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Le mondialisme contre la nation ? Et si Marine Le Pen se trompait de critère pour 2022
©Bertrand GUAY / AFP

Rassemblement national

Lors de ses voeux à la presse, Marine Le Pen a indiqué "que les deux grandes options politiques, comme en 2017" sont "le choix entre le mondialisme et la nation". N'est-ce pas une approche trop idéologique de la réalité ? Marine Le Pen n’est-elle pas en train de reproduire l’erreur de 2017 en gardant la même ligne ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Dans ses voeux  à la presse, Marine Le Pen a affirmé que « les Français ont bien compris que les deux grandes options politiques, comme en 2017, c’est le choix entre le mondialisme et la nation, et qu’il faudra probablement deux présidentielles pour trancher ce très grand choix ». En faisant cette distinction, Marine Le Pen n’oppose-t-elle pas deux tendances idéologiques trop monolithiques par rapport au positionnement réel de ses électeurs (aussi bien des partisans d’une Union Européenne et que des Frexiters par exemple) ?

Christophe Boutin : C'est une intéressant formule que celle par laquelle Marine Le Pen tente en quelque sorte de replacer les élections de 2022 dans la droite ligne de celle de 2017, ce qui lui permet, comme on le remarque, d’expliquer sa défaite de l'époque par le fait que cet enjeu demandait du temps pour être pleinement saisi par les Français. Mais pour répondre à la question, encore faudrait-il savoir ce qu'on entend - y compris ce que Marine Le Pen entend - par les deux termes de mondialisme et de nation.

Le mondialisme est ici avant tout un monde sans frontières, dans lequel les individus comme les biens circulent librement, et où la loi du marché, nécessairement harmonieuse, permet aux meilleures solutions, économiques mais aussi institutionnelles, d'apparaître d'elles-mêmes. Au contraire, l'hypothèse nationale suppose des identités culturellement différentes, fixées sur des territoires délimités par ces frontières que le mondialisme récuse, et, à l'intérieur ne donne pas tous les droits et libertés aux individus, mais tient compte aussi de ceux des groupes qui composent la société – groupes familiaux, professionnels, régionaux, culturels... D’une part donc une société caractérisée par une indispensable fluidité, et de l’autre par une certaine forme de rigidité.

Pour l'Union Européenne que vous évoquez, tout dépend de quelle Europe on parle. S'il s'agit de « l'Europe des nations », dans une approche gaullienne, nous ne quittons pas l’approche nationale et restons dans la coopération internationale, très loin de l’idéologie mondialiste. S’il s’agit ensuite de cette « Europe puissance » que certains souhaiteraient voir émerger, si les nations européennes pourraient s’y fondre ce ne serait que pour créer une nouvelle entité souveraine à même d’affirmer sa volonté propre, et, là encore, s’il y aurait coopération internationale il y aurait récusation du mondialisme. Mais ni l’une ni l’autre de ces options ne correspondent, on le sait, au fonctionnement actuel de l'Union européenne, qui vise à faire éclater les États-nations, passant au-dessus en imposant des normes que ces derniers doivent respecter, mais aussi en dessous, en favorisant toutes les tendances qui, de la décentralisation au fédéralisme en passant par le régionalisme, peuvent leur porter atteinte. Une lutte affichée contre l'État-nation qui n'est pas entreprise cette fois pour s'affirmer comme une puissance politique, et à peine comme une puissance économique, le seul credo de l’EU étant son ouverture toujours plus grande aux hommes comme aux biens venus du reste de la planète, en application, cette fois, des principes du mondialisme.

Alors, bien sûr, on peut trouver au sein du Rassemblement national de 2021 plusieurs approches de l'Union européenne : ainsi en est-il de l'opposition entre ces « frexiters » qui envisageraient de quitter l’UE, y compris en abandonnant sa monnaie unique, l'euro, dont ils estiment que son usage plombe notre économie au profit, entre autres, de l'économie allemande, et, au contraire, de cette frange de l'électorat de Marine Le Pen qui craint elle le saut dans le vide que serait selon certains l'abandon de cette monnaie unique - rappelons qu'ici le Brexit ne peut servir d'exemple puisque le Royaume-Uni avait conservé sa monnaie. Mais il convient de ne pas se focaliser sur ce seul aspect : au-delà de ces divergences sur le rapport à l’Union européenne (partir ou rester), il y a au Rassemblement national une perspective, justement, « nationale », qui suppose de retrouver la souveraineté nationale en dehors ou au sein de l’Europe, et qui s'oppose effectivement radicalement au mondialisme.

