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Le mystérieux monsieur Macron : mais que pense l'ancien ministre de l'Economie sur les sujets qui impactent VRAIMENT la vie des Français ?
©Reuters

In bed with Emmanuel M.

Après deux ans à Bercy, Emmanuel Macron a démissionné ce mardi 30 août. Si ses positions en matière d'économie et de fiscalité sont bien connues, celui qui sera certainement candidat à la présidentielle de 2017 doit désormais proposer des idées et une vision construites sur des sujets importants tels que le terrorisme, l'Islam ou encore l'Europe...

François Heisbourg

François Heisbourg

François Heisbourg est président de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, et du Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP).

Il est conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).

Il a été membre du Centre d'Analyse et de Prévision du ministère des affaires étrangères (1978-79), premier secrétaire à la représentation permanente de la France à l’ONU (1979-1981. 

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Carine Bécard

Carine Bécard

Carine Bécard est journaliste politique à France Inter.

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Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Emmanuel Macron incarne une forme de nouveauté en politique et jouit d'une réelle popularité auprès de l'opinion. Cependant, en dehors des questions économiques, ses positions sur des sujets importants tels que le terrorisme, l'Islam, la mondialisation, les inégalités ou l'Europe sont-elles claires ? A-t-il réellement une vision globale lui permettant d'aborder de plus hautes responsabilités ? 

Carine Bécard : Emmanuel Macron est essentiellement connu pour sa maîtrise des sujets économiques et financiers. Son parcours démarre à la banque Rothschild, puis, en tant que proche de François Hollande, il est appelé à l'Elysée au poste de Secrétaire général adjoint. Enfin, Manuel Valls le fait entrer au gouvernement en septembre 2014 au ministère de l'Economie.

Aujourd'hui, la candidature d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle interroge. En effet, ses idées sur certains sujets fondamentaux pour les Français demeurent peu connues. Sur des thématiques telles que la santé, l'Education nationale, le terrorisme, l'immigration, sa vision n'a jamais été précisée. Or, ces sujets posent des questions importantes (comment forme-t-on la jeunesse ? comment défendre notre pays ? comment organiser la riposte aux attaques terroristes subies par la France ? etc.). Sur tous ces sujets, Emmanuel Macron n'était certes pas appelé à prendre position en tant que ministre de l'Economie. Néanmoins, s'il s'est permis quelques pas de côté, il n'a jamais été réellement entendu sur des thèmes autres qu'économiques.

C'est un homme intelligent, réfléchi, doué dont le parcours est atypique avec un passage par la philosophie. Mais il ne faut pas confondre capacité à réfléchir sur certains sujets et capacité à avoir des convictions et à les défendre. Pour l'instant, Emmanuel Macron donne l'impression d'être encore un "bébé" en politique, un homme politique toujours en construction. Mais le fait ne pas être "fini" en politique n'a rien de grave à 38 ans, d'autant plus que son entrée en politique est tardive.

On peut se demander si Emmanuel Macron a pleinement conscience des implications de la démarche présidentielle qu'il est en train d'entamer. Il sera interrogé sur absolument tous les sujets. S'il a réfléchi au cours de l'été et doit sortir un livre dans les semaines qui viennent, il me semble qu'il n'a pas réponse à tout. Or, on va précisément lui demander d'avoir réponse à tout. Par ailleurs, au regard de la situation particulièrement compliquée de la France, il est d'autant plus difficile de savoir quelles sont les bonnes solutions et d'être capable de les apporter.

Emmanuel Macron peut donner le sentiment de vivre dans une espèce de bulle : les médias l'ont très vite adoré,encensé, et cela l'a sans doute fait "décoller". Mais est-il véritablement conscient de ce que représente le fait de se lancer dans une course à la présidence ?

Nous avons sélectionné certaines déclarations d'Emmanuel Macron et avons interrogé des experts sur ce qu'elles révèlent de la vision de l'ancien ministre de l'Economie. 

