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Le patronat pris au piège de la logique mortifère du pacte de responsabilité
©Reuters

Pacte avec le diable

Dans une lettre ouverte publiée par le JDD dimanche 29 juin, huit organisations patronales implorent le gouvernement d'appliquer enfin les réformes économiques promises par François Hollande dans le cadre du pacte de compétitivité. Un pacte brandi par le gouvernement pour agiter le chiffon rouge des contreparties imposées aux entreprises qui ne seraient pas respectées.

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise (SDME).

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Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : L'Assemblée nationale devait voter ce mardi 1er juillet le projet de loi de finances rectificative pour 2014. En découle la mise en œuvre du pacte de responsabilité qui alimente la dissidence à la gauche de la gauche. Dans une lettre ouverte publiée par le JDD dimanche 29 juin (voir ici), huit organisations patronales implorent le gouvernement d’appliquer enfin les réformes économiques promises par François Hollande dans le cadre de ce pacte. Ont-ils raison de défendre ce pacte en l'état ? Les entreprises ont-elles vraiment plus à y gagner qu'à y perdre ?

Sophie de Menton : Je ne crois plus au pacte de compétitivité même si je l’ai soutenu au début en espérant qu’il allait faire comprendre qu’il fallait un environnement favorable aux entreprises pour favoriser la croissance. Je pense que pour l’opinion publique ce fut le cas, en revanche ce pacte est un leurre car à chaque fois qu’il y a une avancée il y a immédiatement une reculade pour donner des gages au PS. Les patrons n’ont pas eu de cadeau et pas d’avancée. Il y a eu des reculades, pas de signature, pas d’engagement et pas de parole. Il faut savoir dire stop au pacte ! 

Jean-Charles Simon : Les entreprises ont bien sûr raison de réclamer les baisses de charges promises. Car le diagnostic est inchangé : les entreprises souffrent en France d’un excès de prélèvements, et en particulier sur les facteurs de production, c’est-à-dire en amont de l’imposition des bénéfices. Le pacte étant censé les diminuer un peu, il est compréhensible que les organisations patronales réclament sa mise en œuvre. Pour autant, elles ont à mon sens commis une erreur tactique en acceptant, voire même en promouvant la logique d’un "pacte" et du donnant-donnant. Car la baisse des prélèvements nécessaire à la remise à niveau de la compétitivité des entreprises françaises n’a pas à avoir de contreparties : elle devrait se suffire à elle-même.

Pourquoi faut-il craindre la logique de contreparties imposées aux entreprises ? En quoi distille-t-elle une idée fausse dans l'opinion sur les mécanismes de créations d'emplois ?

Sophie de Menton : Ce donnant-donnant n’existe nulle part ailleurs au monde, on ne recrute pas car on ne peut pas le faire. Que le gouvernement fasse ce qu’il faut pour qu’on recrute ! Le pacte finit par laisser croire que les patrons retiennent les emplois qu’ils pourraient créer et que l’emploi se conditionne, ce qui est faux. On recrute quand le carnet de commandes est plein et on quand on a besoin. Où voulez-vous trouver un million d’emplois ? On finit par mentir des deux côtés. La baisse du coût du travail ne suffirait même pas dans les conditions actuelles de l’environnement économique. La réalité n’est pas celle d’un pacte de climat de confiance mais des contrôles fiscaux démultipliés, des contrôles URSSAF durcis avec des inspecteurs du travail idéologiquement hostiles, un sentiment de harcèlement lié aux nouvelles taxe et, aux nouvelles exigences (réforme du statut des stagiaires, impossibilité de recruter moins de 24 heures par mois, pénibilité…). Si j’avais un conseil à donner au patronat, c’est qu’il laisse la conférence sociale se faire sans lui.

Jean-Charles Simon : C’est en effet le symbole et la logique des contreparties qui sont particulièrement critiquables, peut-être plus encore que les contreparties en elles-mêmes. On sous-entend qu’il y aurait en permanence un marchandage à organiser avec le patronat et les entreprises, comme s’il s’agissait d’êtres immatures auxquels il faudrait en permanence rappeler le droit chemin. C’est aussi une illusion, celle de la création mécanique d’emplois dès qu’on actionnerait tel ou tel levier. Or, si la baisse des prélèvements sur les entreprises est nécessaire à leur compétitivité, elle peut hélas être insuffisante pour créer beaucoup d’emplois. Et inversement, des conjonctures très favorables le sont aussi pour l’emploi, même quand les conditions de la compétitivité sont sous-optimales. A part dans les fantasmes de la planification, il n’y a rien d’automatique en économie.

