Le projet d’annuler les dettes des entreprises pour favoriser la reprise aurait des effets catastrophiques pour l’équilibre du système économique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, le 15 avril.
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, le 15 avril.
©Eric PIERMONT / AFP

Atlantico Business

Impossible à mettre en œuvre sans prendre le risque de créer des déséquilibres dans le secteur privé de l’économie. L’idée d’annuler les dettes privées aurait un effet systémique qui détruirait le tissu de production.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Si on prête à Bruno Le Maire l’idée d‘annuler les dettes contractées par les entreprises privées pendant toute la durée de la crise sanitaire, c’est qu'on n’a sans doute rien compris à son logiciel. Si on décrypte très précisément les propos du ministre de l‘économie, il faut reconnaître qu’il lui faut préparer la sortie de crise et amortir le choc en régulant la façon dont il faudra débrancher les perfusions de fonds publics pour éviter un choc systémique.

Et si rien n’est fait, il faudra évidemment assumer un nombre de faillites anormalement élevé. Beaucoup d’entreprises ne résisteront pas aux poids des obligations financières, parce qu’elles auront consommé les PGE (prêts garantis par l’Etat), qu’elles devront reprendre le paiement normal des frais fixes comme les loyers et les charges, les Assedic et les impôts pour lesquels beaucoup ont bénéficié d’un moratoire , alors qu’au crédit du compte d’exploitations, elles seront incapables d’inscrire un chiffres d’affaires suffisant dans des conditions compétitives.

Jusqu'alors, la quasi-totalité des entreprises ont survécu. Certaines ont bien supporté la crise, elles ont même saisi des opportunités (dans le e-commerce, le digital, les industries de la santé) mais d’autres ont été portées à bout de bras par les aides et les subventions publiques.

Résultat de cette période exceptionnelle: la décroissance globale a été limitée, le nombre de défaillances d’entreprises a été très faible, donc pas de plans sociaux avec un accroissement du nombre des chômeurs très marginal.

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A partir du mois de janvier, l’évolution de la crise sanitaire a permis de réfléchir à un retour à la normale. Le ministre de l’économie ne ferait pas son métier s’il n’examinait pas toutes les hypothèses possibles :

La première de ces hypothèses est évidemment de planifier la sortie du coma sur une très longue période et d’éviter un choc trop brutal.

La deuxième hypothèse sera de trier les entreprises qui se sont préparées au changement et qui n’auront pas trop de difficultés, de celles qui étaient malades avant et qui le sont encore davantage après.

La troisième hypothèse serait de transformer les dettes privées en fonds propres qui seraient alors détenus par les créanciers, l ‘Etat ou ses filiales deviendraient alors des actionnaires.

La quatrième hypothèse pourrait être d’appliquer au secteur privé, ce qu’on prépare pour le secteur public, c’est à dire l’annulation pure et simple des dettes ...

Toutes ces hypothèses livrées par le ministre de l’économie n’ont qu‘un intérêt : provoquer le débat, faire la pédagogie du système et accélérer une prise de conscience dont nous sommes encore très éloignés, à savoir que la survie d’une entreprise ne dépend pas du miracle des fonds publics mais du talent d’un chef d’entreprise qui doit être capable d’anticiper les évènements et de s’y adapter.

Mais il est évident que parmi toutes les hypothèses formulées rapidement, les deux dernières sont inapplicables et même très toxiques pour l’équilibre du système.

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On peut certes transformer les dettes contractées par les entreprises auprès de l’Etat ou des institutions sociales en fonds propres, mais ça revient à nationaliser toutes les entreprises en difficulté. Mais s’il faut financer cette mutation sur des fonds publics, il faudra gérer toutes ces participations. Sachant que l’intervention de l’Etat en fonds propres ne sauvera pas de facto les entreprises qui nécessitent des réformes structurelles.

L’idée maintenant d’annuler purement et simplement des dettes contractées par les entreprises privées qui ne peuvent pas les supporter engendrerait une situation ingérable en créant des inégalités flagrantes entre les entreprises.

Denis Le Bossé, le président du cabinet Arc, cabinet d’optimisation financière, spécialiste en France du recouvrement de créances, qui a déjà dénoncé à multiples occasions, l’allongement des délais de paiement pendant la crise, explique que la suspension des poursuites de l’Urssaf crée d’ores et déjà une distorsion de concurrence entre les entreprises. « Nous avons tous les jours dans notre clientèle, des entreprises qui luttent contre ce fléau pour maintenir le cap et faire le maximum pour régler leurs fournisseurs ... et malheureusement, vous avez aussi des entreprises qui profitent de la situation. Elles ont obtenu un PGE, elles ne l’ont pas utilisé pour honorer leurs engagements financiers. Si on annule les dettes , on va exacerber les différences de comportement . »

La perspective d’annulation des dettes aurait évidemment pour objectif de sauver des entreprises, de défendre la croissance et des emplois. L’intérêt est purement politique, parce qu’on n’imagine pas « les entreprises Zombies » se sauver du marasme par ce type de manipulation magique. Encore faudrait-il sélectionner les bénéficiaires et savoir selon quel critère.

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Plus grave, les entreprises en équilibre en pâtiraient. Les commissaires aux comptes qui sont chargés de certifier les comptes auraient de quoi s’arracher les cheveux.

L’annulation des dettes dans certaines entreprises créerait un aléa moral très pernicieux, puisque toutes les entreprises auraient intérêt à profiter de cette annulation.

Le président du cabinet Arc n’ose même pas envisager « les réactions à Bruxelles face à une telle opération, parce que le commissaire à la concurrence ne peut pas accepter un tel déséquilibre. »

Au final, la seule solution serait de baisser la dette sociale par exemple, mais pour toutes les entreprises à la fois et pour le même taux. Celles qui ne peuvent plus payer pourraient respirer, mais les autres bénéficieraient d’une décote imputable sur leurs impôts et charges à venir. Le principe d’égalité de concurrence serait alors respecté.

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