Le terrorisme

"Le terreau sur lequel les terroristes ont réussi à nourrir la violence, à détourner quelques individus, c'est celui de la défiance (...) Nous sommes une société dont au cœur du pacte, il y a l'égalité. Nous sommes une société où en moyenne l'égalité prévaut beaucoup plus que dans d'autres économies et d'autres sociétés, en particulier anglo-saxonnes (...)nous avons progressivement abîmé cet élitisme ouvert républicain qui permettait à chacune et chacun de progresser. Nous avons arrêté la mobilité (...) quelqu'un sous prétexte qu'il a une barbe ou un nom à consonance qu'on pourrait croire musulmane, a quatre fois moins de chances d'avoir un entretien d'embauche qu'un autre (...) Nous avons une part de responsabilité, parce que ce totalitarisme se nourrit de la défiance que nous avons laissée s'installer dans la société. Il se nourrit de cette lèpre insidieuse qui divise les esprits, et si demain nous n'y prenons pas garde, il les divisera plus encore". 

François Heisbourg : Dans la position qu'était celle d'Emmanuel Macron, il semble logique de tout miser sur sa spécialité que sont l’économie et la société. De même, en tant que responsable politique gouvernemental, il s'intéresse davantage aux aspects sociétaux qu'aux sécuritaires. C'est ainsi que ce qui va intéresser l'ex ministre de l'Economie dans lutte contre le terrorisme, c'est le terreau éventuel qui peut y mener plutôt que les "poissons" eux-mêmes, qui sont de la compétence de l'Intérieur. 

Cela me semble faire sens. Mais il y a aussi peut-être une prudence dans sa position, en tout cas si l'on se concentre sur ces citations : il ne prétend pas s'ériger en expert sécuritaire. A l'inverse, dans son allocution donnée à la presse après sa démission, il a évoqué les aspects sécuritaires, puis politiques. Par ailleurs, je vous rappelle qu'à l'époque de son discours au Palais d'Iéna, Emmanuel Macron a été vivement critiqué par Manuel Valls qui ne souhaitait pas voir son ministre de l'Economie déborder de ses sujets. Cet épisode me semble être un moment important de la rupture entre Emmanuel Macron et le gouvernement.

Eric Verhaeghe :  La position d'Emmanuel Macron se nourrit ici de ce que j'appelle l'effondrement narcissique de la gauche, c'est-à-dire cette incapacité à assumer notre identité et cette obsession de notre culpabilité universelle. Si des adolescents nés en France, qui y ont bénéficié d'une école gratuite, d'une médecine gratuite, d'infrastructures en tous genres à portée de chez eux (toutes choses que leurs parents ont choisies et qui expliquent largement leur émigration), détestent la France et cherchent à la détruire, c'est évidemment parce que nous n'en avons pas fait assez pour eux. Nous sommes donc coupables du terrorisme qui nous frappe. C'est une vieille croyance religieuse : si nous subissons une épreuve, c'est parce que nous n'avons pas assez cru en Dieu et que nous avons trop cédé au mal. Cette conscience coupable est aussi vieille que le christianisme et existait même avant lui. Elle repose bien entendu sur une absence d'analyse lucide de la réalité, à savoir que, France coupable ou pas, le terrorisme existerait puisqu'il est une arme tactique utilisée par des puissances musulmanes, notamment au Moyen-Orient au sens large, pour déstabiliser l'Europe. Il faudra un jour élucider cette question de fond et trancher dans le vif, car nous ne pourrons éternellement expliquer que nous n'en faisons jamais assez sur le terrain de l'immigration, et que le seul fait de se dire Français constitue une insulte pour tous les immigrés. Il faudra bien réapprendre à nous accepter nous-mêmes et à nous aimer. Manifestement, Emmanuel Macron ne se situe pas sur ce chemin. 