Il importe d’ailleurs de ne pas caricaturer les choses : pas plus au Rassemblement national que partout ailleurs il ne s'agit de prôner la mise en place de frontières définitivement étanches ou un mythique retour à l'autarcie, dans ce fameux « repli sur soi » si souvent dénoncé : Marine Le Pen comme tous nos politiques entend bien maintenir la France dans le jeu international classique fait d’alliances et d’accords, et même lui faire jouer un rôle d’autant plus important qu’elle retrouverait sa souveraineté.

Ce n’est pas parce que les Britanniques ont quitté l’Union européenne qu’ils sont soudainement devenus des farouches opposants à la mondialisation et au libéralisme en général. L’enjeu n’est-il pas plutôt la reprise en main de ses prérogatives de l’État (take back control) et plus largement corriger les défaillances du système que fondamentalement s’en débarrasser et « jeter le bébé avec l’eau du bain » ?

Je vous dirais volontiers que c’était justement l'une des inquiétudes du général De Gaulle, et partiellement au moins ce pourquoi il se refusait à l'entrée du Royaume-Uni dans ce qui était alors le Marché commun, que cette certitude que, pour reprendre la grande formule churchillienne, chaque fois qu’il lui faudrait choisir « entre l’Europe et le grand large », l'Angleterre choisirait le grand large. Le libéralisme spécifique qui a façonné la mentalité de nos voisins du Channel a toujours été favorable à la mondialisation, élément essentiel pour une île dépendant du commerce international. La seule réserve est qu’elle a longtemps entendu contrôler cette mondialisation, que ce soit par la domination des océans ou d’un empire colonial, et que ce n’est que plus récemment que le conquérant Britannia rules the waves a été remplacé par le suivisme de la bannière étoilée.

Ce qu’ont en tout cas refusé les Britanniques, et qui les a conduit à leur rupture avec l'Union européenne, ce n’est pas que cette dernière les jetait dans le bain du mondialisme - ils y étaient déjà - mais qu’elle le faisait à son rythme et non au leur et qu’elle allait parfois à l’encontre de leurs vœux, comme sur la question du contrôle de l'immigration, absolument centrale de nos jours dans tous les pays occidentaux.

Dans les deux cas donc, France ou Angleterre, il s’agit bien de voir l'État national retrouver ses prérogatives et décider librement - donc, encore une fois, être souverain – chacun étant ensuite libre d’aller dans le sens qui lui convient, vers le grand large, l’Europe ou ailleurs. Que l'Anglais veuille retrouver sa souveraineté pour jouer un rôle plus important dans une mondialisation qu’il croit pouvoir maîtriser, quand le Français veut la retrouver pour limiter l’effet de la mondialisation sur son environnement, que l’un agisse dans le système, sinon pour lui, et l’autre à sa marge, sinon contre, est finalement secondaire par rapport à ce qui les rassemble : la demande commune de retour d’un État souverain, et aucun ne jette ici le bébé avec l’eau du bain pour reprendre votre expression.

Marine Le Pen n’est elle pas en train de reproduire l’erreur de 2017 en gardant la même ligne et la même dialectique, qui ne lui ont pas permis de gagner, alors même qu’elle s’est séparée de Florian Philippot qui l’incarnait jusqu’en 2017 ?

