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Le pantouflage : un sport de masse chez les anciens élèves de l’ENA
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Vincent Jauvert publie "Les Voraces, les élites et l’argent sous Macron" chez Robert Laffont. Jamais sous la Ve République les élites qui dirigent notre pays n'ont été aussi riches et obnubilées par l'argent. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la situation a-t-elle empiré sous Emmanuel Macron ? Extrait 1/2.

Vincent Jauvert

Vincent Jauvert

Grand reporter à L'Obs, Vincent Jauvert est notamment l'auteur des Intouchables d'État (Robert Laffont, 2018).

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À l’aube de la Ve République, Charles de Gaulle lançait aux élèves de l’ENA : « Vous avez choisi la plus haute fonction qui soit dans l’ordre temporel : le service de l’État. » De ce sacerdoce républicain, il ne reste plus grand-chose. Pour les membres des grands corps, l’aller-retour entre le secteur public et le privé, le pantouflage et le rétropantouflage, est devenu un sport de masse, pratiqué de plus en plus jeune. Avec son lot d’innombrables conflits d’intérêts. 

Le phénomène existe depuis plusieurs années, il s’est accentué pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, mais il a pris une ampleur inédite après l’élection présidentielle de 2017. Ce n’est pas un hasard. L’exemple vient du sommet. Pour la première fois dans l’histoire, les quatre patrons de l’exécutif à l’Élysée et à Matignon sont eux-mêmes des « pantoufleurs » et des « rétropantoufleurs ». Comme chacun sait, l’inspecteur des Finances Emmanuel Macron a très vite rejoint la banque d’affaires Rothschild, tandis qu’Édouard Philippe, membre du Conseil d’État, a fait du lobbying pour Areva et a été avocat d’affaires dans un grand cabinet anglo-saxon. 

Ce n’est pas tout : le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, et le directeur de cabinet du Premier ministre, Benoît Ribadeau-Dumas, deux énarques eux aussi, ont également fait plusieurs allers-retours lucratifs entre le public et le privé. Du jamais-vu. 

Comment s’étonner alors que, dans les dix-huit mois qui ont suivi l’installation de ces quatre personnalités au pouvoir, pas moins de quarante conseillers ministériels, s’inspirant de leurs modèles, aient demandé à rejoindre le privé (chiffre donné le 2 avril 2019 par Matignon en réponse à une question écrite de la députée socialiste Cécile Untermaier) ? Une hémorragie sans précédent. Sans parler des hauts fonctionnaires en poste ailleurs dans l’État dont le nombre de départs n’est pas comptabilisé. Tous ou presque pantouflent évidemment dans des secteurs régulés où ils peuvent monnayer – cher – leur connaissance intime de l’État, de ses décideurs et de ses faiblesses. Si bien que, oui, il faudrait un nouveau Zola pour raconter cette nouvelle élite – les hauts fonctionnaires enrichis dans le privé – qui n’est peut-être pas tellement éloignée de celle du Second Empire décrite de manière si cruelle dans La Curée. 

Les cas récents les plus emblématiques concernent les filiales françaises des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon). En 2017, Benoît Loutrel, directeur général de l’Arcep, l’autorité de régulation des communications, devient, du jour au lendemain, directeur des affaires publiques, autrement dit lobbyiste, de Google. L’année suivante, c’est Yohann Bénard, maître des requêtes au Conseil d’État, qui devient, lui aussi du jour au lendemain, lobbyiste en chef d’Amazon France. Et cela au moment même où le gouvernement cherche à taxer les Gafa, projet que les deux géants d’Internet entendent évidemment combattre. 

Il y a le secteur bancaire aussi. Dorothée Stik est une jeune femme particulièrement brillante. Louis-le-Grand, Normale sup, ENA, elle est l’incarnation de la méritocratie française. Très vite repérée par l’establishment, elle rejoint le cabinet d’Emmanuel Macron en 2014. Elle participe à sa campagne présidentielle tout en travaillant à la direction du Trésor. Mais un mois après la victoire de son candidat, elle choisit la banque d’affaires, celle de l’inspecteur des finances Jean-Marie Messier, active dans de nombreux deals impliquant l’État. 

Salim Bensmail est sorti de l’ENA en 1999. En 2014, il devient monsieur Partenariat public-privé (PPP) de l’État. Pendant cinq ans, il a conseillé les ministères et les collectivités qui veulent financer leurs infrastructures par des fonds privés. Il connaît donc parfaitement tous les décideurs publics, tous leurs projets. En 2019, il passe de l’autre côté. Il pantoufle comme patron de la stratégie du groupe britannique John Laing, un géant des… PPP qui veut se développer en France, notamment dans les éoliennes. Toujours dans le bâtiment, prenez Régine Engström, secrétaire générale de plusieurs ministères dont celui du Logement qui, en septembre 2019, est débauchée par Nexity, le leader de ce secteur très régulé. 

Voici enfin le cas de ces deux très proches conseillers d’Emmanuel Macron qui étaient avec lui pendant toute la campagne et qui, deux ans après la prise du pouvoir, sont retournés dans le monde des affaires – et pas n’importe lequel. Ismaël Emelien était le conseiller spécial du candidat puis du Président. À l’Élysée, ce Sciences Po de trente-deux ans occupait de fait le poste de numéro trois, derrière le chef de l’État et son secrétaire général, Alexis Kohler. Après avoir été mêlé à l’affaire Benalla, il s’est éclipsé pour créer une société de conseil. Son premier client : le P-DG du géant du luxe LVMH, Bernard Arnault – le quatrième homme plus riche du monde, selon Forbes. 

L’ancien conseil en communication d’Emmanuel Macron, Sylvain Fort a lui rejoint le troisième milliardaire le plus riche de France, François Pinault, dont il gère désormais l’immense collection d’œuvres d’art.

Extrait du livre de Vincent Jauvert, "Les Voraces, les élites et l’argent sous Macron", publié chez Robert Laffont 

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