Le pouvoir d’achat des Français a été mieux préservé que celui des autres Européens et voilà la mauvaise nouvelle qui se cache derrière la bonne <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les Français ont, de toute évidence, bénéficié d'une meilleure protection de leur pouvoir d'achat ces dernières années, comparativement aux autres Européens.
Les Français ont, de toute évidence, bénéficié d'une meilleure protection de leur pouvoir d'achat ces dernières années, comparativement aux autres Européens.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Comparaison

Première préoccupation des Français, le pouvoir d'achat du revenu disponible corrigé de l'inflation a progressé de 5,7 % dans l'Hexagone entre 2019 et 2023 contre 1,4 % en Allemagne.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il préside le think tank AIRE créé en 1989 par Henri Guitton et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de Centrale-Supélec, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire. 

Voir la bio »

Atlantico : Les Français ont, de toute évidence, bénéficié d'une meilleure protection de leur pouvoir d'achat ces dernières années, comparativement aux autres Européens. D'une façon générale, les pertes de salaires réelles ont été plus limitées en France que dans le reste de la zone euro. Mais à quel prix, au juste ? Peut-on vraiment parler de bonne nouvelle quand on sait comment ce pouvoir d'achat a été préservé ?

Marc de Basquiat : Entre « quoi qu’il en coûte » et « en même temps », les gouvernements ont accumulé depuis 2020 un ensemble de mesures sans cohérence lisible, avec quelques effets sympathiques et d’autres moins. Analyser cela dans le détail est ardu, ne serait-ce que parce que le « pouvoir d’achat » résulte d’une multitude d’activités économiques sur les marchés, mais aussi de multiples interventions publiques. Il n’est pas inutile de rappeler ce qui différencie le « pouvoir d’achat » du simple « salaire » reçu de son employeur.

Selon l’INSEE : Le « salaire » comprend le salaire de base (ou traitement indiciaire pour les fonctionnaires) ainsi que les primes, la rémunération des heures supplémentaires ou complémentaires, l’épargne salariale, d’autres indemnités, rémunérations annexes et avantages en nature. Le « revenu disponible » est le revenu à la disposition du ménage pour consommer et épargner. Il comprend les revenus d’activité nets des cotisations sociales, les indemnités de chômage, les retraites et pensions, les revenus du patrimoine (fonciers et financiers) et les prestations sociales et familiales perçues, dont on retranche les impôts directs acquittés. Le « pouvoir d'achat » correspond au volume de biens et services qu'un revenu disponible permet d'acheter, incluant le paiement de leurs loyers par les locataires ou la « consommation de services de logement imputée » par les ménages propriétaires.

Il n’est donc pas équivalent d’analyser l’évolution des salaires ou de ce que les ménages peuvent se payer pour vivre.

Sur les salaires, l’intervention publique majeure consiste en la revalorisation régulière du SMIC (à 7 reprises en 2021-2023), dont le Groupe d’expert présidé par l’économiste Gilbert Cette rappelle chaque année qu’elle est une mauvaise solution pour réduire la pauvreté des 14,5 % des salariés dont la productivité est la plus faible. Pour les fonctions publiques, ce sont les grilles, primes, négociations et grèves qui dictent la dynamique du « salaire », avec un impact direct sur les finances publiques. Dans le secteur privé rémunéré au-dessus du SMIC, le marché joue. Dans beaucoup de métiers, la demande est supérieure à l’offre : les salaires montent naturellement, ce qui est une évolution saine, mais la pénurie d’offre est inquiétante.

On peut citer quelques déterminants du revenu disponible. La revalorisation de 5,3 % des pensions de retraite au 1er janvier 2024, taux supérieur à l’inflation, a un coût : le COR commence à faire la lumière sur le déséquilibre fondamental de nos régimes de retraite. A l’inverse, le durcissement attendu de l’assurance chômage fait le pari qu’il améliorera le retour à l’emploi, ce qui peut présenter un solde positif. Enfin, l’indexation des prestations sociales sur l’inflation, avec quelques « coups de pouce » sporadiques, pèse sur le budget.

