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Le partage de la souveraineté : la solution pour une meilleure entente au sein du couple franco-allemand
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Paul Benoit et Michel Desmoulin publient "L’Europe, l’être ou le néant" chez PML Editeur. Ce livre propose un dialogue socratique entre deux militants européens de longue date, qui s’expriment à partir de leur expérience d’architectes et maçons de cette grande et noble cause. Extrait 1/2.

Michel Desmoulin

Michel Desmoulin

Michel Desmoulin est ancien Directeur général d’une grande entreprise, président d’honneur de l’Union des associations des auditeurs de l’IHEDN. Il est spécialiste des questions de politique étrangère et de défense et tient un Blog-notes (Blog Michel Desmoulin).

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Jean-Paul Benoit

Jean-Paul Benoit

Jean-Paul Benoit est avocat au Barreau de Paris, ancien Haut fonctionnaire (ministères, Commission européenne), député européen honoraire, spécialiste des relations internationales.

 

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Pourquoi, selon vous, la construction européenne a mal tourné ?

MD — Tout avait bien commencé, le marché commun avait été organisé, notamment avec la politique agricole commune (PAC), pour répondre aux problèmes des marchés agricoles. Nous avons fait l’Europe économique, mais les élargissements successifs ont profondément modifié l’esprit européen. Depuis le traité d’Amsterdam, l’Europe donne une impression de juridisme, de technocratie, de lenteur, de bureaucratie. 

Tout avait bien commencé, mais la plupart des projets provoquaient des tensions, parfois des crises. « Il y a quarante ans qu’on annonce la fin de l’Europe. Mais les obstacles ont toujours été surmontés » disait Jean Monnet, l’un des « pères fondateurs » qui avait d’ailleurs averti : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » 

Après la chute du Mur et la fin du communisme, des erreurs ont été commises. Par les Américains qui, après avoir exigé la fin du Traité de Varsovie, ont maintenu l’Otan et continué à désigner l’ennemi. Les Russes ont été humiliés. L’Europe, particulièrement concernée, s’est tue et a suivi les Américains. Ce fut une grave erreur que nous payons aujourd’hui alors qu’un partenariat intelligent avec la Russie était possible au début des années quatre-vingt-dix. 

L’Allemagne, considérablement aidée pour sa réunification avec la parité des deux marks, n’a pas été très reconnaissante alors que le succès de la réunification est, en grande partie, à porter au crédit de l’Europe. Devenue plus prussienne que bavaroise, elle fait preuve de méfiance sur de nombreux sujets, manque d’audace et ne se montre pas très motivée dès qu’il est question d’intégration politique. D’autant qu’après des décennies de souveraineté limitée, l’Allemagne est devenue un État souverain ; l’amitié entre nos deux peuples n’est plus obligatoire. 

En période de crise économique, le nationalisme se renforce, le protectionnisme aussi. Les citoyens les plus exposés à la crise cherchent des responsables et les trouvent au-delà des frontières. Les extrêmes exploitent, avec un certain succès, cette tendance populiste. L’Etat-nation n’est pas sans danger. Ce qui se passe en Catalogne et en Flandre en est la preuve. Imaginer un instant que la souveraineté régionale va permettre de résoudre les problèmes est purement et simplement une illusion. Un peu partout en Europe des voix s’élèvent, au contraire, pour que la crise soit le moment de faire un saut fédéral. 

JPB — Je ne sais pas si l’Europe a mal tourné, mais elle a souvent tourné en rond. Multiplication des traités souvent jargonnesques, référendums perdus en France et au Pays-Bas, crise financière de 2008, élargissement mal contrôlé, absence de vision prospective, relations souvent soumises, et maintenant chaotiques, avec les Etats-Unis, sanctions à l’égard de la Russie, incapacité à définir une politique extérieure commune pour l’Irak, la Syrie et la Libye… Cette litanie douloureuse est reprise par les extrémistes de tous bords. Ils oublient de dire que sans l’Europe, malgré ses insuffisances, chacun de nos Etats n’auraient pas été plus audibles. Au contraire, ils auraient été plus vulnérables. L’Europe existe, nous avons recensé ce qu’elle a déjà fait, et tout ce qui lui reste à faire. L’Europe est une succession de crises qu’elle a fini par surmonter. Mais il faut maintenant aller bien au-delà et ne pas attendre la crise pour agir. La multiplication des crises peut finir par tuer le malade…

Est-ce que l’Allemagne n’aurait pas dû d’accepter plus de solidarité et la France le partage de sa souveraineté ? 

MD — À la fin de l’année 1998, la ratification du Traité d’Amsterdam avait déchaîné les passions. Pour les souverainistes, le traité d’Amsterdam modifiait à la fois le traité sur l’Union européenne, dit de Maastricht, et le traité instituant la Communauté européenne, dit de Rome. Le traité d’Amsterdam, par son caractère abscons et illisible, était pour les souverainistes une insulte au peuple souverain. « Pas de démocratie sans clarté », disaient-ils.

Ce texte, selon eux, s’analysait comme le moyen de prolonger très artificiellement les traités existants, alors qu’ils n’étaient plus du tout adaptés à la situation créée par l’élargissement de la construction européenne. Il ne devrait pas y avoir, estimaient-ils, de nouvel élargissement de l’Europe sans l’élaboration de nouvelles institutions qui, probablement, remettront en cause tous les traités européens existants. 

Les « Pro-Amsterdam », européens convaincus, répondaient : « Nous avons deux événements majeurs devant nous : la monnaie unique et l’élargissement vers l’Est ». Le Traité échoua en revanche à réformer les institutions. 

Conscient des difficultés rencontrées, le Conseil européen de Laeken adopta en décembre 2001 une déclaration lançant le processus de révision des traités. La Convention sur l’avenir de l’Europe, composée de représentants des États, de députés nationaux et européens et de représentants de la Commission, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, devait présenter des solutions avant juillet 2003. Le 13 juin 2003, fut adopté un projet de traité instituant une Constitution pour l’Europe. C’était un traité qui devait se substituer à tous les traités antérieurs.
Avant de proposer un projet de Constitution d’une longueur et d’une précision giscardienne, il aurait fallu apporter aux populations européennes des réponses aux questions qu’elles étaient en droit de se poser : Quelle Europe veulent les Européens ? Quelles frontières pour l’Europe ? Existe-t-il une identité européenne ? L’Union doit-elle avoir des institutions à caractère constitutionnel ou être essentiellement une aire d’influence ? Quelle politique de voisinage ? 

Le 29 mai 2005, les Français ont rejeté à près de 55 % le projet de traité établissant une Constitution européenne. Trois jours plus tard, les électeurs néerlandais ont fait de même en se prononçant contre, à plus de 61 %. Le Royaume Uni, la République Tchèque et la Pologne refusèrent d’engager le processus de ratification : l’Europe se retrouva une nouvelle fois en crise. Prenant acte de ces refus, le Conseil européen du 16 juin appela à une période de réflexion dans le processus de ratification, les Britanniques ayant déjà annoncé leur intention de suspendre leur référendum. Entrée dans l’une de ces crises qui rythment son existence depuis sa création, l’Europe a suspendu le projet de traité constitutionnel européen pour une période indéterminée. 

À l’initiative d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, une conférence décida que serait élaboré un traité modificatif qui viendrait amender les traités existants et non s’y substituer. Ce traité fut signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne. Le Conseil recommanda une ratification parlementaire du traité. 

Ce traité ne présente aucun caractère constitutionnel : le ministre des affaires étrangères est remplacé par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Les règlements se substituent aux « lois ». Quelques éléments nouveaux apparaissent : les pouvoirs des parlements nationaux en sortent renforcés, la majorité qualifiée est reportée à 2014, la référence à la « concurrence libre et non faussée » est supprimée. Surtout, le traité dote l’Union d’une personnalité juridique : en un sens, il marque la naissance d’un État européen d’un point de vue du droit. Il accroît les possibilités de contrôle démocratique sur les questions de coopération judiciaire et le pouvoir du Parlement européen (champ de codécision élargi, élection du président de la Commission). En revanche, il comporte certaines dispositions du traité refusé par les peuples français et néerlandais, ce qui ne fut pas sans conséquences sur l’évolution de l’opinion publique, qui s’est sentie méprisée. Le Président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, Valéry Giscard d’Estaing, qui considérait que son projet était « la dernière chance pour l’Europe », se déclara extrêmement déçu et inquiet, ce qui pouvait se comprendre. 

Les systèmes électoraux pratiqués pour désigner les représentants au Parlement européen ont contribué à ce que les peuples se désintéressent de l’Europe. Le mode de désignation des représentants à la Commission et la nomination des commissaires ont eu le même effet. Le spectacle, au fil des années, des sommets européens et des compromis laborieux explique aussi, en partie, le rejet par les peuples de cette Europe-là et de ses chamailleries. Les processus de décision sont abscons.