L'Islam 

"Aujourd'hui, la vraie lutte se joue entre le capitalisme et les religions. (...) Le capitalisme corrompu appauvrit tellement les individus qu'il est chahuté par des spiritualités qui donnent accès à un absolu. Le capitalisme, lorsqu'il se perd dans la cupidité, détruit le sens, la cohésion (...) dans cette lutte, les décideurs politiques et la République doivent organiser une communauté humaine, sociale et politique dans laquelle on peut exercer sa spiritualité dans l'autonomie. (...) Les religions, notamment l'islam, offrent un accès à l'absolu : elles proposent du sens, des perspectives symboliques et une intensité imaginaire (...) Il ne faut pas être ébranlé par ce qu'il se passe avec l'islam car nous l'avons vécu avec le catholicisme (...) Ce que certains écrivent sur le voile aujourd'hui rappelle les écrits sur les curés en soutane lors des débats sur la loi de séparation des Églises et de l'État en 1905". 

Guylain Chevrier : Monsieur Macron a un sens de la formule dont il a le secret, mais la modernité que cela est censé incarner, n’a peut-être finalement à voir qu’avec de vieilles recettes recyclées. Il défend une thèse, qui porte sur une critique du capitalisme qu’il considère comme corrompu, à l’aune des égoïsmes, responsable de détruire la cohésion, créant une déshérence de l’individu à laquelle les "spiritualités" seraient seules à même de répondre, avec pour référence idéelle, l’islam. Il fait même dans le relativisme, avançant que comme pour le christianisme, l’islam fera son chemin, qu’il n’y aurait donc rien à craindre. Un encouragement à une victimisation permanente de cette religion qui vise à interdire toute critique à son encontre.

Il voit la République comme chargée d’organiser "une communauté humaine" dans laquelle chacun pourrait exercer "sa spiritualité dans l’autonomie", formule qui est à relier à une défense du voile à l’instar de la laïcité, qui revient à faire la promotion des communautés religieuses, "libres" de faire ce qu’elles veulent. Un voile qui, rappelons-le au passage, signifie le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, peu ou prou, le repli sur la communauté sinon le communautarisme, qui pèse sur notre société, mais aussi sur la liberté des musulmans. Un voile qui signifie aussi, la soumission à un ordre patriarcal qui n’a rien de cette modernité dont il se réclame, mais plutôt d’archaïsmes que l’on croyait à jamais passés par pertes et profits de l‘histoire. 

Tout cela pour une leçon de morale faite à la République, dans laquelle il prend l’islam dans le sens du poil. Ce qui n’est sans doute pas à détacher de ses ambitions électorales, mais plus profondément, qui attribue à la religion une fonction d’encadrement de la société qui date de nos papas. Au regard de laquelle, d’ailleurs, nous nous sommes justement émancipés, et plus particulièrement encore, les femmes. Sa critique à peine voilée de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, derrière l’assimilation fallacieuse des débats autour du voile islamique avec le mauvais sort fait à la soutane, dans le combat livré en 1905 pour affirmer la laïcité, révèle une vision bien peu respectueuse à cet endroit des acquis de notre République. 

Derrière cette critique du capitalisme, il y a la promotion en filigrane de sa version branchée-bobo, le libéralisme, une seconde notion qu’il n‘entend pas confondre avec la première. Il plaide pour un libéralisme qu’il décline comme moderne, autour de l’idée d’un individualisme où chacun ait sa chance, renvoyant aux "spiritualité" et à leur transcendance, un rôle d’encadrement moral. Mais ne retrouve-t-on pas là finalement tous les ingrédients d’un capitalisme qui joue sur les divisions multiculturelles pour dominer sans partage, et assurer sa pérennité, sous le signe des inégalités sociales ? Rien de nouveau sous le soleil décidément. Il ne fait que ressortir la vieille recette à laquelle un certain Karl Marx avait su trouver la formule piquante, de "la religion comme opium du peuple". 

Il avait affirmé après les attentats de novembre, pour se donner un air de gauche tout en dédouanant de toute responsabilité l’islam, que la société française devait assumer  une "part de responsabilité"  dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer, évoquant une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale. Si on le suit, on ne voit rien dans sa thèse qui vienne changer quoi que ce soit à ce constat un peu rapide, alors que l’on sait que les radicalisés viennent de tous les milieux et que la condition sociale ne suffit pas à tout expliquer.  

