par le sinologue américain Myron Cohen : « La religion est un ensemble de croyances, de symboles et de pratiques basés sur la notion de forces surnaturelles et dans certains cas d’une vie après la mort, qui unit les croyants dans une communauté socioreligieuse. »

Les religions chinoises peuvent se répartir en trois grandes catégories : officielles, non officielles et populaires. Les premières sont les cinq religions officiellement reconnues, le taoïsme, le bouddhisme, le catholicisme, le protestantisme et l’islam. Les religions non officielles — Églises clandestines chrétiennes et sectes syncrétistes — opèrent sans l’autorisation de l’État et certaines sont même explicitement interdites. Les religions dites « populaires » prennent des formes très variées : culte des ancêtres, culte de dieux locaux, divination, géomancie, sorcellerie, etc. Le confucianisme enfin, qui n’est pas une religion mais une éthique et un système de valeurs traditionnelles, mérite pourtant d’être pris en compte dans l’analyse du phénomène religieux au sens large, car son retour en grâce dans les milieux populaires participe aussi du renouveau spirituel.

Le recensement du nombre des croyants : une gageure

Ce retour du spirituel, pour spectaculaire qu’il soit, est très difficile à quantifier. En effet, pour plusieurs raisons exposées en détail dans l’annexe B, les statistiques officielles et les enquêtes d’opinion ne permettent pas une évaluation précise des fidèles. Le gouvernement, qui se proclame athée, a tendance à minorer l’expansion du phénomène religieux, même s’il reconnaît dans le Livre blanc 20181 un doublement du nombre de croyants au cours des dernières décennies. De plus de nombreuses activités religieuses étant pratiquées secrètement, on ne peut évidemment pas évaluer avec précision le nombre de fidèles des églises chrétiennes souterraines et ceux des nombreuses sectes qui ont fleuri dans la Chine post-maoïste. En fait, de nombreux Chinois pratiquent un mélange de bouddhisme, de taoïsme et de religion populaire ; ils ne sont affiliés à aucune organisation religieuse formelle, ce qui rend impossible un décompte de chacune de ces religions.

Le défi statistique est particulièrement redoutable concernant le christianisme puisque beaucoup de fidèles appartiennent aux Églises clandestines. De plus, compte tenu du climat de répression à l’égard du christianisme, nombre de fidèles refusent de participer à des sondages ou se déclarer chrétiens. Par ailleurs, les mineurs de moins de 16 ans ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles, l’éducation religieuse des enfants étant en principe interdite. Cependant même les chiffres officiels reflètent la forte augmentation des protestants et dans une moindre mesure des catholiques. Pour les protestants, on estime le nombre de fidèles à 20 millions pour l’Église officielle et 50 millions pour les communautés de prière non enregistrées dites « Églises de foyer ». S’agissant des catholiques, la répartition serait de 5 millions pour l’Église officielle dite « patriotique » et de 7 millions pour l’Église clandestine rattachée à Rome.

Comme expliqué en détail dans l’annexe B, les estimations du nombre de croyants en Chine divergent fortement selon les sources. Quels chiffres retenir ? Notre tableau 1 ci-dessous classe chaque religion selon le nombre de fidèles, de clercs et de lieux de culte, mais aussi selon le niveau de répression subie par chacune. Pour le nombre de clercs et de lieux de culte, les chiffres sont officiels ; pour le nombre de fidèles par religion, nous retenons l’estimation qui paraît la plus raisonnable.

Selon ce tableau, il y aurait donc en Chine environ 360 millions de croyants (26 % de la population) : 250 millions de bouddhistes, 70 millions de protestants, 23 millions de musulmans, 12 millions de taoïstes et autant de catholiques. La marge d’erreur est importante pour les bouddhistes et les taoïstes, compte tenu des pratiques syncrétistes de beaucoup de croyants. Par ailleurs le renouveau spirituel ne touche pas seulement ces 5 religions mais aussi les centaines de millions d’adeptes des religions populaires et des cultes locaux, sans parler de nouvelles sectes syncrétistes comme le Falun Gong, dont on reparlera.

Aperçu sociologique de la pratique religieuse

D’une manière générale, selon une enquête réalisée en 2006 par le Pew Global Attitudes Project, 31 % des Chinois considéraient la religion comme très ou assez importante dans leur vie, contre seulement 11 % d’un avis contraire. En 2007, la première grande enquête sur les croyances religieuses dans le pays a mis en lumière l’ampleur et les raisons du renouveau religieux en Chine. Le nombre de sondés qui se définissaient comme religieux représentait 300 millions de personnes, soit 31 % des Chinois âgés de 16 ans et plus. Cela représentait trois fois l’estimation officielle retenue par les autorités, c’est dire la forte tendance du pouvoir à minorer le fait religieux. Deux points majeurs ressortent de cette étude, la forte expansion du christianisme et le renouveau des religions traditionnelles.

L’enquête donne aussi des indications intéressantes sur les ressorts du renouveau spirituel. Le quart des personnes interrogées ont déclaré que la religion « montre le vrai chemin de la vie », et pour 28 %, « elle aide à guérir les maladies, à éviter les catastrophes et à garantir que la vie se déroule de façon sereine ». Cet attrait pour la religion était traditionnellement plus vivace dans les zones rurales mais de plus en plus les nouveaux croyants proviennent des villes, notamment dans les zones côtières économiquement développées. Les enquêtes périodiques Horizon confirment que l’intérêt pour la religion est désormais plus élevé chez les résidents urbains que dans la population rurale, en particulier chez les titulaires d’un diplôme universitaire. Le niveau de revenus ne semble pas jouer un rôle déterminant et si l’influence parentale reste importante, la religion exerce une attirance bien au-delà du cercle familial. Le christianisme en particulier attire beaucoup de jeunes intellectuels, des « chrétiens culturels » qui n’ont pas nécessairement l’intention de se faire baptiser. L’intérêt pour la religion est à peu près le même dans tous les groupes d’âge, ce qui est surprenant compte tenu de la différence de générations : l’une fut soumise à l’éradication de toute religion durant la Révolution culturelle alors que la plus jeune est la première à grandir dans une Chine plus riche et individualiste. Concernant l’âge même des croyants interrogés, l’enquête révèle un très net rajeunissement : 62 % sont dans le groupe d’âge 16‑39 ans contre seulement 9,6 % pour les 55 ans et plus.

Extrait du livre de Claude Meyer, « Le renouveau éclatant du spirituel en Chine, Renaissance des religions, répression du Parti », publié aux éditions Bayard.

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