Le rouble sous attaque de fonds d’investissement américains ? Des craintes russes sans fondement <!-- --> | Atlantico.fr
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La Russie est-elle la victime des spéculateurs américains?
La Russie est-elle la victime des spéculateurs américains?
©Reuters

Menace fantôme

Oui, des fonds spéculent sur la baisse du rouble. Non, ce n'est en rien une machination venue de l'extérieur, contrairement à ce que voudrait faire croire une certaine presse russe. C'est tout simplement la loi du marché qui est à l’œuvre.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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La Russie est-elle la victime des spéculateurs du monde entier ? Des Américains en particulier ? En quelque sorte oui. Mais cette "spéculation" n’est rien d’autre que la mise en évidence d’une réalité. Elle n’est qu’une action ayant pour objectif de fixer un juste prix sur un actif. Et l’actif en question, c’est le rouble.

Dans un tel contexte, les premiers points à contrôler sont les fondamentaux de l’économie russe. C’est à dire le pétrole, qui représente jusqu’à 30% du PIB du pays ou 50% du revenu de ses exportations. Ainsi, lorsque le budget de l’Etat a été bâti sur l’hypothèse d’un prix du baril à 96 dollars pour cette année 2014, alors que le prix actuel est de 60 dollars, le problème d’équilibre financier, de solvabilité, devient évident. Déjà, en 2008, lorsque le prix du baril s’était effondré de plus de 100 dollars (de 147 à 34$), l’économie russe avait vu son PIB se contracter de 8%. Le risque est donc réel.

Mais le prix du baril n’explique pas tout. Les sanctions financières qui ont pu être mises en place à la suite de la crise ukrainienne y sont également pour quelque chose. En effet, ces sanctions consistent à priver l’économie russe d’un accès aux marchés financiers, c’est-à-dire d’un accès vers des sources de financement extérieures.

Perte de revenus d’une part, impossibilité d’accéder à du financement d’autre part, l’économie russe se trouve prise dans un étau qui va susciter un réel intérêt de la part des marchés financiers. La vulnérabilité du pays est évidente et la spéculation contre le rouble peut commencer. Pour les "spéculateurs", il s’agit d’imprimer cette nouvelle réalité dans le cours du rouble, et en toute logique, celui-ci doit baisser. Avant même de penser à un "complot antirusse" il suffit de comprendre qu’il y a de l’argent à gagner, ce qui est un argument largement suffisant pour que les fonds d’investissements, aussi américains soient-ils, puissent participer au festin.

Et lorsque vient le temps d’une crise monétaire, c’est à la Banque centrale qu’il revient de réagir. Mais si une autorité monétaire ne connait aucune limite d’intervention lorsque sa monnaie est propulsée vers le haut (puisqu’elle peut créer autant de monnaie qu’elle le souhaite et ainsi en faire baisser le cours, de façon ininterrompue, ce qui rend son action imbattable) elle est par contre bien plus fragile lorsque sa monnaie est attaquée "à la baisse". Ce qui est le cas en l’espèce pour la Russie.

Car si la Banque de Russie dispose à ce jour de 400 milliards de dollars de réserve pour pouvoir lutter, le simple fait d’annoncer que le montant n’est pas illimité présente un risque. Les "opposants" connaissent par avance les limites de l’adversaire et une stratégie d’épuisement peut parfaitement voir le jour. Et permettre de faire éclater la réalité au grand jour. Il suffit de se souvenir de l’attaque menée contre la livre sterling par Stanley Druckenmiller et George Soros le 16 septembre 1992.

Si elle acceptait le combat, la Banque de Russie perdrait ses 400 milliards, pour rien. Non pas parce que le combat est déséquilibré, mais parce qu’une telle action aurait pour objectif de masquer la réalité de la fragilité russe actuelle. Car le marché agit ici comme un révélateur. Si le rouble continue de baisser, c’est que les fondamentaux le justifient. Si ce n’était pas le cas, d’autres investisseurs identifieraient l’opportunité et viendraient se positionner en sens inverse.

De la même façon, lorsque la Banque de Russie a décidé de relever ses taux directeurs de 10.5 à 17% dans la nuit du 16 au 17 décembre, ce sont les effets contraires à ceux qui étaient escomptés qui se sont produit. Comme cela était notamment expliqué en 2002 par les économistes  Chiodo et Owyang de la Réserve fédérale de Saint Louis :

'"Un utilisant l’exemple de la Russie de 1998, nous avons démontré qu’une solution de contraction monétaire en réponse à une crise de la devise, sous certaines conditions, accélère la dévaluation."

C’est exactement ce qui s’est produit lors de la séance du 16 décembre. L’action désespérée de la Banque de Russie a fini d’attirer les spéculateurs par l’odeur du sang. Car le relèvement des taux d’intérêts n’aura pour effet que de frapper l’économie intérieure russe, fragilisant encore un peu plus l’ensemble. Voilà pourquoi La matinée du 16 décembre a été si violente et si volatile.

Lorsque Vladimir Poutine fut interrogé le 17 octobre dernier sur l’existence d’une "conspiration" contre la Russie, sa réponse fut claire :

"Les conspirations sont toujours possibles. Mais, dans ce cas, elles frapperaient les conspirateurs en premier lieu, s’ils existent."(….) "Les taux de profits sont très élevés dans ce secteur (pétrolier), et la chute des prix sur les marchés mondiaux aura également pour effet de réduire ce type d’activité aux Etats-Unis. Je ne crois pas qu’une telle action puisse intéresser l’industrie pétrolière américaine."

Le Président russe ne fait que rappeler que la crise du rouble était, à l’origine, une crise du pétrole. Il ne s’est pas non plus replié derrière une trop facile accusation de "l’étranger" lors de son intervention de ce 18 décembre :

"Cependant, nous partons de l'idée que nous avons échoué à atteindre un grand nombre des choses qui ont été planifiées et qui devaient être faites pour diversifier l'économie au cours des 20 dernières années."

C’est bien la trop grande dépendance de l’économie russe à un prix aussi volatil que celui du pétrole qui est la cause du problème actuel. Les sanctions financières en sont une autre. C’est ce que le marché est venu sanctionner en Russie.  Il n’est pas nécessaire d’en appeler à la conspiration pour tout expliquer, comme le fait la pravda.

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