Depuis qu’il a rendu hommage à Jeanne d’Arc, figure chrétienne et libératrice, qui a selon lui "fendu le système" et "a su rassembler", on a découvert son intérêt pour les figures héroïques de l’histoire de France, mises au service de la mythification de sa propre trajectoire politique. Il a livré "ne pas croire" dans l’homme ou la femme providentielle… Ce dont on peut lui accorder le crédit, puisqu’après avoir tué le père (Hollande), il peut se prendre pour dieu. 

Eric Verhaeghe : Là encore, Emmanuel Macron se situe dans la doxa, dans l'opinion moyenne sur la continuité logique entre le christianisme et l'Islam, et sur la fonction sociale de la religion qui n'aurait pas changé depuis plusieurs siècles et qui éclairerait là où le capitalisme éteint. On peut dire sur ce point que Macron se rattache à la tradition démocrate chrétienne, dans ses restes récents ou dans ses ultimes émanations, qui laissent à penser que l'Islam est l'avenir du christianisme. Au demeurant, il exprime bien le point de vue d'une certaine élite pour qui le fait religieux est la marque d'une irrationalité intemporelle. Et, après tout, Jésus ou le Prophète, c'est un peu kif-kif. On se souviendra qu'après Vatican II, certains prêtres n'étaient pas loin de penser la même chose : Jésus était un accident de l'histoire, une imposture, répondant au besoin humain (trop humain!) de croire à une révélation totalement fantaisiste. On pourrait, avec un peu de provocation, dire que Macron défend ici une vision paresseuse et suicidaire de l'histoire. Paresseuse, parce qu'il colporte l'idée terriblement simpliste d'un éternel recommencement des mêmes processus sous des formes différentes. On est ici dans une sorte de sous-Attali. Et suicidaire parce qu'il véhicule l'idée fausse selon laquelle l'Islam connaîtra le même déclin que le christianisme dans la vie temporelle. Or, nous sommes sur deux phénomènes différents, mais on comprend bien le réflexe épistémologique du ministre trop pressé, qui cherche les points communs, et ne s'intéresse pas aux différences entre les deux faits ou les deux séries historiques. 

Les inégalités

"Face à elles[les inégalités de patrimoine], nous sommes en échec, c'est la cruauté des constats de long terme que Thomas Piketty a établi, il faut bien le constater (...) [La lutte contre les inégalités de patrimoine]est un sujet fondamentalement fiscal, un sujet de correction, un sujet de coordination européenne et mondiale à avoir (...) Mais les inégalités de destin sont le produit d'un système français beaucoup plus généreux que d'autres économies et qui, reposant sur un modèle de redistribution, de protection sociale forte a construit ses propres rigidités. (...) Un système à deux vitesses s'est progressivement mis en place en quelque sorte sécrété par les meilleures intentions du monde, car, en voulant surprotéger, nous avons créé des insiders de la protection et donc de nombreux "outsiders", exclus du marché de l'emploi ou du logement. (...) "l'approche collective qui prévaut depuis l'après-guerre en France a été un frein [appelantdes systèmes beaucoup plus contemporains individualisant ces protections".

Thomas Porcher : En somme, pour Emmanuel Macron, les inégalités de destin et le chômage en France trouveraient leurs origines dans les rigidités du système caractérisées par une approche trop collective de la redistribution et de la protection. Il suffirait donc de casser les rigidités de ce système pour réduire les inégalités et créer des emplois. Un discours qui n’a, au final, rien d’original tant il nous est répété de manière quasi religieuse depuis plus de trente ans. Pourtant les faits montrent qu’il est difficile d’établir un lien robuste entre plus de flexibilité ou moins d’Etat et croissance économique. Des pays ayant un Etat-providence plus développé ont d’ailleurs souvent une croissance plus élevée que les autres. Par exemple entre 2000-2005, la Suède a eu de meilleurs résultats que le Japon malgré des taux de prélèvements obligatoires bien plus élevés. Idem, pour la question de l’emploi, la France est loin d’être le pays le plus rigide comme aiment à le répéter certains. L’indice de protection de l’emploi de l’OCDE montre qu’un salarié français est certes plus protégé qu’un Anglais mais moins qu’un Allemand et quasiment autant qu’un Coréen de sud. Le problème de l’économie française est de fait ailleurs.

