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Le racisme ordinaire de Jean-Paul Sartre à l'égard du "singe" Batista
©UPI / AFP

Bonnes Feuilles

Fulgencio Batista, celui que l’imaginaire collectif pétri par la propagande castriste considère comme un dictateur sanglant, à la solde des États-Unis et complice de la mafia, fut un personnage bien plus complexe que cela. Métis aux origines misérables, sergent révolutionnaire, président démocratiquement élu, écrivain autodidacte, homme d’État et putschiste autocrate, "El Hombre" accumulait les paradoxes. Jacobo Machover fait le tableau de cet homme méconnu, dans "Cuba de Batista à Castro", publié chez Buchet Chastel.

Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Sartre, si préoccupé pourtant par le destin des « damnés de la terre », n’en a cure. La différence entre les origines de l’un, Batista, très modestes, et de l’autre, Castro, plutôt privilégiées, ne l’intéresse pas. Pour lui, Batista est un « imbécile » et bien pire que cela. Il est aussi « cruel et grotesque », ce dernier adjectif se référant peut-être à des photos qui lui avaient été montrées. La tenue du président déchu ne correspondait guère, il est vrai, à celle des guérilleros parvenus au pouvoir, toujours en treillis vert olive. En a-t-il déduit que tous les Cubains aimaient s’habiller comme les barbudos ? Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il foulait le sol cubain : il l’avait déjà fait en 1949, du temps de la présidence de Carlos Prío Socarrás, le président renversé par Batista, comme il le raconte dans « Ouragan sur le sucre », en tant que simple touriste, pareil aux Américains qu’il brocarde dans ses articles. Il avait alors dû sans doute constater l’élégance poussée à l’extrême des habitants de La Havane, blancs et noirs, hommes et femmes réunis. Batista est, pour lui, plus cruel encore que ne le fut Gerardo Machado, président constitutionnel en 1925 puis dictateur entre 1929 et 1933, pourtant considéré dans la mémoire nationale comme un tyran implacable jusqu’à son renversement, mais qui « restait au niveau de l’homme ». 

Le philosophe va donner ensuite dans l’abomination raciste. Car si Machado était « un homme avide, certes, et méchant », Batista ne peut prétendre à l’appartenance à l’espèce humaine. Sartre écrit que l’île n’avait pas besoin du « gouvernement d’un singe ». Et il enfonce le clou : « un chimpanzé prit le pouvoir en 1952 ». « Singe », chimpanzé » : peut-on parler d’un homme politique de cette manière, même s’il a été vaincu par les nouveaux maîtres de Cuba, et qu’il se trouve en exil ? Ces qualificatifs font référence aux origines métisses de Fulgencio Batista, contrastant avec les révolutionnaires blancs qui, à de rares exceptions près, sont aux commandes depuis 1959 jusqu’à nos jours. Mais il y a certainement dans cette animalisation de l’ennemi un prétexte pour justifier également l’extermination de ses partisans. Aucune pitié pour eux. Il suivra en cela sa propre logique lorsqu’il déclarera en 1965 : « Tout anticommuniste est un chien. » Un chien, on peut l’achever, on peut aussi ridiculiser et mépriser un singe ou un chimpanzé. Et ses sympathisants, ainsi que tous ceux qui se sont dressés contre le castrisme, par les armes ou pacifiquement, ainsi que les Cubains, innombrables, qui ont fui l’île communiste, ne sont pour le régime que des gusanos, des vers de terre, de la vermine, que l’on peut écraser sans le moindre remords. 

Jean-Paul Sartre laisse éclater à propos de Cuba ses instincts les plus bas : le racisme et la haine. C’est l’une des raisons pour lesquelles, une fois publiés ses articles dans France Soir et édités en livres en espagnol et en portugais, il refusa de les regrouper en français dans un seul volume. Il préférait, par la suite, laisser le moins de traces possible de ses dérapages insensés. 

Extrait de Cuba de Batista à Castro, Jacobo Machover, Buchet Chastel, 2018.

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