Pour analyser le pouvoir d’achat, enfin, il faut distinguer au minimum trois natures de dépenses : la consommation courante, les loyers des locataires et le coût pour les accédants à la propriété. Sur le premier terme, chacun voit avec espoir le taux d’inflation s’assagir. Les locataires ensuite, préservés d’une augmentation générale des loyers par divers dispositifs légaux, souffrent plutôt d’une déficience d’offre dans de nombreux territoires. L’accès à la propriété enfin est dans une phase délicate : les taux des emprunts immobiliers restent hauts et beaucoup de vendeurs hésitent à baisser les prix et attendent une période plus favorable pour maximiser leurs gains.

Ce dernier point est en bonne partie la conséquence d’une valorisation excessive de l’immobilier, de plus en plus déconnectée des capacités économiques de la population. Les diverses interventions depuis la première crise COVID en 2020 ont mis en circulation des masses financières énormes qui n’ont pas trouvé d’autre débouchés que dans des investissements non productifs, en plus d’augmenter massivement la dette publique. Cette réaction mal calibrée va nous plomber pendant longtemps.

Non seulement notre dette publique est énorme, ce qui est grave, mais elle ne sert pas à financer une croissance future, ce qui est encore plus inquiétant.

Si le pouvoir d'achat des Français a été préservé grâce à la dette plutôt que par la croissance, faut-il penser que la situation se montrera vraiment favorable à l'économie française à l'avenir ? Dans quelle mesure avoir fait de la consommation le moteur central de notre croissance pourrait-il obérer notre potentiel à l'avenir ?

Le volontarisme du gouvernement n’y fera pas grand-chose : une fois qu’on a arrosé généreusement le sable, il est vain d’en attendre la production de nouvelles richesses. Le patrimoine des ménages a progressé de 2.000 milliards d’euros en trois ans à partir de 2020, se décomposant comme suit :

Milliards d'euros
(source INSEE T_8200)
2009201920222019
vs 2009
2022
vs 2019
Patrimoine immobilier net de dettes4.7346.1397.5071.4051.369
Actions, assurances vie, épargne retraite2.3983.8173.8031.419-15
Dépôts à vue, numéraire et autres actifs1.8062.6483.306842658
Patrimoine net des ménages8.93812.60414.6163.6662.012

Comparer la période de 10 ans suivant la crise financière de 2008 et les 3 années de la crise COVID est impressionnant. Entre 2009 et 2019, les ménages ont dirigé 1.400 milliards d’euros vers le financement de l’économie (actions, assurances vie…) alors que cette catégorie d’actif n’a aucunement bénéficié de la manne du « quoi qu’il en coûte » entre début 2020 et fin 2022.

Par ailleurs, l’augmentation brusque du patrimoine immobilier mesuré par la statistique nationale signifie simplement que les acheteurs de cette période ont accepté (et ont eu les moyens) de payer plus cher. Cette période est révolue, la fin du « quoi qu’il en coûte », l’inflation et la montée des taux d’intérêt ayant rapidement calmé le marché. L’ennui est que les vendeurs sont réticents à redescendre de leur sommet, ce qui nuit à la fluidité du marché. Tout ceci se lit sur les graphiques précis et rigoureux de Jacques Friggit :

En conclusion, retenons que les interventions de l’Etat depuis 2020, si elles ont sécurisé les consommateurs et les épargnants, n’ont guère contribué à préparer la croissance future.

Sait-on ce que les Français ont fait de ce pouvoir d'achat, au juste ? Dans quelle mesure leur recours à l'épargne pourrait-il, peut-être, handicaper l'économie à plus ou moins long terme ?

Le tableau précédent est implacable : l’épargne dirigée vers une hausse des prix de l’immobilier est une mauvaise nouvelle à tous points de vue. Pour en sortir, il faudra changer de logiciel. Après les législatives surprises de ce mois de juin, nous verrons quelle équipe sera aux commandes pour inventer autre chose.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !