Le Ségur de la Santé : un "loupé" dont il faut savoir tirer toutes les leçons<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Véran ministre de la Santé
Olivier Véran ministre de la Santé
©BERTRAND GUAY / AFP

Bilan de la crise

Le gouvernement a déployé un certain nombre de mesures dans le cadre du Ségur de la santé afin de venir en aide au personnel hospitalier fortement impacté par la crise sanitaire de la Covid-19. Claude Sicard revient sur les enjeux du Ségur de la santé.

Claude Sicard

Claude Sicard

Claude Sicard est consultant international et auteur de deux livres sur l'islam, "L'islam au risque de la démocratie" et "Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?".

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La crise du coronavirus a joué un rôle de révélateur, faisant apparaitre au grand jour les faiblesses du système de santé français, et tout particulièrement celles du secteur hospitalier public. Il y a eu une grave pénurie de masques dans les premiers mois, pas de tests pour détecter les personnes porteuses du virus,  et les hôpitaux se sont très vite trouvés débordés, la France se trouvant insuffisamment équipée en postes de réanimation et manquant gravement de respirateurs à poste fixe. Il en a résulté un taux de mortalité relativement élevé, bien supérieur au taux allemand : 454 décès par million d’habitant contre 107 seulement en Allemagne, ces chiffres traduisant l’inégal état de préparation des systèmes de santé des deux pays...

Les personnels soignants, depuis déjà plusieurs  années, d’ailleurs, se plaignaient de l’insuffisance de leur rémunération et de conditions de travail dégradées, et ,ne parvenant pas à se faire entendre, avaient  à plusieurs reprises déclenché des grèves où personnels soignants, internes, et  médecins défilaient ensemble, comme ce fut la cas par exemple le 14 novembre 2019,certains manifestants brandissant des pancartes portant des  slogans inquiétants comme par exemple : « Un hôpital au bord du gouffre ».

Malgré des moyens limités les personnels soignants ont manifesté un dévouement exceptionnel  tout au cours de la crise et ils sont finalement parvenus à faire face à la situation, et toute la nation leur en a été reconnaissante. Le Président de la république, lui-même, les a qualifiés de « héros », et dans son discours du 25 mars, à Mulhouse, il leur a promis « un plan massif d’investissement et de revalorisation des carrières », en précisant qu’il s’agissait, là, d’une « réponse profonde et dans la durée ».

Ainsi,  en sortie de crise, et dès le 25 Mai dernier, a été lancé le « Ségur de la santé », une vaste consultation organisée auprès des 300 principaux acteurs du monde de la santé en France  afin de décider des mesures à prendre pour améliorer le système de santé publique du pays. Les syndicats réclamèrent   20.000 postes nouveaux et des augmentations de salaire de 300 euros par mois pour tous les personnels de santé, ainsi qu’un allégement du poids des contraintes administratives. Le premier ministre, lui-même,  Edouard Philippe, ouvrit les débats et dans son discours inaugural il prit soin de définir de la façon suivante les objectifs de cette concertation : « Construire ensemble l’avenir de  l’hôpital », «  remédier à un système bloqué », et « bâtir une nouvelle organisation du système de santé dans chaque  territoire ».On chargea Nicole Cotat du rôle d’animatrice des débats , et on fixa aux participants un délai de  cinquante jours pour formuler leurs propositions. .

Le Ségur de la santé qui vient de s’achever est le prototype même de la procédure nouvelle adoptée par notre président de la république pour reformer le pays. Emmanuel Macron est frappé par la cristallisation des mécontentements sur sa personne et il veut montrer qu’il renonce  à son style jupitérien : comme il l’a indiqué lui-même dans l’un de ses discours, il se « réinvente ». Aussi,  les résultats produits par ce Ségur de la santé centré sur la réforme de notre système hospitalier sont-  ils  particulièrement intéressants à  examiner, car s’ouvre à présent une nouvelle phase du  quinquennat de notre président de la république.  Emmanuel macron a effectivement  déclaré dans son discours à la nation du 14 juin dernier  que s’ouvrait à présent une phase nouvelle  consacrée,  a-t-il  dit, à  «la reconstruction » de l’économie de notre  pays, et il est bon de se remémorer ses déclarations. Tout d’abord celle-ci : « Le moment que nous traversons et qui vient après de nombreuses crises depuis 15 ans nous impose d’ouvrir une nouvelle étape afin de retrouver pleinement la maitrise de nos vies, de notre destin ». Puis, celle sur son engagement personnel : « Je m’engage dans cette reconstruction économique ». Et, enfin, l’adoption d’une méthode nouvelle  pour reconstruire notre économie : «  Tout ne peut pas être décidé, si souvent, à Paris… Libérons la créativité et l’énergie du terrain…. Chacun de nous doit se réinventer ».

Ainsi  Emmanuel Macron avait-il, en anticipant, et comme par instinct, déjà procédé pour mettre fin à la jacquerie des gilets jaunes qui l’a tellement affecté, personnellement :des réunions dans plus de 10.00 communes, lui-même animant un bon nombre d’entre elles, 1,9 million de contributions écrites recueilles dans les mairies émanant de toute la population , tout cela s’achevant par une conférence de presse qui s’est tenue à Paris le 25 avril 2019 afin, comme il l’a  dit,  de  « tirer les grandes leçons du grand débat national et proposer au pays les orientations du nouvel  acte qu’appelle l’attente de nos concitoyens » ».Et l’on sait qu’il y eut, aussi, le lancement de la fameuse  « Convention citoyenne pour le climat », un groupe de travail qui a rassemblé 150 personnes tirées au sort,  chargées de faire des propositions au gouvernement  en vue  de réduire les émissions deCO2 dans notre pays. Comme les medias nous en ont informés, toutes les propositions  furent adoptées par notre Président, à l’exception de trois d’entre elles, soit 146 propositions au total à rendre opératoires.

Ce serait donc, là, une nouvelle, manière pour notre pays de prendre les grandes décisions qui engagent son avenir. On ne peut que s’en inquiéter, et Il faut donc soigneusement examiner  à quoi cette procédure a abouti dans le cas de la réforme de notre système hospitalier, puisque c’est essentiellement de cela dont il s’est agi avec le Ségur de la santé.

Il faut d’abord rappeler quels sont les problèmes qui se posent au système hospitalier public français. Ce sont, essentiellement, les suivants :

- des hôpitaux publics sans cesse en déficit,  où l’on n’investit pas assez pour les entretenir et les équiper correctement ;

- un endettement cumulé  qui atteint la somme faramineuse, aujourd’hui,  de 30 milliards d’euros ;

- des équipements de pointe en nombre insuffisant ;

- des personnels qui se plaignent d’être  sous-payés,  et dont les conditions de travail  ne cessent de se dégrader ;

- et, pour les personnels soignants, de trop lourdes procédures administratives  qui consomment trop de leur temps au détriment des malades.

Pour procéder à un diagnostic  objectif des maux dont souffre le système hospitalier français il est utile de se reporter  au système allemand  qui  a montré toute son efficacité durant la crise du coronavirus, et que l’on considère  aujourd’hui comme exemplaire.

 On note ainsi les principales différences suivantes : 

  • Nombre et taille des hôpitaux :

FranceAllemagne

Nombre de lits                   430.000               497.000

Nombre d’hôpitaux           3.044                   1942

Nombre de lits/hop.           141                      256

   (dont public)                    ( 181)                   ( 417)

  • Ventilation  secteur public-secteur privé :

FranceAllemagne

                Secteur public                 63 %                    28,8 %

                Secteur privé                   24 %                     37,1%

                Autres                                13 %                    34,1 %

c -Statut des personnels et rémunération :

FranceAllemagne

Hôpitaux publics         Fonctionnaires                         Privé

Infirmières                         42.400€/an                         53.900€/an

Temps travail                     35 h/sem.                        38-40 h/sem.

       d-Gestion :

France Allemagne

        Autorité                        Etat                                      Lander

        Facturation                   T2A                                      DRG  

        Comptes exploit.         Déficitaires                         Equilibrés

Un diagnostic plus poussé mériterait,  évidemment, d’être fait, mais on peut déjà avec ces quelques données, cerner l’essentiel.

Les Allemands ont considérablement réduit  le nombre de leurs hôpitaux afin d’aller vers des établissements beaucoup plus importants, ce qui permet d’avoir des unités hospitalières extrêmement bien dotées en équipements de pointe, avec des personnels très qualifiés. Et il en résulte automatiquement des frais de gestion plus réduits : moins d’hôpitaux à  gérer, et des hôpitaux qui sont extrêmement  modernes .Et comme cela s’est fait en France du fait des progrès de la médecine, les Allemands  ont diminué le nombre total de lits, passant de 580.425 en 1997 à 497.182 en 2017. A mentionner, une décision des pouvoirs publics impensable en France a été prise :  privatisation de tous les hôpitaux qui étaient déficitaires. Autre différence fondamentale, aussi, avec le système français : les personnels  hospitaliers ne bénéficient pas du statut de la fonction publique, mais ils sont recrutés avec des contrats de droit privé, comme tous les autres salariés du pays. D’ailleurs les hôpitaux publics sont soit des sociétés constituées en  SARL, ce qui est la majorité des cas, soit des sociétés de droit public avec autonomie juridique. Dernière grande différence, fondamentale : les hôpitaux publics sont gérés par les Länder, et non pas par l’ Etat, une gestion qui n’est donc pas centralisée, mais régionale, donc plus près du terrain.