Avec le recul, je pense que les erreurs et occasions manquées ont commencé le 26 février 2001 avec le Traité de Nice qui, sous la cohabitation en France, avait pour but de réformer les institutions afin que l’UE continue à fonctionner efficacement après l’élargissement à 25. Les modifications apportées ce jour-là à la composition de la Commission européenne et au système de vote au Conseil n’auraient jamais dû être acceptées par la France. Élargir, oui, mais pas dans de telles conditions. 

Crise de l’Europe ou crise des élites ? Il y a des moments, dans l’Histoire, où les dirigeants ne sont pas à la hauteur de la tâche qui leur incombe. L’absence de dirigeants visionnaires, ambitieux, capables de maîtriser les enjeux, d’inventer des projets mobilisateurs, de prendre des risques, est une explication. L’Europe a pris du retard sur l’histoire qui s’est faite sans elle. 

La menace terroriste a accentué cette évolution. Elle a provoqué une peur qui crispe les peuples conscients que l’Europe est ouverte à tous les vents. Les conséquences, dans le domaine de la sécurité nationale, ne pouvaient que déstabiliser la solidarité de l’Union. La peur précède le déclin. Si chacun continue de croire qu’il ne peut se sauver que seul, en protégeant ses avantages contre les efforts des autres, alors tout est perdu. 

Il y a vingt ans, l’Europe était majoritairement sociale-démocrate. Les discours de Blair et Schröder sur le libéralisme, l’initiative personnelle, le rôle de l’État, ont changé la donne. L’Europe s’est droitisée. Dans quelle direction évolueront les différentes droites, car elles sont diverses, même si elles sont à peu près toutes souverainistes ? Si, d’aventure, c’était vers la droite extrême, alors, l’ordre l’emportera sur la démocratie ! 

« L’Europe, c’est fini, on a raté le coche, c’est trop tard » avait lancé Michel Rocard, lors des « Journées de Bruxelles », organisées par « l’Obs » les 18 et 19 novembre 2015. Avec l’élargissement, la disparition progressive « d’une certaine idée de l’Europe » conduit lentement à la catastrophe. Les opinions publiques ont peur et, par conséquent, éprouvent chaque jour un peu plus un besoin de repli identitaire inquiétant alors que la réponse aux menaces n’est pas dans la « désolidarisation » et dans le repli. Le « Brexit » aurait dû être l’occasion de remettre à plat des traités illisibles que les opinions publiques ne connaissent ni ne reconnaissent. Michel Rocard avait malheureusement raison. Que d’erreurs, que d’occasions perdues ! La légitimité de l’Union européenne, dans une grande partie des opinions nationales, est remise en question. L’Histoire fera le tri des responsabilités. Elle sera sans doute sévère. 

L’Europe aurait pu progresser beaucoup plus vite et beaucoup mieux, si les besoins des peuples avaient été mieux recensés et pris en compte. Ce recensement ne fut pas poussé assez loin. Oui, nous sommes en droit d’exprimer des regrets. L’Europe n’a pas évolué comme nous l’avions espéré.

JPB — L’union fait la force : c’est arithmétiquement juste mais il faut que cela devienne politiquement juste. Quand on fait une radioscopie des différents Etats membres, l’on constate qu’il y a des paradis fiscaux, Luxembourg, Malte — l’île mystérieuse, des « ’low costs » », « » des aspirateurs fiscaux » ». La libre concurrence et la libre circulation ne doivent pas devenir le libre dumping économique, social, fiscal. En ce qui concerne la France et l’Allemagne, l’une est le bon élève et l’autre le cancre plombé par les déficits. Le Six-Pack, institué depuis 2011, impose à chacun des pays membres un excédent commercial égal à 6 %. Avec 248 milliards d’euros d’excédent, l’Allemagne pourrait au nom de la solidarité acheter plus de biens à ses partenaires ou augmenter ses salaires. La distribution des rôles est acceptée comme une forme de fatalité. La proposition d’un bouclier social à l’échelle de l’Union, l’idée d’un salaire minimum européen, de même que tout ce qui peut ressembler au centralisme, à l’étatisme ou à la mutualisation des dettes suscitent en Allemagne un « nein ». 

Extrait du livre "L'Europe : l'être ou le néant ?" de Jean-Paul Benoit et Michel Desmoulin, publié chez PML Editeur.

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