Florian Philippot prônait, pour schématiser, l'alliance des souverainistes de droite et de gauche, estimant qu'il était possible de reconstruire cette majorité qui s'était exprimée contre le traité instituant une constitution de l'Union européenne en 2005. Venu du chevènementisme, et donc du souverainiste de gauche, et passé au Front National, symbole du souverainisme de droite, il a cru qu’en ancrant le discours de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017 sur le rapport de la France à l'Union européenne, et en insistant sur une logique de rupture, il pourrait recréer la dynamique de 2005. C'était très délicat : 12 ans avaient passé, les modifications du traité étaient devenues réalités en 2009 quand le traité de Lisbonne, dont Nicolas Sarkozy organisa la ratification parlementaire, était en vigueur, et la monnaie unique européenne, encore très largement critiquée en 2005, était entrée dans les mœurs. Briser tout cela semblait donc angoissant à certains, et il faut bien dire que le discours de Marine Le Pen sur la question n’a pas paru d'une totale fiabilité à une partie de son électorat.

Assiste-t-on en 2021 à un simple remake ? Non : comme vous le remarquez, même si elle est reprend et même renforce sa critique du mondialisme, Marine Le Pen ne pose plus, ou de manière moins conflictuelle, la question des rapports de la France et d’une Union européenne qu’il ne s’agit plus de quitter mais de faire évoluer de l’intérieur, avec l’espérance de la voir devenir à terme cette Europe des nations chère au général De Gaulle.

Il est vrai que le changement de pied est rendu plus facile par la situation : la crise sanitaire a fait toucher à beaucoup les limites du mondialisme, et on a entendu depuis un an nombre de ministres de Jupiter – si ce n’est ce dernier - prôner le retour à une souveraineté française dans des domaines aussi divers que la Santé et la Défense, et dénoncer la logique économique d’un mondialisme qui nous a dépouillé de nos productions et a conduit aux pénuries constatées (de masques, de gel, de vaccins maintenant…). Et l’absence de réaction de l’UE autre que la mise sur pied d’un plan de relance qui profitera à d’autres économies que la sienne, incapable par exemple de fermer ses frontières à temps par pure réflexe idéologique, montre ses faiblesses et explique que ce soir la nation qui reste en cas de crise grave le cercle d’appartenance privilégié par ses citoyens.

Selon vous, quel critère pourrait être plus pertinent que l’opposition nation/mondialisme pour Marine Le Pen ?

Cela ne sert à rien de vouloir retrouver une souveraineté si l’on ne sait pas qui participera à son exercice, or qui dit nation dit aussi identité nationale, et celui qui emploie l’un ne peut éviter de définir l’autre. On sait que Nicolas Sarkozy tenta de le faire et échoua dans une pitoyable pantalonnade. Le discours de Marine Le Pen demande donc une définition très claire de ce qu'est dans son esprit cette nation à laquelle elle souhaite redonner une souveraineté qui lui permette de s'affranchir des diktats mondialistes d’où qu’ils viennent, de la Commission ou des GAFA – si tant est qu’il y ait grande différence. 

On nous permettra de citer Ernest Renan : « Une nation est une âme un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. (...) Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple ». On comprend ici comment, pour être pleinement pertinente, l'opposition entre la nation et mondialisme gagnerait sans doute à être complétée par une opposition entre les idéologies qui sous-tendent ces deux formes en 2021, conservatisme et progressisme.

Lier progressisme et mondialisme est trop évident pour que l'on s'y attarde : les deux participent de cette culture liquide, hyper individualiste, sans frontières autres que le statut économique individuel, dont Emmanuel Macron est l'un des meilleurs représentants. Lier nation et conservatisme pourra étonner ceux qui se souviennent qu’au moment de la Révolution française la souveraineté nationale est un élément de lutte contre la souveraineté monarchique, et qu'elle est donc, à ce moment-là, une arme des progressistes républicains contre ces conservateurs qui voudraient voir perdurer l'Ancien régime. Mais les choses ont changé au minimum depuis la seconde moitié du XIXe siècle, et la nation est passée à droite, remplacé pour la gauche par cette République dont l'appartenance est purement juridique, se traduisant au mieux par la signature d’un de ces « contrat républicain » ou « charte républicaine » dont on nous rebat les oreilles, oubliant ou feignant d’oublier que le  patrimoine décrit par Renan ne se réduit pas à quelques valeurs universalistes, et que, sans sa conservation, l’individu n’a plus ni socle sur lequel s’appuyer ni tuteur pour l’aider à progresser.

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