Par ailleurs, les gages que le gouvernement sera tenu de donner à sa gauche vouent-ils le projet à l'échec ?

Sophie de Menton : L’appel des patrons le met en porte à faux vis-à-vis de sa fausse majorité. S’il cède aux patrons, les frondeurs se multiplieront et ont dira encore qu’il fait des cadeaux alors qu’il n’en est rien. C’est donc contre-productif. Ces gages donnés à l’aile gauche du PS sont dramatiques. Je pense par ailleurs qu’il faut que l’opposition de droite soutienne la majorité quand les mesures prises sont bonnes, sinon il ne pourra jamais se dégager de cette aile gauche qui se rapproche économiquement de l’extrême-gauche. On sent bien que le gouvernement ne peut pas, il valse. Ce gouvernement n’a pas de majorité.

Jean-Charles Simon :C’est bien sûr toujours un risque. Si le gouvernement tient mal sa majorité et dénature ou affaiblit les mesures positives du pacte, il en réduira d’autant les impacts favorables espérés. D’une certaine manière, les contreparties votées au Parlement au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), afin de flécher son usage, ont donné un très mauvais signal sur l’intérêt de cet instrument. Alors même qu’elles n’avaient pas d’effets concrets. Il faut donc aussi éviter les incantations ou les dispositions qui peuvent créer ne serait-ce que de l’insécurité juridique.

L'Insee a sorti coup sur coup deux rapports sur la résilience des salaires et sur l'absence de besoin de crédit. En quoi ces rapports éclairent-ils d'un jour nouveau les besoins actuels des entreprises ? Est-ce d'une politique de l'offre dont la France a aujourd'hui besoin ? Sinon, de quoi ?

Jean-Charles Simon :Ce sont deux idées trop répandues que viennent corriger ces rapports. D’une part, le secteur bancaire remplit plutôt bien son rôle, inutile de l’accabler : c’est en fait la demande de crédit qui reste faible car la conjoncture reste trop peu favorable aux investissements et à la prise de risque. Et pour l’autre sujet, c’est une spécificité française, en tout cas à la lumière des années de crise : l’ajustement s’est fait par l’emploi, avec beaucoup de chômage, mais ceux qui sont en poste voient leurs salaires progresser sans vrai changement par rapport aux années précédentes. La dualité insiders/outsiders du marché du travail français en est encore renforcée. Les entreprises françaises ont donc besoin de moins de prélèvements pour restaurer leurs marges. Mais elles devraient aussi travailler davantage sur leur pacte social interne, afin de mieux ajuster le partage capital / travail dans les périodes difficiles, quitte à geler les salaires et dans certains cas à négocier leur diminution. Pour préserver leurs marges mais également mieux protéger l’emploi, un peu à l’instar du recours massif au chômage partiel en Allemagne au plus fort de la crise, par exemple.

Finalement, que cherche le patronat en défendant un pacte dont il ne peut pas ignorer qu'il n'est pas réellement ce dont il a besoin ? Sait-il ce qu'il veut ?

Jean-Charles Simon :Je crois qu’il doit y avoir deux réflexes à l’œuvre, plus ou moins consciemment, dans la démarche patronale. D’une part, vouloir à tout prix faire montre de bonne volonté, d’où cet attachement assez curieux à la logique du pacte, d’engagements réciproques ou même d’objectifs de créations d’emploi qu’il ne fallait surtout pas énoncer. D’autre part, un certain classicisme dans la revendication patronale, avec l’obsession des baisses de charges et d’impôts. En considérant probablement que celles-ci sont tellement indispensables qu’elles valent bien quelques concessions dans le discours et dans les symboles. Quitte à rendre l’ensemble un peu difficile à suivre ou inaudible.

En réaction, à l'appel des patrons, Arnaud Montebourg a annoncé une grande loi de croissance. "Nous avons à réformer les mécanismes profonds de l'économie. Nous avons des phénomènes de rentes, de monopoles. Il n'y a pas trop de débat sur le sujet" : de quoi cela augure-t-il ?

Jean-Charles Simon :Si tel est le cas, il serait bien inspiré car c’est un sujet majeur, en France mais pas seulement. On peut toutefois s’étonner que ce soit lui qui porte ce discours comme si c’était son leitmotiv. Alors qu’il ne cesse de promouvoir les « grands champions », les meccanos industriels ou même la restriction du nombre d’acteurs, comme dans les télécoms. C’est-à-dire tout ce qui, justement, crée du monopole et de la rente, au détriment de la concurrence ! Politique de la concurrence qu’il a d’ailleurs régulièrement critiquée à l’échelon européen mais aussi national. S’il s’agit d’une conversion, mieux vaut tard que jamais…

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