Eric Verhaghe : Là encore, nous sommes dans une doxa tout à fait moyenne. On retrouve d'abord la théorie selon laquelle l'inégalité est structurelle et doit être traitée par une politique fiscale. Or, il serait intéressant de voir comment la théorie de la redistribution par l'impôt produit régulièrement des inégalités bien pires, et surtout comment elle entrave une croissance qui reste, somme toute, la meilleure façon de rebattre les cartes. Rappelons ici que la théorie de Piketty élimine totalement l'inflation comme meilleure façon d'éroder la rente et de favoriser la promotion des entrepreneurs. C'est pourtant par la création de richesses et par ses conséquences économiques que l'égalité des chances peut le plus durablement être promue. En revanche, on en suivra attentivement les conclusions, car on voit bien qu'Emmanuel Macron ouvre des brèches importantes sur le sujet sensible de la protection sociale. La conclusion qu'il tire de ses présupposés porte sur la nécessaire individualisation des protections, l'excès de protections collectives profitant essentiellement aux insiders. C'est, au demeurant, une idée à la mode, dont on peine parfois à saisir toutes les conséquences, ou à savoir si ses défenseurs sont prêts à saisir toutes les conséquences, notamment sur la fin du régime général de la sécurité sociale.

L'Europe 

"Je suis responsable d’un mouvement politique né le 6 avril qui a mis l’Europe au cœur de ses valeurs fondatrices (...) les partis existants s’épuisent à bâtir des compromis sur les sujets européens  [Regrettant] une décennie perdue depuis le non français et néerlandais de 2005 [il faut que s’engage] un vrai débat politique pour préparer un projet de refondation. (...) On a trahi le projet initial, il faut maintenant reconstruire un projet démocratique et transparent. (...) On ne fera plus avancer l’Europe à l’abri des peuples ou à l’insu des peuples (...) Négocier immédiatement un nouveau traité, ce n’est pas réaliste et je ne suis pas favorable à l’option du référendum. Les référendums, lorsqu’ils sont organisés dans le fracas, ne répondent jamais à la question posée (...) Je plaide pour l’organisation d’une convention démocratique dans les vingt-sept pays membres, afin de faire naître un projet qui se construise avec l’opinion. Une fois que le projet est prêt, oui, pourquoi pas le soumettre à l’onction populaire ?"

Thomas Porcher : Sur l’Europe, Emmanuel Macron est paradoxal, il demande la reconstruction d’un nouveau projet tout en acceptant les règles du premier. Cette soumission se retrouve dans la loi Macron qui est, en réalité, une pâle copie de la loi italienne de 2006 conduite sous le gouvernement de Prodi. On y retrouve les mêmes thèmes : dérèglementations de certaines professions, travail du dimanche… Force est de constater que la loi Macron est avant tout une loi européenne et on peut légitimement se demander à quoi bon un ministre de l’Economie si la seule voie à suivre est celle de la Commission européenne. Car le problème est avant tout ces règles de la Commission qui ont fait de l’Europe le grand malade de l’économie mondiale. Tous les pays du monde, et en premier lieu les Etats-Unis, utilisent leurs instruments de politiques économiques pour stimuler la croissance. Par exemple, les Etats-Unis n’ont pas hésité à laisser filer leur déficit pour stimuler la croissance quand l’Europe s’acharnait à les réduire via des plans d’austérité. Les Etats-Unis ont eu la croissance et ont réduit leur déficit, nous n’avons eu ni l’un, ni l’autre. Idem pour la politique monétaire que tous les pays du monde n’hésitent pas à utiliser pour soutenir leurs exportations. Ces instruments de politique économique auraient beaucoup plus d’impacts sur la croissance que d’ouvrir quelques centres commerciaux le dimanche.

Eric Verhaeghe : On distinguera ici deux points très différents. Premièrement, Macron se sent obligé de redire comme un mantra le credo européen, comme si les eurosceptiques n'aimaient pas l'Europe. Or, redisons-le, l'Europe comptait moins de frontières effectives au dix-huitième siècle qu'aujourd'hui, et les échanges intellectuels y étaient au moins aussi intenses qu'aujourd'hui. A une différence près : à l'époque, tous les "décideurs" parlaient français, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Autrement dit, l'amour de l'Europe n'est pas une idée neuve et c'est un leurre de croire que le projet d'Union Européenne en construction depuis le traité de Maastricht soit né dans un désert historique. Les Européens ont connu l'Europe avant Maastricht, et ils connaîtront l'Europe après le Brexit. On saluera la lucidité de Macron sur le désaveu des Européens vis-à-vis de la forme que le projet a prise depuis 1993. Mais là encore on notera que le futur candidat à l'Elysée n'a pas saisi les dynamiques nouvelles et se contente d'une doxa très Sciences-Po. Si l'Europe est devenue opaque, c'est très largement parce que, depuis la réunification allemande, l'Allemagne n'y a plus de contrepoids solide et y impose tout ce qu'elle veut sans véritable concertation. La caricature de cet unilatéralisme germanique s'appelle la crise des réfugiés, organisée par Angela Merkel sans qu'aucun voisin n'ait son mot à dire. Curieusement, au lieu d'aborder lucidement ce sujet et d'en tirer les conséquences qui s'imposent, Macron préfère continuer sur la voie d'un projet bâti "avec les peuples" sans référendum, dont nous savons tous qu'il s'agit d'un faux nez pour emballer un nouvel épisode d'autoritarisme et d'opacité dans un projet à bout de souffle. 

La mondialisation

"Tout le défi est de savoir comment on amène à faire gagner la France dans la mondialisation. On réussit à porter quelque chose de différent, des valeurs différentes, une culture différente, un rapport géopolitique différent, mais si on reste arc-bouté sur notre ADN, le monde peut très bien continuer sans nous."

Thomas Porcher : Cette phrase est vide de sens. Il faudrait d’un côté porter des choses différentes, des valeurs différentes, une culture différente etc. mais pas trop non plus sinon c’est le repli sur soi. D’ailleurs, les propositions d’Emmanuel Macron n’ont rien d’originales et trouvent leur source dans ce qui a été fait au Royaume-Uni. Dans ce cas où est la singularité du modèle français s’il s’agit de copier sur le modèle libéral anglo-saxon ? Or, il n’y a pas dans le monde qu’une forme de capitalisme, le fonctionnement de l’économie américaine est très différent de celui de Suède ou de Singapour. Si la France veut gagner dans la mondialisation, elle ne doit pas se focaliser sur la compétitivité par les prix mais plutôt trouver des secteurs d’avenir et faire en sorte de devenir un leader sur ces nouveaux marchés. Le rôle d’un ministre de l’Economie est normalement d’identifier ces secteurs.

Eric Verhaeghe : Là encore, Macron fait partie de cette génération et de cette caste qui pense que l'identité française, la mémoire, la tradition, sont de vieux oripeaux à jeter au feu, là encore comme certains prêtres ont brûlé leur soutane après Vatican II. C'est ici que l'on comprend que Macron n'a pas été vraiment le secrétaire ou l'assistant de Paul Ricoeur, sans quoi il aurait la conviction chevillée au corps selon laquelle un être vivant n'est rien sans la mémoire de ce qu'il est. C'est la condition de son présent vivant, comme disent les philosophes. Sans le souvenir de ses valeurs, il n'a pas d'avenir. Il est d'ailleurs bien probable que Macron en fasse la triste expérience dans les mois à venir : les Français n'aiment pas les candidats à la présidentielle qui ont la mémoire nationale courte. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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