Il ressort de cette comparaison avec l’ Allemagne que les problèmes  à résoudre pour améliorer la gestion du système hospitalier français sont de quatre  ordres ;

-La structure du réseau  hospitalier public : il y aurait environ un millier d’hôpitaux à fermer, en agrandissant  considérablement  tous les autres ;

- Le statut des personnels : abandon  du statut de la fonction publique  pour un passage au statut de droit privé ; 

-Le système de facturation : amélioration du système de facturation à l’acte (T2A) ; 

- Gestion des hôpitaux : une gestion faite dorénavant par les Régions et non plus centralisée  à  Paris.

Bien évidemment, les personnes rassemblées pour débattre de  tous ces problèmes, n’ayant  aucune disposition pour se faire harakiri, et n’ayant pas d’informations sur la façon dont les systèmes hospitaliers fonctionnent dans les autres pays  développés, n’étaient pas les mieux placées pour faire les choix qui engagent l’avenir.

Les  décisions qui furent prises ont été, principalement, les suivantes, l’ Etat ayant consenti finalement à accorder aux hôpitaux une enveloppe de crédits de 8,2 milliards d’euros :

  • Les augmentations de salaires : les syndicats réclamaient une augmentation générale de 300 euros par mois. Finalement, après un bras de fer qui absorbé l’essentiel des énergies, les 3 syndicats majoritaires ont obtenu une augmentation de 183 euros par mois. Les médecins hospitaliers, de leur côté, bénéficieront d’une  enveloppe de 450 millions d’euros.
  • Le temps de travail : le principe des 35 heures/semaine n’est pas remis en cause, mais il sera   assoupli pour aller vers un dispositif d’annualisation du temps de travail.        
  • La gouvernance des hôpitaux : elle va être quelque peu médicalisée.
  • Lits supplémentaires : il est prévu l’ouverture de 4.000 lits supplémentaires (budget : 50 millions d’euros)
  • Création de postes :il a été retenu le principe de 15.000 embauches, dont la moitié pour des créations de postes.
  • Investissements : l’Etat a accordé le déblocage de 6 milliards d’euros sur 5 ans, dont 2,5 pour les Ehpad, et 1,4 pour le numérique.
  • L’Etat a confirmé qu’il prendrait en charge un tiers de la dette des hôpitaux, soit 10 milliards d’euros.

Cette analyse à laquelle nous venons de procéder montre d’une façon certaine que le système de décision provenant du bas, propre à une  « démocratie participative » plutôt que « représentative »,   n’est probablement pas un progrès lorsqu’il s’agit de procéder à des choix importants engageant l’avenir du pays. Dans le cas de la réforme du système hospitalier français  on voit bien  que le Ségur de la santé qui vient de se tenir n’a ni identifié les vrais problèmes à régler, ni, évidemment, apporté  de quelconques  solutions pour les corriger. L’essentiel a consisté en des négociations  sur les salaires des personnels, le sujet  qui intéressait avant tout, on le conçoit aisément, les participants. Plus des créations de postes.

Il serait donc urgent qu’Emmanuel Macron tire les leçons du Ségur de la santé qui vient de s’achever ; mais, soucieux de gommer son image de président jupitérien  qui lui est sans cesse accolée, on peut craindre qu’il n’en fasse  rien,  d’autant que la période des prochaines élections présidentielles se rapproche.

Il serait donc bon, comme l’a proposé le nouveau premier ministre Jean Castex, que l’on remette en place le Commissariat général au Plan qui avait été supprimé en 2006 : c’était un organisme d’étude, de réflexion,  et de concertation,  très utile pour prendre les décisions qui engagent l’avenir du pays, et qui était  composé d’un certain nombre de personnes très compétentes. Il faudra lui donner, d’ailleurs, comme tâche principale d’étudier avec soin  les expériences des autres pays pour les présenter aux principaux acteurs de la vie économique du pays afin qu’ils en tirent des enseignements utiles, ceci afin d’atténuer  cette propension  fâcheuse bien française consistant à  toujours vouloir  montrer la voie au monde.

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